Mo Yan

Celui dont le nom signifie « ne pas parler » n’a donc pas dit grand-chose sur les droits de l’Homme hier lors de la conférence de presse à Stockholm. Il ne devrait probablement pas en dire beaucoup plus ce vendredi lors du discours devant les étudiants et avant la remise du prix Nobel de Littérature lundi. Cela n’enlève rien au talent littéraire du bonhomme. Par ce froid vendredi de décembre, nous nous sommes replongés dans la chaleur de l’automne du Shandong. La province natale de l’écrivain chinois dont nous avons ramené les images d'un Mo Yan en culotte courte.

 
 
Un soleil fané enveloppe le Shandong. Pour une fois, l’actualité de ce mois d’octobre est riante et il n’a pas fallu longtemps pour se décider. Un coup de fil la veille au soir à Brice Pedroletti, le correspondant du journal le Monde avec qui nous partons régulièrement en reportage ainsi qu’à Anqi productrice au bureau de RFI à Pékin: « Quelle bonne idée ils ont eu ces Suédois ! Evidemment qu’on y va ! » La bonne humeur est contagieuse. Sonia Rolley du service Afrique de RFI est de passage à la maison. Elle aussi veut voir la campagne chinoise et les habitants du « royaume de Gaomi » qui peuplent les romans du Nobel 2012. Clic clac ! Devant les guichets de la gare du sud de pékin, on retrouve également l’ami Gilles Sabrié. Le photographe du New York Times est lui aussi du voyage. Allez hop, nous avons rendez-vous avec un grand monsieur de la littérature.  

 

DR Images prêtées à titre gracieux par la famille de Mo Yan

 
Mais avant cela, un petit papier dans le train pour la route. Mo Yan a annoncé le matin même qu’il espérait la libération du prix Nobel de la Paix Liu Xiaobo. Comme souvent, les agences sont les plus rapides et moulinent des dépêches depuis la veille. Sonia joue les relectrice. Les mains courent sur les claviers. Brice écrit son article pour le Monde tandis que j’enregistre une petite bafouille pour la radio. Equipé d’une lampe frontale, la tête enfouie sous un blouson de manière à atténuer les conversations des passagers, je me prépare à enregistrer. C’est la technique dite de l’autruche, un vieux truc de reporter radio qui fait toujours son effet dans un train en marche. Dans la travée juste à côté, mon voisin me fixe avec un regard noir. J’aperçois aussi un autre regard intrigué deux sièges plus loin dans le couloir. Nous sommes en Chine heureusement, les passagers du D 339 Pékin-Gaomi en ont certainement vu d’autres. L’étonnement ne dure qu’une 1/2 seconde avant que chacun ne replonge, qui dans un bol de nouilles instantanées, qui sur l’écran de son téléphone. Par la fenêtre, le Tgv déroule un paysage épargné par la boulimie des pelleteuses. Le soleil est là, c’est déjà ça.  
 

 
Et nous voilà chez Mo Yan. On a raté la conférence de presse, mais il nous accueille chez lui. Bonjour Mo Yan, bravo ! L’écrivain habite une grande partie de l’année à Pékin. L’appartement de Gaomi, c’est pour se mettre au vert quand la tempête arrive. Or depuis deux jours, la tornade est là. Le cyclone qui frappe ce district du Shandong s’appelle « Nobel ». Une banderole de félicitation est accrochée à l’entrée de l’hôtel, nous la retrouvons un peu partout sur les restaurants et les routes alentours.  Il faut dire que nous ne sommes pas les seuls à avoir été tenté par le voyage. Le lendemain matin on se bouscule dans l’escalier du prix Nobel de Littérature. Avec nous il y a une télévision japonaise, un quotidien du sud de la Chine et une radio de Hong-Kong. Comme de nombreux français nous avons découvert Mo Yan grâce aux articles de Pierre Haski dans libération. Nous avons donc avec nous le Chantier amené de Paris. Mo Yan s’il vous plaît, une dédicace !   
 

Reportage RFI 22.10.2012 

 
L’interview sera de courte durée mais le plaisir est renforcé par la surprise. Nous ne nous attendions vraiment pas à le trouver ainsi en bas de survêtement en débarquant chez lui. Il nous maintenant reste à voir le village de son enfance et la maison familiale qui a nourri ses premiers romans. C’est à une trentaine de kilomètres sous le soleil du Shandong. Réveillé par la douce chaleur, le paysage semble ronronner de plaisir tandis que les paysans étalent à l’aide de grands râteaux le fruit de leur labeur. Le jaune est partout ! Les épis de maïs débordent sur les trottoirs, envahissent les routes, s’immiscent dans les cours des maisons et illuminent les visages.
 

