C’est vrai que nous sommes encore sous le choc de la nouvelle en arrivant sur place. Nous venions juste d’envoyer le message suivant sur facebook: « Le point de presse du porte-parole de la diplomatie chinoise a été annulé à la dernière minute, probablement en raison de la polémique sur le manque de structures d'accueil pour les non-voyants à Pékin »... Lorsque la dépêche Chine Nouvelle est tombée : "Le citoyen chinois Chen Guangcheng vient de passer 6 jours à l’ambassade des Etats-Unis qu'il a quitté pour faire des examens dans un établissements de soins à Pékin".   

 

 

Tempête sur twitter... Nous grimpons les étages sans dire un mot. Une préposée aux ascenseurs annonce les différents paliers : 5ème, 7ème et 9ème... Là encore surprise, il n'y a pas de comité d'accueil pour nous attendre mais des confrères arrivés quelques minutes plus tôt. Nous sommes alors une dizaine de journalistes, une vingtaine avec les chargés de productions, deux photographes, un JRI. 

 

Puis se produit cette scène tout à fait extraordinaire : L'aveugle le plus recherché de Chine arrive dans un fauteuil roulant poussé par deux infirmières, au ralenti comme dans un film.

 

 

 

Le mieux à la radio c’est évidement de raconter l'évènement en direct. Ces instants sont rares en Chine. Or cette fois, le héros des libertés, la bête noire du régime dont le nom est toujours censuré sur internet disparaît devant nous, dans le couloir VIP dont on nous barre l’accès.

 

Le ralenti reprend. Le fauteuil ressort d'une pièce, s'enfonce dans le couloir puis tourne dans la coursive sur la gauche. Il est là, il est là ! Il est désormais de l’autre coté du puits de lumière Chen Guang Cheng. L’ami Jordan Pouille à l'oeil dans l'objectif. Clic clac ! L’image de notre confrère de La Vie, Mediapart et de Métro va faire la Une du monde entier dont celle du Guardian, du NYT, du WSJ, du National Post, de USA Today, du Boston Globe, du Washington Post, de NPR, de Bloomberg, sans compter les blogs (FP, CRT) etc.  

  

On ne quitte pas la scène des yeux. Nous venons de terminer notre direct à la radio, nous sommes à la même fenêtre…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

Au 9ème étage encore, il y a Anqi la chargée de production du bureau de RFI à Pékin, Lei Yang et Catherine Mercier de la télévision canadienne, Jonathan Watts du Guardian, son photographe Dan qui a manqué de quelques secondes le précieux instant et notre autre copain le journaliste Suisse Rémi Quesnel carnet de notes et stylo à la main.

 

 

 

Pékin (XXX) - Il est 15h47 mercredi lorsque la dépêche de l’agence Chine nouvelle tombe sur les téléscripteurs. Une ligne, laconique, annonce que l’avocat Chen Guangcheng, après six jours passé dans l’enceinte de l’ambassade américaine de Pékin, a quitté les lieux de son plein gré. De son côté, une source au sein de l’administration US indique que le dissident va d’abord recevoir un traitement dans un centre médical de la capitale.

 

À 16h20, à l’accueil de l’hôpital de Chaoyang, à quelques pas du quartier des ambassades, rien ne laisse deviner l’arrivée du célèbre avocat aveugle à la section VIP au 9ème étage. Quelques journalistes occidentaux patientent dans une zone d’attente, tandis que quatre gardes de sécurité avec gilets pare-balles, casques en kevlar et matraque, ferment l’accès aux deux couloirs VIP. Des gardiens fluets et très jeunes leur prêtent main forte.

Chen Guangcheng est-il là? La présence des gardiens, le va-et-vient des hommes en blouses blanches et une certaine nervosité ambiante ne trompent pas. Peu à peu, de nouveaux journalistes arrivent. On entre toujours comme dans un moulin.

