Chine : Xi Jinping, l’omniprésident

Si la France a à sa tête un « président normal », voilà un an que le patron de la deuxième puissance économique du monde revendique une image simple et proche du peuple. Le président chinois ne porte pas de cravate lors des réunions de fin de semaine, et déjeune désormais dans le restaurant de madame et monsieur tout le monde. Xi Jinping est pourtant le dirigeant communiste qui a accumulé le plus de pouvoir depuis Deng Xiaoping. Une omniprésidence qui risque de décevoir si les réformes ne viennent pas.     

 
« Il faut compter au minimum une heure et demie d’attente » prévient le gardien à l’entrée de ce petit restaurant de pains farcis à la vapeur de l’ouest de Pékin. Une heure et trente minutes pour espérer goûter au désormais célèbre « menu Xi Jinping » composé de foie grillé aux légumes, de bouchées au porc et aux poireaux, le tout pour vingt-et-un yuans (un peu plus de 2 euros 50) réglés par le chef de l’Etat lui même. Depuis le passage du président chinois fin décembre, l’établissement ne désemplit pas ! C’est aussi ça, la nouvelle ère Xi Jinping ! Après des années de dirigeants chinois figés, le nouveau pouvoir a totalement relifté sa propagande, avec des méthodes de communications empruntées à l’occident et notamment aux hommes politiques anglo-saxons.

Propagande nouveau style

Xi Jinping n’est pas le premier à se retrouver à la table du peuple. Les internautes chinois avaient déjà adoré le coup du café commandé et payé directement par Gary Locke, l’ancien ambassadeur américain en Chine. Même succès récemment pour le Britannique David Cameron photographié entrain de déguster une fondue chinoise. En 2011, le vice-président américain Joe Biden avait lui aussi choisit un petit restaurant de « zha jiang mian » -spécialité de nouilles de Pékin-, alors que Barack Obama s’était révélé en expert des baguettes, ce qui là encore n’avait pas manqué de séduire les foules. 
 
 
 
Mais c'est Mao qui le premier a donné son nom à un menu, en l'occurence à un plat traditionnel de la province du Hunan, le "porc au caramel sauce soja". On a vu aussi plusieurs fois l'ancien Premier ministre Wen Jiabao partager un bol de nouilles avec les sinistrés du séisme du Sichuan, ou encore avec des ouvriers sur un chantier. Ici, cette sortie au restaurant du numéro un chinois s'inscrit dans le cadre de la campagne de frugalité lancée auprès des cadres du parti à tous les niveaux de l'appareil d'Etat. En se présentant comme un simple client lambda qui règle lui-même son addition, le chef de l’Etat entend montrer l’exemple. Les « privilèges » supposés ou réels des fonctionnaires alimentant la colère du petit peuple vis-à-vis de ses dirigeants. Cette cure d’austérité vise à limiter la multiplication des berlines noires aux vitres fumées chez les officiels, les frais de bouches et autres dépenses dites « d’accueil » souvent associés à une corruption galopante.

« Oncle Xi », Président et Premier ministre

Rebaptisé « oncle Xi » par les médias officiels, le président a repris à son compte le rôle d’homme du peuple joué autrefois par « grand père Wen », l’ancien premier ministre Wen Jiabao. Une hyperprésidence confirmée par la direction du groupe chargé de mener à bien les réformes économiques et sociales annoncées lors du 3ème Plénum. « Le président va personnellement piloter les réformes » indiquait à la veille du 1er janvier l’agence Chine Nouvelle. La feuille de route décidée par les principaux dirigeants du parti réunis dans un hôtel de la capitale chinoise en novembre dernier étant d’une portée sans précédent depuis trois décennies. Parmi les mesures qui ont fait la Une des médias : L’assouplissement de la politique de l’enfant unique et la fermeture des camps de travail, mais aussi un très ambitieux programme économique visant à libérer l’initiative privée.
 

 
Or pour donner plus de marges au marché, il faut que l’exécutif parviennent à l’imposer au lobby des grandes entreprises d’Etat, encore toutes puissantes dans l’économie chinoise aujourd’hui. Alors que la plupart des analystes s’attendaient à ce que le groupe chargé des réformes soit mené par le Premier ministre, Li Keqiang, là encore c’est le Président qui prend les commandes. Ce qui rend au passage ce comité de pilotage « encore plus puissant que la Commission d’Etat pour la restructuration économique, déjà à l’origine de la fermeture de milliers d’entreprises publiques dans les années 1990 » note l’agence Reuters.   

