Chine / Side-car : Le Pékin secret de Gaël Thoreau

Ce type a le plus beau métier du monde. Oh, bien sûr, il y a aussi pêcheur de perles aux Seychelles, évêque in partibus ou gardien de phare dans le Pacifique, mais dans une ville de 17 millions d'habitants, vous conviendrez qu'il est difficile de trouver boulot plus sympathique. Voilà sept ans que Gaël Thoreau promène les touristes en side-car dans la capitale des empereurs et ses montagnes. Sept ans que cet entrepreneur breton a inventé la Chine en trois roues, n'hésitant pas à faire grimper la muraille aux ministres, patrons de grands groupes ou encore aux Miss France de passage à Pékin.

 
Il n'a besoin de personne en Chang Jiang 750. La phrase sonne plutôt bien fredonnée à la Gainsbourg, c'est pourtant tout le contraire qui définit le fondateur de Beijing Sideways. Les amateurs de side-car le savent bien, le partage de la route et des paysages compte tout autant que l'amour des belles mécaniques lorsqu'on est deux sur trois roues. Un virus attrapé très vite en arrivant en Chine. Gaël Thoreau débarque dans la capitale chinoise à une époque ou la police pékinoise roule encore en side-car. Le trois roues c'est d'abord une affaire de bande :  « Il y avait de nombreux clubs se souvient le Breton alors âgé de 26 ans. C'était presque l'emblème de la ville. Des copains français avaient des side-car et j'ai fini par en acheter un pour aller au travail. »
 
Ce qui n'était au départ qu'un sport et un passe-temps devient rapidement un boulot à part entière. Beijing Sideways compte aujourd'hui 3 permanents, 6 chauffeurs chinois et 3 guides anglophones. Cette joyeuse bande a pour ambition de vous faire découvrir autre chose que le Pékin des guides touristiques, en sortant évidemment des escaliers battus des principaux points d'accès à la grande muraille. Une petite entreprise qui parfois connaît la crise quand la pollution fait fuir les touristes, mais dont on se relève grâce à une passion chevillée à la roue : Celle de l'échappée belle le doigt pointé sur les montagnes chinoises, celle aussi du partage d'une capitale fascinante, totalement moderne et plusieurs fois millénaire.

 

INTERVIEW Gaël Thoreau : « La prochaine étape, c'est Pékin en trottinette électrique ! »

Gaël & Marianne dans leur carrosse. 

 

L'esprit village

Je suis arrivé à Pékin comme stagiaire. J'ai fait du merchandising pour les entreprises étrangères en Chine. Je vendais des boutons de manchettes et des uniformes pour les restaurants et déjà j'allais au travail en side-car. Puis, la Chine est devenue à la mode avec la préparation des Jeux Olympiques. Des agences de voyage m'ont demandé d'organiser des tours pour leurs clients. Le concept n'existait pas à l'époque. Au départ, on suivait les parcours touristiques classiques -visite du Temple du ciel et du Palais d'été notamment-, puis on s'est vite diversifié. J'aimais l'esprit village qu'il y avait ici, et notamment les ruelles du vieux Pékin. On a aussi voulu montrer la ville en mouvement et ses créations architecturales qui ont poussé comme des champignons lors des jeux olympiques. Nous sommes aujourd'hui les seuls à présenter ce Pékin moderne qui échappe totalement aux circuits touristiques.
 
Parmi les beautés architecturales du nouveau Pékin, le MOMA.
 
