Chen Guangcheng, « l'avocat aux pieds nus »

C'est rare, un héros à la radio. Même si le terme est souvent galvaudé, même si les héros n'existent que chez Disney, cette silhouette l'évoque quand même. Costume, cravate et lunettes noires, cette vie de sacrifice et de courage est aujourd'hui racontée dans une autobiographie publiée chez Globe. Chen Guangcheng a été accueilli toute une journée par le service chinois de Radio France Internationale, dont il connaît par cœur la plupart des noms des journalistes, y compris ceux des techniciens. On a presque eu envie de lui prendre la main pour lui faire visiter les studios, tellement le dissident aujourd'hui en exil aux États-Unis est un fondu du transistor. L'avocat aux pieds nus souhaitait visiter la radio qu'il écoutait sur ondes courtes en Chine au nez et à la barbe du pouvoir chinois. Monsieur Chen sera ce soir dans l'émission Decryptage à 19h10.

 

 

Grande évasion "à l’oreille"

Ce sont des pages pleines de terreur, des lignes où l'on entend battre les cœurs et, certainement, l'une des plus belles aventures humaines que l'on ait eu à lire jusqu'à présent. « Chen Guangcheng, l'avocat aux pieds nus », nul besoin de plus d'explications sur la couverture de ce livre dont RFI vous a parlé dès sa sortie au printemps aux Etats-Unis et aujourd'hui traduit en français. Car depuis sa fuite digne des meilleurs scénarios d'Hollywood en 2012, Chen Guangcheng, 43 ans, est devenu l'un sinon le plus célèbre des dissidents chinois derrière la figure de l'artiste Ai Weiwei.  

 

 

Et c'est justement par cette fuite que commence l'ouvrage. Ouvrez-le, promis vous ne pourrez plus vous arrêter ! Aveugle de naissance, Chen n'a rien vu de sa fuite. Il l'a imaginé avec son épouse Yuan Weijing. Puis, il l'a vécu ; il y a même survécu après s'être cassé le pied dans une chute ; il l'a surtout ressentie mètre après mètre, mur après mur, obstacle après obstacle, gardien après gardien. Une grande évasion avec les oreilles que l'ex-bête noire du régime communiste nous fait vivre exactement comme il l'a perçue. Une grande évasion sonore dont les moindres détails comptent et permettent de comprendre comment l'impossible est devenu possible : La fuite, jusqu'à l'ambassade des Etats-Unis à Pékin, d'un aveugle ennemi numéro un du régime et  surveillé par des dizaines de caméras et près de soixante dix gardiens. 

 

Photo SL

 

Le bruit et la frayeur

Les éditions du Globe auraient d'ailleurs pu parodier Faulkner et rebaptiser l'ouvrage "Le bruit et la frayeur", tant les sons sont omniprésents dans les premières pages. Ce n'est plus un récit haletant, c'est la terre ocre des maisons du Shandong qui nous remonte dans les ongles. Ce n'est plus un livre, c'est l'odeur des chèvres dans l'étable où s'est abrité provisoirement l'aveugle traqué que nous respirons. Ce n'est plus un scénario d'Hollywood ce sont les aboiements des chiens, les cris du fils handicapé de la voisine, le cliqueti des baguettes dans les bols en fer des sentinelles autour de la ferme familiale où Chen et sa famille étaient assignés à résidence, qui nous retiennent d'avancer dans la lecture de peur que l'avocat aux pieds nus ne soit découvert. 

 


Chen Guangcheng : "Il fallait que je m'enfuie... par rfi

 

Nous l'écrivions quand nous nous sommes rendus sur place en 2011, la stupidité et la brutalité de l'arbitraire dont faisait l'objet une famille, a rendu célèbre le village de Dongshigu niché dans le coude de la rivière Meng en Chine. Du fait des exploits du cinquième fils aveugle d'une famille de paysan devenu avocat, le voilà aujourd'hui dans un livre. Véritable parcours du combattu, « Chen Guangcheng, l'avocat aux pieds nus » est un hommage à l'audace et au courage d'une vie, ainsi qu'à l'ensemble des militants des libertés en Chine.        