 

 ►Conteur d'histoire Discours de Mo Yan le vendredi 7 décembre 2012

 

 

 

Guan Moxian, La faim et la solitude de son enfance ont enrichi son imagination

 

Photo SL

Diplômé du département de chinois de l’Université normale de Huadong à Shanghai, Guan Moxian est l’ainé de la famille qui a réussit à sortir du village pour étudier à l’Université. Envoyé au Hunan en tant que professeur de chinois dans une école d’enfants de mineurs après son diplôme, le grand frère du prix Nobel de Littérature 2012 est revenu à Gaomi en 1987 avant devenir vice-directeur du collège N°1 de Gaomi. Mo Ya raconte-il est resté cinq ans à l’école primaire avant d’en être chassé. Une blessure qui a marqué son œuvre.   
 

Boulimie de lecture

« Nous avons 12 ans de différence. Quand je suis parti au lycée, Mo Yan avait seulement 2 ans. On ne s’est vu que le week-end quand je rentrais à la maison et pendant les vacances. Il était petit pour moi, nous n’avons donc pas beaucoup joué ensemble. J’étais l’aîné et j’étais l’exemple car j’ai eu la chance d’aller à l’Université. A ce moment là, il ne se voyait pas passer toute sa vie à la campagne. Les livres que j’ai laissés à la maison, il les a tous lu. Il lisait tout ce qui contient des caractères, à commencer par mes devoirs quand j’étais au collège puis au lycée".
 
Photo SL
 
"C’est quelqu’un qui s’est fait tout seul aux prix d’un effort acharné. Mo Yan est un autodidacte qui a commencé très tôt. Ses premières nouvelles ont été écrites aux champs. Quand il était paysan, il a déjà écrit notamment un roman sur la construction du canal Jiaolai. C’est un récit en apparence réaliste qui raconte comment la commune populaire réalise ce chantier hydrauliques mais om l’on apprend que le propriétaire de la terre finit par couper les pattes des chevaux pour ralentir les travaux »
 

Viré de l’école en 1967

 
« Mo Yan n’a pas terminé l’école primaire. Pour aller au collège à l’époque, il fallait des recommandations. C’était réservé aux paysans pauvres. Or nous étions des paysans moyens donc nous n’avions pas ces recommandations. Cela a constitué un véritable drame pour lui évidemment. Tous les jours, il passait devant l’école pour aller faire les récoltes ou sortir les bœufs. Je me sens un peu responsable car j’étais à l’Université de Shanghai qui était baignées par les idées révolutionnaires. Je suis rentré au village en janvier 1967 et j’ai rapporté avec moi des tracts révolutionnaires."
 

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"Mo Yan les a lus. Il adorait lire comme je vous l’ai dis. Le courant révolutionnaire avait peu d’emprise à la campagne. A l’école Mo Yan a déchiré les horaires des cours. Et puis il a crié : ‘Les professeurs sont des maîtres esclaves, nous devons nous libérer’. Ensuite, il a entraîné ses copains dans chunlian comme on disait à l’époque, une équipée entre révolutionnaires. Ils ont été dans les autres villages. Il a pissé sur les lits des habitants. Quand il est rentré, il a été viré de l’école. » 
 

Collectivisme et révolution culturelle

« Quand Mo Yan a atteint l’âge de raison, le collectivisme est arrivé au village. Toutes les terres, nos outils de travail, un buffle et un âne que nous avions à la ferme nous ont été confisqués. Il y avait 13 personnes dans la famille. Les années les plus dures, ont travaillait toute l’année pour la commune et, à la fin, il ne nous restait plus rien. C’était une époque insupportable rien que d’y repenser. Je me souviens notamment d’un repas avec les treize membres de la famille. Il n’y avait que des légumes sauvages amers à manger et de la farine de maïs mélangé à de l’eau.
 
