Un sud-coréen à Pékin

Trois jours, c’est déjà court ! La visite de Lee Myung-bak qui a débuté ce lundi était initialement prévue pour préparer le vingtième anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays (1992). C’est surtout la première rencontre entre Pékin et Séoul après la mort de Kim Jong-il.

 

 

Comment deux hommes que tout sépare peuvent-ils tomber d'accord ? D’un côté, un ex-PDG de conglomérat, ultra-protestant, proche des Etats-Unis et qui dans ses toutes premières décisions de président a fait installer un téléphone rouge à la Maison bleue (résidence présidentielle à Séoul) pour recevoir les coups de fils des grands patrons sud-coréens en détresse. De l’autre, le chef de l’état de la deuxième économie de la planète qui disait encore récemment sa méfiance d’une « occidentalisation » des esprits et qui doit en partie sont ascension à son passage par les jeunesses communistes. 

Décalage horreur

Première explication : Le poids de l’économie chinoise dans les exportations sud-coréennes. Les exportations vers la Chine représentent à elle seules 24 % de l'ensemble des exportations sud-coréennes.
 
Deuxième raison : L’instabilité de la Corée du Nord qui inquiète autant Séoul que Pékin. Pour les deux capitales, la rencontre devait donc intervenir dans les tous premiers jours de 2012 et avant le début d’une nouvelle année du dragon qui promet d’être agitée.
 
Longtemps limités à l’économie et au commerce, les échanges entre la Chine et la Corée du Sud ont été étendus grâce à un accord de partenariat global signé en 1998, lui même transformé il y a trois ans en pacte de coopération stratégique. Il fallait au moins cela pour tenter d'adoucir les angles dans des relations régulièrement agitées par les disputes maritimes autour des zones économiques exclusives et surtout par la question nord-coréenne.
 
Musique solennelle, beaux uniformes, au nord de la péninsule la légende du "grand successeur" Kim Jong-un est en effet en marche comme en témoigne cette vidéo diffusée par la télévision nord-coréenne.

 
Là encore, la perception des évènements récents n’est pas la même selon que l’on se trouve à Pékin ou à Séoul. L’accueil du fils héritier de la dynastie des Kim, âgé de moins de trente ans, a ainsi été plus que mesuré chez les officiels en Corée du Sud ; tandis que les responsables chinois faisaient preuve d'un enthousiasme certainement surjoué mais officiellement appuyé vis à vis du nouveau maître de Pyongyang.
 
Depuis 60 ans, Pékin soutient l’allié nord-coréen comme l’instituteur tient le col du mauvais élève ; d’une main aussi ferme que possible pour lui éviter de commettre l’irréparable. Depuis plusieurs mois au contraire, la diplomatie du président Lee n’a cessé de s’éloigner du régime de Pyongyang. A tel point que Séoul a finit par apprendre la mort du leader nord-coréen, un peu comme tout le monde, à savoir deux jours après et par la presse.      
 
J’arrête la comparaison pour souligner que le décalage horreur entre les deux hommes rejoint le décalage horaire d’un correspondant en Chine qui rentre d'Europe. Je profite aussi de ce début de nuit perturbé, pour vous traduire de l’anglais le compte rendu dressé par le pool de presse (en l’occurrence ici l’agence Reuters) qui a pu suivre les premiers échanges entre les deux délégations ce lundi.   

Première visite 2012

A 15 h 20 heure de Pékin, le président sud-coréen Lee Myung-bak rencontrait Wu Bangguo, le président du comité permanent de l’Assemblée populaire nationale de Chine. « Votre visite ne sera pas longue, mais elle est importante et vous êtes le premier leader étranger que nous recevons en 2012 a remarqué le numéro deux dans la hiérarchie du comité politique du Parti communiste chinois. » « Dans ce court laps de temps de 20 ans, nos deux pays ont fait progresser rapidement leurs relations, ce qui n’a pas de précédent dans l’histoire diplomatique a répondu le président Lee. Je veux croire que nous avons réalisé des progrès rapides avec la Chine dans les secteurs économiques mais aussi dans d’autres domaines »
 
A 16h17 après les hymnes et la fanfare au Palais du peuple, le président Hu a salué son homologue : « Vous êtes le premier leader étranger qui vient en Chine cette année (…), je suis persuadé que votre visite va encourager les échanges et la coopération, et contribuera à promouvoir des relations stratégiques saines et approfondies entre la Chine et la République de Corée ». « Le fait que mon premier déplacement à l'extérieur soit cette visite d'Etat en Chine revêt une signification extraordinaire" a affirmé de son côté le chef de l’Etat sud-coréen.
 
