Chine : Un dernier billet pour la route…

Voilà une semaine que nous avons quitté Pékin, sans même prendre le temps de vous dire au revoir chères lectrices et chers lecteurs de ce blog. Un grand merci à tous pour votre fidélité. Après trois ans et demi de correspondance chinoise pour RFI, il est temps de laisser la place à ma successeure.

 
Trois ans et six mois de radio du monde à Pékin, c’est peu comparé aux confrères qui restent au minimum cinq ans en Chine, et c’est de toute façon une poignée de secondes à l’échelle de ce pays continent où, comme dans le jardin du grain de moutarde des peintres classiques, tout change et tout reste immuable.

Petit fils de Mao

On s’est beaucoup amusé à tenter de vous faire vivre cette Chine qui fascine autant qu'elle irrite parfois. Trois ans pendant lesquels on a tenté de remplir l’immensité de la carte, sans jamais y parvenir évidemment. Trois ans à courir les trains, les avions, à boulotter des kilomètres de nouilles instantanées... Les menus bibles des grands restaurants des mégalopoles chinoises, comme le plat unique des petits estaminets des campagnes, ont laissé des traces sur votre humble serviteur. Deux ans de plus, et nous serions rentrés à Paris avec la silhouette du général Mao Xinyu.  
 
Alors évidemment, envoyé spécial permanent de RFI à Pékin quand la Chine obtient un prix Nobel de la paix, quand l’économie chinoise dépasse celle du Japon, quand un nouveau dirigeant se met à vendre du "rêve", ou quand des noms en mandarin fleurissent sur les rochers des mers de chine, ce sont forcément des années passionnantes. « Ce que j’aime dans les voyages disait Stendhal, c’est l’étonnement du retour ». Les voyages déforment la vieillesse, nous rentrerons de Chine forcément transformés.

Thé du commerce

Pendant ces trois ans et demi, comme tous les journalistes étrangers ici, nous avons joué au chat et à la souris avec les agents de la sécurité d’Etat. Nous avons également assisté à la fuite rocambolesque du dissident aveugle le plus surveillé du pays, ainsi qu'à la disgrâce puis au « procès du siècle », d’un dirigeant communiste à qui l’on promettait le soleil.
 
Trois ans encore ou nous nous sommes beaucoup trompés, quand par exemple, nous défendions avec aplomb l’avenir d’empereur d’un certain Bo Xilai, avant d'exposer, avec la même conviction, les raisons évidentes de sa chute. Trois ans de discussions à n’en plus finir au « thé du commerce » pour tenter de décrypter les coulisses d’un parti unique qui depuis 65 ans dirige le quart de l’humanité.   

Arrivée du sopalin

Trois ans et demi, pendant lesquels la Chine n’a finalement guère changé, malgré la multiplication des cafés et des boulangeries coréennes jusque dans les ruelles du vieux Pékin, l’apparition des purificateurs d’air, l’arrivée du sopalin dans les supermarchés Wu Mart (on attend toujours le jus de pamplemousse) et l'explosion des rayons wc & salle de bain dans les magasins de bricolage.
 
Correspondant pressé à Pékin, nous avons dévoré et adoré ce pays qui n’a rien à envier à nos amis Britanniques sur le plan de l’humour. Pour les sceptiques, la traduction des échanges des internautes chinois sur les réseaux sociaux, pourtant parmi les plus censurés au monde, suffit à s’en convaincre. Nous avons aimé la diversité, la bonhomie et la résilience d’un peuple et sa culture magnifiée par la beauté de son écriture.   

Faire de la radio en caleçon

Nous rentrerons aussi de Chine persuadés que ce pays n’a rien de l’Orient « mystérieux » et « compliqué » des explorateurs, pourvu qu’on laisse les Chinois le raconter. C’est ce que nous avons fait pendant ces plus de trois années, c’est ce que continuera à faire ma successeure.
 