 

Photo Yang Mei

 

Chen Guangcheng à la Tour Eiffel

Après avoir quitté la radio, les consœurs du service chinois de RFI ont emmené Chen Guangcheng et son épouse Yuan Weijing faire un tour de la capitale française. Clic Clac ! A la Tour Eiffel, « l’avocat aux pieds nus » est heureux d’apprendre que la visite est gratuite pour les non-voyants ; la gratuité pour les aveugles est un combat que le dissident a mené en Chine pour l’accès au métro de Pékin notamment. Clic Clac ! Au Louvre, Yuan Weijing fait part à son mari du mélange entre architecture moderne et classique. Enfin, c'est l’heure des achats pour les enfants. Dans un supermarché de la rue de Rennes à Paris, une touriste chinoise reconnait l’homme aux célèbres lunettes noires : « C’est lui, c’est Chen Guangcheng ! » Une ex-bête noire du régime communiste, devenue héros à selfie en occident.     


Chen Guangcheng à écouter ce soir sur la radio mondiale dans Décryptage de Nathalie Amar et sur le site de RFI. A réécouter également la semaine prochaine au micro d’Alice Milot dans l’émission 7 milliards de Voisins.

 

 

Photo YM

 

 


Extraits : - « Allongé sur le toit de ma voisine, je guettais le bruit des gardes installés devant la cour, me demandant ce que j'allais faire ensuite. J'entendais leur conversation, ainsi que les sons émis par les jeux auxquels ils jouaient sur leur téléphone portable. Je pensais au mur devant moi : la cour suivante se trouvait à plus de trois mètres cinquante en contrebas et je devais trouver un moyen de descendre. Dans ma jeunesse, je n'aurai pas hésité à sauter, mais les années de captivité m'avaient affaibli et cette solution était à présent trop dangereuse et trop bruyante. Je savais qu'un arbre poussait de l'autre côté du mur ; son tronc ne faisait qu'une dizaine de centimètres  de diamètre, d'après ce que Weijing m'avait décrit, mais si je parvenais à déterminer son emplacement exact, je pourrai m'appuyer dessus pour descendre. Alors que j’essayais de me souvenir précisément de son emplacement j’ai entendu un léger sifflement en provenance de notre maison. Weijing était montée sur le toit de notre cuisine avec une petite pelle, sous prétexte de ramasser du mais séché, que nous conservions dans un sac. -Dépêche-toi a-t-elle chuchoté avec urgence. Avance, avant qu’ils ne te voient ! »

 

- « En rampant, j’ai traversé la deuxième cour tout en veillant à ne pas être aperçu par Chen Guangfeng, le fils handicapé mental de ma voisine, un homme d’âge mur qui vivait dans une chambre cellule érigée dans la cour, avec une fenêtre ornée de barreaux. Je l’avais toujours connu ainsi enfermé et il beuglait du matin au soir en appelant sa mère, qui vaquait à ses occupations quotidiennes, sourde à ses cris. Touché par sa situation, j’avais autrefois tenté de l’aider, mais à présent je craignais qu’en me voyant, il me trahisse en criant mon nom. A quatre pattes, j’ai tenté de passer sous la fenêtre. Juste après la chambre de Guangfeng, il y avait selon les explications de Weijing trois enclos alignés, chacun de deux mètres de large environ, et la barrière du plus proche devait se trouver sur le côté. Seulement lorsque j’ai exploré le muret qui fermait les enclos. Je n’ai rien trouvé. Le chien aboyait encore de toutes ses forces et le temps pressait. Tremblant de peur, incapable de me contrôler, j’ai rapidement escaladé le muret de béton, haut d’un mètre vingt environ, et me suis laissé tomber sur le dos dans l’enclos. »
 

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