Purge et lutte contre la corruption

L’hyperprésidence passe également par une élimination des ennemis au sein du parti. Les ennemis de l’équipe précédente avec le « procès du siècle » du dirigeant déchu Bo Xilai condamné à la prison a vie pour abus de pouvoir et corruption l’été dernier, mais aussi les potentiels adversaires encore actifs tels Zhou Yongkang, l’ancien ministre de la sécurité publique dans les années 2000. Avec des hommes aussi puissants, c’est la technique Jivaro qui est employée par le pouvoir chinois. On réduit la tête en asséchant ses racines ; sur les 18 hauts responsables du parti tombés depuis le 18ème Congrès, cinq d’entre eux sont des anciens collaborateurs de l’ex-patron de la sécurité d’état, lui même assigné à résidence selon le New York Times et l’agence Reuters.
 
 
Au lendemain de son investiture, Xi Jinping s’est engagé à mener une lutte sans merci contre la corruption qui ronge l’Etat chinois, en épargnant ni les mouches (petits cadres) ni les tigres (hauts responsables du parti). La Chine a enquêté sur 37 000 officiels soupçonnés de corruption dans plus de 27 000 affaires, entre janvier et novembre 2013, ont fait savoir le week-end dernier les médias d'Etat. Sur les 27 236 dossiers traités, 12 824 représentent des « pertes pour le peuple » de 5, 51 milliards de yuans a précisé l'agence Chine nouvelle. Cette lutte contre la corruption n’est en réalité pas nouvelle, elle a été martelée par les dirigeants précédents et notamment par l’ancien Premier ministre Wen Jiabao. Ce qui change ici, encore une fois, c’est son ampleur et la communication qui est faite autour des personnalités épinglées.   

« Rêve chinois » et réformes en attente

Alors évidemment dans cette nouvelle ère de communication marquée par un nouvel onirisme marxiste, certains se prennent à rêver, et pourquoi pas d’une nouvelle Chine ! Un nouveau « rêve chinois » pour parodier le slogan de l’équipe au pouvoir.  
 
Bouger les lignes, cela commence par une plus grande transparence concernant le patrimoine des officiels. Or pour l’instant, les militants du Mouvement des nouveaux citoyens ont été arrêtés, et certains ont même été déférés en justice.
 
La société civile attend également « qu’oncle Xi » raconte une autre histoire que celle du big bang économique annoncé. Le président chinois célébrera probablement le 110ème anniversaire de Deng Xiaoping au mois d’août prochain, avec plus d’entrain que le 120ème anniversaire de Mao cet hiver, compte tenu, encore une fois, de l’ampleur des réformes promises lors du 3ème plénum. Mais la poursuite du développement économique doit aussi s’accompagner du respect de la Constitution chinoise et des libertés individuelles qui en découlent, comme le réclamaient il y a un an les journalistes du groupe de presse Nanfang, dans le sud du pays. Or ici même chose : Les tenants du constitutionalisme n’ont pour l’instant pas eu vraiment droit au chapitre.
 
Une banderole tendue par les pétitionnaires devant le restaurant de "baozis" du Chef de l'Etat avec ces mots : "Le président Xi a bien mangé et tout le monde est content / les victimes d'injustice font la manche et personne ne les entend."

Cui Jian invité au gala de CCTV

Un geste vis-à-vis des opposants serait enfin la preuve d’un vrai tournant, avec par exemple un adoucissement des conditions d’assignation à résidence de Liu Xia. L’épouse du prix Nobel de la paix souffre de dépression depuis que son mari a été condamné à onze ans de détention dans une prison du nord-est du pays. Une décision difficile à prendre, car elle constituerait un désaveu pour l’équipe dirigeante précédente, qui a fait condamner Liu Xiaobo pour « subversion du pouvoir de l’Etat » en 2010.
 
C’est en tous cas ce genre de geste qui pourrait contribuer à faire mentir ceux qui sont persuadés qu’un régime de parti unique est par nature incapable de se réformer. Pour l'entrée dans l'année du cheval, Cui Jian a été invité au Gala du Nouvel an chinois de CCTV. Tout un symbole pour les étudiants de 1989 ! Le titre du rocker Rien en mon nom est toujours considéré comme l'hymne du Printemps démocratique de la place Tiananmen. On ne sait pas si le refrain sera chanté le soir du nouvel an lunaire, le Gala de la fête de printemps reste en tous cas l'émission de télévision la plus regardée au monde. Bref, comme le disait Friedrich : « Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude ».  Ici au moins une chose est sûre, avec l’énigmatique Xi Jinping, tout ou presque peut arriver veulent croire les optimistes comme les plus pessimistes d'ailleurs.   
 
 
A (RE)ECOUTER Reportage RFI au "restaurant du président"

RFI Reportage Xi Jinping, un an après 30.12.2013 by Stéphane Lagarde

Stéphane Lagarde on Twitter : www.twitter.com@StephaneLagarde
 
 
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