Sur la route, un temple dans les environs de Pékin 

 

Les motos de « la Grande vadrouille »

On roule sur les motos de « la Grande vadrouille ». Les Chang Jiang 750 ressemblent aux side-car de la wehrmacht, ils ont été conçus par les Allemands dans les années 30. Le modèle de départ étant le RT71 de BMW. Comment ces machines sont arrivées en Chine ? Certains disent que les plans des motos ont été transmis aux Russes à l'occasion du pacte germano-soviétique, d'autres affirment qu'ils ont été volés par l'espionnage soviétique. Les Russes ont commencé à les fabriquer pendant la guerre loin derrières les lignes dans les montagnes de l'Oural. Ce sont les fameux side-car M72 ou « Oural » qui ont ensuite été modernisés en Ukraine à partir de 1957. Les Russes ont alors vendu leurs vieilles machines aux Chinois qui les ont reproduites pour l'armée du peuple à Nanchang, dans la province du Jiangxi au sud de la Chine. Leur production a perduré jusque dans les années 2000. On en voit beaucoup moins aujourd'hui en raison du rationnement des immatriculations, mais quand je suis arrivé à Pékin il y en avait partout.
 
 
 

Limoncello sur la muraille

Les hutongs -vieilles ruelles- de l'ancienne ville Tartare, autour de la Cité interdite et jusqu'à la tour de la cloche, sont parmi les plus prisées par les touristes. On y emmène nos clients bien sûr, mais personnellement je préfère les hutongs de l'ancienne ville chinoise, donc au sud de Pékin. Elles ne sont pas toujours mentionnées dans les guides et sont encore assez bien préservées. On y a même découvert quelques coins secrets. Je pense notamment a une cour carrée -maison traditionnelle pékinoise- qui a appartenu à un frère de l'impératrice Sissi. C'est aujourd'hui devenu un restaurant. On peut entrer et rester un moment, c'est idéal pour comprendre la vie de l'époque. Sans faire du sur-mesure a 100 %, en général on s'adapte aux demandes des clients. On a aussi nos trucs qui marchent bien. Ricardo, notre guide Italien par exemple, faisait lui même son Limoncello et proposait un pique-nique de pâtes et des légumes sur la muraille. C'est plus sympa qu'un sandwich, on a donc conservé la formule.
 
 
 

Pass (grande) muraille

Le side-car est un véritable pass pour voir la grande muraille, ça permet d'aller chercher des endroits éloignés de la foule des promeneurs. Comment choisit-on nos itinéraires ? D'abord, nous cherchons de jolis coins proches de Pékin. Ensuite, on essaye de trouver des routes qui traversent des villages et des collines pour profiter des motos. Il faut aussi que ce soit accessible pour tous, nous emmenons avec nous des enfants et des personnes de 70 ans. Pour des raisons de sécurité, nous n'allons pas sur la muraille sauvage, nous choisissons des portions restaurées ou semi-restaurées. Enfin, il faut une très belle vue en arrivant en haut et un endroit pour pique-niquer en cour de promenade. Parfois on va plus loin. On propose notamment des tours de 9 jours dans le Hebei, la province qui entoure Pékin. On va faire du cheval à 1000 m d'altitude, puis on descend sur Chengde -l'ancienne capitale impériale-, et on va ensuite à Beidahe voir là où la muraille se jette dans la mer.
 
Fresque sur le mur d'une maison paysanne
 
Un point de vue unique sur une portion de muraille inaccessible en bus

 

Touristes, expats et hommes d'affaires

Depuis deux ans nous développons des tours pour la clientèle expatriée, histoire d'atténuer un peu les aléas du tourisme. Un volcan qui se réveil au-dessus de l'Islande a des conséquences sur notre activité, même chose pour l'accident nucléaire au Japon qui a fait peur a tout le monde jusqu'en Chine. On a aussi le tourisme d'affaires. Nous proposons notamment un tour de deux heures en ville qui entre dans le cadre de l'agenda surchargé de ces hommes et de ces femmes pressés qui restent au maximum 3 jours à Pékin. Notre clientèle est à 60 % anglophone avec beaucoup d'Américains, à 40 % francophone dont une majorité de Français. On a aussi des Malaisiens, des Singapouriens... Pour les Chinois de Chine continentale en revanche, se déplacer en ville veut toujours dire rouler en voiture noire avec des vitres teintées. Mais la Chine évolue vite, donc les choses pourraient bientôt changer.
 