Sur un plan pratique, c’est vrai que c’est très chouette de faire de la radio en caleçon depuis une cour carrée du vieux Pékin. Nous sommes même devenus les champions du lancer de pistaches, d’haricots rouges et de grains de riz, sur des oiseaux venus pointer leur bec -quand ce ne sont pas les chattes en chaleur- juste avant le début d’un direct. 

Pains farcis et nouilles sautées

Décalage horaire oblige, on a trouvé très chouette également le fait d’être en pleine forme quand Paris se réveil, et d’attaquer nos interventions matinales avec le bonjour du type qui entame l’ascension des Monts du Ciel. La contrepartie étant évidemment des journées de 16 heures, des pains farcis à la vapeur ou des nouilles sautées avalés chaque soir devant l’ordi, avant de rejoindre des dîners déjà terminés ; seule manière de répondre aux demandes de la conférence de rédaction à Paris pour qui il n’est pas encore midi.
 
Mais quand on aime, on ne compte pas. Au bol près, disons qu’après 3000 directs, papiers et reportages, après une quarantaine de longs reportages et des dizaines de billets sur ce blog, nous repartons avec la certitude qu’il nous reste tout à apprendre de ce pays. Certains également que la Chine, on devrait d’ailleurs dire les Chines, continueront à nous surprendre.         

Parties de cartes

Je laisse à ma successeure le soin de compléter les blancs sur la carte et quelques dossiers chauds. La fin d’un tsar (ancien patron de la sécurité publique aujourd’hui sous le poids d’une enquête pour corruption), la longue mutation de l’économie chinoise menacée à son tour par la crise, mais qui, si les réformes promises sont mises en œuvre, a toutes les chances de dépasser celle des Etats-Unis dans deux ans.  
 
Je veux pour terminer remercier mes consœurs chinoises du bureau de RFI Pékin, Anqi et Lu, sans qui rien n’aurait été possible. Merci aussi à Delphine, numéro 2 de RFI à Shanghai.
 
Merci à tous les Chinois que nous avons croisé sur les route. A cette grand-mère de Wukan (est) qui nous a fait comprendre en moins d'un après midi l’injustice et la corruption qui gangrènent le quotidien des Chinois ; A ces Kazakhs, Ouigours et Hans du Xinjiang (ouest), étudiants à la capitale, qui m’ont appris à jouer aux cartes chinoises et offert l’un de mes plus beaux voyages en train.

Dernier verre

Xiexie encore à cette institutrice de Chongqing (sud ouest) et son mari, qui nous ont fait goûter au meilleur pot-au-feu chinois (désolé pour les amis de Chengdu). Merci à ce chauffeur des plateaux du Sichuan (ouest) qui a pris de gros risques pour nous faire entrer dans les monastères interdits. Merci à tous ceux de la « petite Afrique » de Canton (sud) qui nous ont fait découvrir une autre Chine.
 
Merci aux copains de reportages, Brice, Philippe, Rémi, Virginie, Ursula, Seb, Gabriel, Alain, Sylvain, Jordan et tous les potes de Pékin. Merci enfin à tous nos auditeurs en Afrique et à tous les lecteurs d’Encres de Chine.
 
Un dernier billet pour la route… Comme le dernier verre ou les promesses du nouvel an lunaire, ce billet vous l’aurez deviné, ne sera probablement pas le dernier. Pour ne pas décevoir Chuangzuo et tous les fidèles du blog, nous reviendrons ici, de manière moins régulière mais dès que l’occasion s’en présentera, pour raconter encore la Chine, ses frontières et plus généralement cette Asie du Nord que nous aimons tant. 
  

 

21 Comments

Chapeau l'artiste ! Vive les nouilles sautées froides, les directs sous la couette, et tes voyages dans les trains bondés, avec ton micro ouvert. La Chine de Stephane va nous manquer !

Merci Stéphane et à bientôt sur les ondes de rf I?