Les micros, stylos et caméras ont alors été priés d'aller voir ailleurs... On ne sait pas si Pékin a demandé à Séoul de faire un geste de bonne volonté à l’égard de Pyongyang, en augmentant à nouveau l’aide sud-coréenne à la Corée du Nord par exemple ? On ne sait pas non plus s’il a été question des récents incidents en mer jaune et de la mort le mois dernier d’un garde côte sud-coréen tué par un patron de chalutier chinois accusé de pêcher illégalement dans les eaux sud-coréennes.
 
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Actualisation du billet 11 décembre 2012 : Parmi les annonces concrètes formulées à l'occasion de cette visite, les présidents chinois et sud-coréens sont revenus sur le projet de zone de libre échange tripartite entre les trois géants économiques de l'Asie du Nord- est (Chine, Corée du Sud et Japon). Un projet encore loin de faire l'unanimité en Corée...
 
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Avec près de 24 % de ses exportations vers la Chine, la Corée du Sud est en effet l’un des rares pays industrialisés à ne pas souffrir d’une balance commerciale déficitaire avec l’empire du milieu. La zone de libre échange tripartite Chine-Corée-Japon est donc d’abord un souhait Chinois, même si selon le Premier quotidien de l’économie (Di Cai Jing Ribao) ici à Pékin, le PIB sud-coréen pourrait augmenter de 2,3 % en cas d’accord. Pour l’instant, on n’en est pas là… Selon l’agence Yonhap, le président Lee devait profiter de sa visite en Chine pour annoncer le début de négociations formelles avant la fin de l’été. Le début seulement car en Corée du sud, la partie n’est pas gagnée explique Shi Yong Min :

« Il est possible que les choses démarrent dans la première partie de cette année car le terrain est balisé depuis longtemps mais ce n’est qu’un début et il reste un long chemin à parcourir nous a confié ce professeur à l’institut chinois des relations internationales. A Séoul de nombreuses voix s’opposent à ce traité, l’agriculture sud coréenne est faible et le pays et il existe encore un fort protectionnisme.  »   
 
La Chine a besoin de machines outils, de semi-conducteurs, d’ordinateurs et d’écrans plats et il n’y a que la mer jaune à traverser. La Corée pourrait même devenir l'eldorado des touristes chinois pourvu que les hôtels pensent à installer des tables et des chaises dans leurs restaurants car pour "la plupart des Chinois, en particulier ceux qui sont âgés ou gros, il est très difficile de s'asseoir les jambes croisées sans ressentir une sensation d'engourdissement" indique le site China.org
 
Mais ce qui est bon pour les industriels ne l’est pas forcément pour l’agriculture. Les paysans sud-coréens sont inquiets. Si la zone de libre échange est adoptée, ils risquent de se retrouver sans protection face à la machine agroalimentaire chinoise ultra-productive et beaucoup moins chère. 
 
Selon les douanes chinoises, les exportations de la Corée du Sud vers la chine ont progressé de plus de 18 % entre janvier et novembre 2011. Quant au commerce bilatéral, il représentait 6, 37 milliards de dollars en 1992, 189 milliards de dollars en 2010 et pourrait atteindre les 300 milliards en 2015.
 
Pourquoi dans ce cas ne pas se contenter de ses bons chiffres se disent les sceptiques en Corée du Sud et peut-être encore d'avantage au Japon ? Peut-être parce qu'il ne s’agit pas seulement ici d’économie, cette zone de libre échange s’inscrivant aussi dans un partenariat plus global pour le développement et la stabilité de la région.

►  Accord sino-sud coréen en vue dans Les Echos

►  13 mai 2012 Début des négociations Séoul, Pékin, Tokyo sur une zone de libre échange. Bloomberg et Les Echos 

"China, Japan, S Korea to work towards free-trade pact" SCMP 14 mai 2012 
 

►  In Seoul, more see China playing a bigger role in contry's securityWSJ 14 mars 2014