 
 

Le nez dans les pots d'échappement

La pollution contribue à donner une image désastreuse à Pékin. Sur le plan de la santé pourtant, les touristes qui ne restent qu'une semaine dans la capitale ne risquent rien. Le side-car est aussi l'occasion d'échapper aux grandes avenues en visitant les petites ruelles, ou d'aller prendre un bol d'air dans les montagnes autour de la capitale. Mais la pollution existe, il ne faut pas la nier et elle nous fait perdre des clients. On essaye de proposer des circuits thématiques, notamment sur la nouvelle architecture de la capitale qui comprennent des visites de musées. La prochaine étape, c'est un tour de Pékin en trottinette électrique. C'est pratique, on peut les plier et prendre le métro ou le taxi pour changer de quartier.
 
 

 

Un modèle qui fait des petits

Fin 2008, Thomas Chabrières est venu me voir en me disant : « C'est génial ce que vous faites, est-ce que je peux faire pareil à Shanghai ? ». On a tous les deux décidé de quitter nos boulots pour monter nos agences, lui à Shanghai et moi à Pékin. Il y a aujourd'hui des tours à Xi'an et dans d'autres villes touristiques de Chine. J'ai aussi une ancienne secrétaire et des chauffeurs qui ont copié le modèle à Pékin. Un de nos client a monté Barcelone Bright Side, un autre propose des tours à Amsterdam. Pour l'instant, nous nous restons sous le radar. On n'est pas assez gros pour qu'on nous dise : « Il faut laisser ça à un Chinois. »
 

Paysans devenu vendeur de souvenirs au pied de la muraille

 

L'un des guides de Beijing Sideways

 

V.I.P.

Une fois nous avons conduit une délégation de chrétiens démocrates flamands et un ancien Premier ministre Belge. Miss France et son petit ami ont fait le « singe » (passager du side-car), nous avons transporté Sophie Marceau, Frédéric Beigbeider, le nez de Hermes, le Secrétaire au Trésor de Nouvelle Zélande, le numéro 3 de Microsoft, Carine Fisher -la princesse Leila de Star War- etc...
 
Sur la route, un chateau en carton
 
La muraille loin des escaliers battus

 

Le truc le plus dingue

Parmi les demandes les plus surprenantes, un client un jour cherchait un masque d'opéra chinois avec une barbe. Je l'ai emmené dans une vieille ruelle où travaillent les artisans qui fournissent l'opéra de Pékin et ils lui ont fait son masque ! J'ai eu aussi des transferts en ville avec des groupes allant jusqu'à 60 personnes, soit 30 ou 40 side-cars qui se suivent, mais c'est très rare. La plupart du temps, les clients nous demandent simplement de leur faire découvrir des endroits préservés, de partager la Chine que nous aimons. Certains même nous écrivent. J'ai eu récemment un couple qui terminait sa lune de miel de six mois par la capitale chinoise. Après une croisière en Norvège, de la plongée en Australie, un trek au Ladakh, leur meilleur moment, selon eux, c'était la sortie en side-car autour de Pékin. On essaye de créer de la convivialité avec les clients, être des amis plus que de simples chauffeurs ou des guides.
 
avec les araignées
 
et les cigales.
 

Tours et détours

Pourquoi ne pas créer des tours en side-cars en France ? On pourrait y songer effectivement si l'occasion se présente. Cela me fait penser que notre ancien manager Yves était un parisien dont la grand mère venait de Guérande comme moi. Il est rentré en France en... side car ! Pour l'instant, j'aime encore me perdre dans mes tours à Pékin. Même pour la formule de deux heures, on fait quand même 30 à 40 kilomètres en ville et on a toujours des choses à découvrir. Partout où j'irai de toute façon, j'aimerai toujours me balader et chercher des coins sympas.
 
 
 
 
 
Compter 2000 yuans (un peu plus de 200 euros par personne) pour la journée entière et le pique-nique sur la Grande Muraille. Pour plus d'informations voir le site de Beijing Sideways.