On sent ton grand amour pour la Chine en lisant ce joli dernier billet... un jour quand tu seras expulsé par la France, je te cacherai sous la neige épaisse du nord-est de la Chine. Promis:)

Bravo pour tout ce que tu as fait Stephane. Je pense avec sincerite que tu as rendu compte de la Chine comme tres peu de journalistes francais ont su le faire. A bientot, bises
Michael Sztanke

Coucou l'ami,
Pas facile de suivre tes chroniques en Chine, pas facile non plus de te suivre au bar ! Certainement la censure !
Bon vent à toi.
Pascal

Un page se tourne... pour RFI, pour ce blog et pour toi ! mais quel beau chapitre tu as écrit, teinté de ces saveurs pékinoises que je peux encore sentir aujourd'hui depuis Paris 5 ans après... Bon courage pour le retour et j'espère à très bientôt ! (tu as 3 ans de péripéties chinoises à me raconter "en live" ;)
Amicalement,
Camille

Merci pour nous avoir fait partager votre expérience en Chine, est ce que votre successeur poursuivra le chemin que vous avez tracé via un autre blog???

Allons bon, encore un rendez vous avec rfi.fr qui va être moins régulier. Merci pour ces années de blog exemplaire, et bonne route pour tes nouvelles aventures
Pierre

Merci Annie.

Même loin, j'ai suivi de près tes reportages et ton blog. Surtout continue, là où tu seras, à publier tes reportages avec ton oeil et ta fraicheur. Un blog Ancre de Paris :-) ou autre? La barre est haute pour le (la) successeure !

@Christophe, merci et à bientôt à Paris ;-)

@Victor, j'étais végétarien avant d'arriver en Chine ;-)

@Jordan Je te renvoie les compliments copain. A très bientôt sur les routes du monde.

@Sony Chan Ce doit être de la télépathie chère Sony. Très souvent votre chronique a raisonné le soir à la nuit tombée dans une cour carrée du vieux Pékin. Je suis un grand fan. J’ai même dû m’habituer à Manoukian pour vous écouter ;-) Je suis en vadrouille quelques temps, je vous ferai signe une fois rentré à Paris.

Tu nous a émerveillé pendant ces trois ans et demi. Sur l'antenne de RFI bien sûr. Mais aussi sur Internet. Tes nombreux articles pour le site nous ont si souvent passionné...Je t'avoue que nous nous demandions quand même parfois si tu trouvais le temps de dormir. Et ton blog! C'est une chronique originale et si diversifiée de la Chine d'aujourd'hui que nous ne le retirerons pas de si tôt du site. Un livre en chantier peut-être? En tous cas, nous espérons tous t'écouter et te lire très bientôt!

Merci Monsieur! J'apprends sur mon pays en vous lisant. Chroniqueuse niakoué sur France Inter, j'espère avoir le plaisir de discuter avec vous.
Sony Chan

Merci Cher Confrère. Je suis la chroniqueuse niakoué de France Inter. J’espère vous croiser dans la maison!

bonne poursuite entre france et corée ;-) au plaisir de t 'entendre sous d'autres lattitudes...
et le moyen radical de ne plus etre le general mao xinyu, c 'est de devenir végétarien haha c 'est vrai qu 'en chine , les KG c'est dramatique...quoique en corée, attention à l'abus de poulets frits et de biere haha

Quelle plume cher ami et confrère !

Cette correspondance chinoise a été formidable à tes côtés. Tu es un journaliste exceptionnel, d'une humanité, d'une modestie et d'une sensibilité sans pareil, si proche de tes lecteurs et si proche des gens ordinaires aux "vies de roman" comme tu le disais souvent.

J'espère que tu porteras encore longtemps cette casquette de panda offerte par tes amis à ton départ, en souvenir des moments passés.

Je te souhaite plein de bonheur dans tes nouvelles aventures.

Flûte, je croyais que tu avais pris souche! Je m'amusais à lire Encres de Chine. Tes sujets étaient intéressants. Bravo, bonhomme! Je suis sûre que tu vas faire tout pareil bientôt ailleurs.

merci jean françois et à bientôt à paris ;-)

Bravo Stephane. Très beau boulot!