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"Quand je rentrais le samedi à la maison, je pouvais en boire huit grands bols sans que cela calme la faim. On aurait voulu manger les tables, les chaises et les tabourets si cela avait été possible. Dans les années 60, beaucoup de gens sont morts de faim au village, dont l’un oncle de nos oncles. J’ai eu aussi des camarades de classe qui sont mort. Certains sont partis dans le Dongbei (grenier à riz de la Chine dans le Nord est du pays à la frontière de la Corée du Nord) pour tenter de survivre. »
 

Le village

« Ping An a été crée suite à des vagues d’immigrations venus de tout le district et du comté. A la fin de la dynastie des Qing et au début de la République populaire de Chine, c’était inhabité ici. Mais les bonnes terres du district étant devenues trop chères, les gens sont venus défricher ici. Un mu 
(unité de mesure agricole en Chine) de terre dans le district est égal à 5 ou 6 mu dans notre village. La famille habite la région depuis des générations."
 
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"Notre arbre généalogique remonte à Guan Zhong. C’était un chancelier de Qi, pendant la période des trois royaumes. Durant la dynastie des Song du Nord, un autre Guan est arrivé également au poste de chancelier. Et puis, pendant la dynastie Ming, deux Guan de Gaomi ont réussi le concours pour devenir Jinshi, le plus haut niveau du concours impérial pour les fonctionnaires. »
 

1974-1976. L’usine de coton

 
« A l’époque, il n’y avait que deux solutions pour fuir la campagne : Aller à l’Université ou faire l’armée ! La révolution culturelle ayant fermé l’accès à l’Université pour les familles de paysans moyens sans recommandations, il ne restait plus de l’armée. Mais là aussi c’était difficile. Les paysans pauvres était privilégiés. Mo Yan a donc dû patienter".
 
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"Chaque année il passait l’examen de santé, mais chaque année un autre lui passait devant. Après les travaux des champs, il a travaillé à l’usine de coton pendant deux ans entre 1974 et 1976. Au début comme manutentionnaire, puis comme comptable. Il pesait les récoltes qu’apportaient les paysans et rédigeait les fiches. Et puis un jour que le chef de la production était absent. Il a retenté l’admission. Il a été reçu. Personne n’est venu le saluer, lorsqu’il a quitté l’usine. Le chef de production le haïssait, il lui a jeté a terre la lettre de mobilisation en criant son nom. Il ne voulait pas laisser partir un fils de paysan moyen à l’armée. »    
 

1976. L’armée

« Mo Yan est entré à l’armée à l’âge de 21 ans. Son unité faisait partie du troisième département de l’état major général de l’Armée Populaire de Libération. C’était le département des télécommunications."
 
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"La plupart des recrus étaient des techniciens et des intellectuels. En tant que soldat qui n’a pas fait l’école, Mo Yan n’y avait aucun avenir. Il voulait combattre sur le terrain pour avoir une promotion, et partir au Vietnam par exemple.»
 

Roman et réalité

« Ses œuvres reflètent en partie la réalité de ce village. ‘Le Clan de sorgho rouge’ est basé sur une histoire vraie par exemple. A l’époque, la guérilla du Guomindang était en guerre avec les Japonais. Il y a eu des combats près du village. Et puis il y a une réalité des personnages. Par exemple, dans le livre ‘ Tiantang Suantai Zhige’, le « quatrième oncle » est vraiment notre oncle."
 
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"Mo Yan a également rapporté ses souvenirs d’enfance dans ‘Le Radis de Cristal’. Il avait trop faim et il a volé un radis, mais le chef d’un groupe de production l’a découvert. Il a été contraint de s’agenouiller devant le portrait de Mao et a failli être battu à mort par notre père. C’est très déshonorant. Il fallait rester à genou pendant de longues heures en s’excusant devant le portrait du président. Ces séances d’humiliation avaient lieu en public évidemment. »
 

Imagination

« Mo Yan a été nourri des histoires que lui racontait son grand père. Il a aussi été bercé par la culture Qi et notamment les ‘Contes fantastiques du Pavillon des loisirs’ de Pu Songling. Il y a beaucoup de légendes dans les campagnes du Shandong et notamment des contes sur des renards et des belettes qui se transforment en esprit. Mo Yan a beaucoup écouté les récits des habitants et puis il a voulu s’échapper du quotidien par les histoires."
 
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"La faim et la solitude de son enfance ont enrichi son imagination en quelque sorte. Avant la réforme et l’ouverture en Chine, les relations humaines n’étaient pas du tout harmonieuses à la campagne. On souhaitait même parfois que les voisins meurent de pauvreté. C’est pour ça que Mo Yan aime et déteste Gaomi. Personne ne voulait rester ici, et ceux qui avaient des idées voulaient ‘sauter la porte du dragon’ »  
 
 
 
 
 

A lire  le reportage de Brice Pedrolleti dans le supplément culturel du Monde avec les photos de Gilles Sabrié