 

Parfois, une porte qui s’ouvre dans un couloir provoque un attroupement, mais pas de trace de Chen Guangcheng.

Un peu après 17h, quelqu’un annonce avoir vu le dissident, assis dans un fauteuil roulant, transféré de l’ascenseur dans le premier couloir VIP. La presse se précipite à l’entrée du couloir. Les gardiens, visiblement complètement dépassés par les événements, bloquent le passage tandis que plusieurs médecins et employés de l’hôpital s’emploient à empêcher les journalistes de filmer ou photographier. La tension monte.

 

À 17h05, un homme en blouse blanche, caméra en main, sort à reculons d’une chambre du premier couloir. Puis apparaît très brièvement Chen Guangcheng, assis dans un fauteuil roulant, ses lunettes noires sur le nez, poussé par une infirmière et accompagné de médecins. L’aréopage se précipite au fond du couloir, emprunte une galerie latérale en verre et rejoint une autre chambre dans le deuxième couloir VIP. L’opération aura duré une trentaine de secondes tout au plus. 

 

La suite est classique. Les gardiens ont reçu du renfort et tentent tant bien que mal de faire sortir les journalistes de l’hôpital. S’ensuit une partie de jeu du chat et de la souris, parfois avec le sourire, mais aussi des épisodes plus musclés. La désorganisation est totale. Puis la police fait son entrée, les journalistes sont acculés dans un coin. Vers 18h, tout le monde est dehors. 

 

Il ne reste plus aux journalistes qu’à faire le pied de grue aux différentes sorties de l’hôpital dans l’espoir de voir déboucher une voiture en plaque diplomatiques aux vitres fumées. Intrigué par l’attroupement, un badaud demande si l’ancien président Jiang Zemin est mort. Devant le salon de coiffure, les employés exécutent une chorégraphie sur fond de pop coréenne. La vie poursuit son cours, bien loin des considérations politiques.

 

Comment se fait-il que la presse ait pu pénétrer jusque dans la zone VIP de l’hôpital de Chaoyang sans le moindre contrôle? Pourquoi les forces de l’ordre n’étaient pas sur les lieux alors que l’homme le plus recherché de Chine venait d’arriver, précédé de nombreuses annonces sur Twitter? C’est la question que tout le monde se pose ce soir.

 

Rémi Quesnel

 

 

Les questions posées par Rémi trouveront peut-être une réponse ce vendredi. Chen Guangcheng a fait savoir hier à CNN qu’il souhaitait quitter la Chine avec sa famille et si possible dans l'avion d’Hillary Clinton. Chen Guangcheng raconte notamment au Guardian toujours au téléphone depuis sa chambre d'hôpital que plusieurs de ses amis ont été battus, qu'il craint pour sa sécurité et celle de sa famille.  

 

Son ami Guo Yushan précise de son côté qu'il souhaite désormais se rendre aux Etats-Unis pour "quelques mois" afin de s'y reposer et suivre des études à l'Université de New York. Une manière d'arrondir les angles car on imagine difficilement ensuite Chen Guangcheng revenir en Chine.

 

 

Le problème c'est qu'aujourd'hui « l’avocat aux pieds nus » n’est plus à l’ambassade mais toujours dans cet hôpital du centre de Pékin où il a depuis été transféré dans un autre batiment. Ce sont donc désormais les autorités chinoises qui ont repris la main.

 

Vont-elles accepter son départ ? Que vont-t-elles négocier en échange sachant que désormais Pékin à Gary Locke dans le collimateur ? Chen Guangcheng va-t-il à nouveau changer d’avis ?

 

Quand nous avons quitté l’hôpital de Chaoyang hier soir vers 22 heures, nous ne pouvions pas nous empêcher de repenser avec tristesse à la situation de cette famille dont l'horizon s’est à nouveau assombri après des années de persécutions et de souffrances.

 

Nous repensions aux soutiens de Chen Guangcheng venus confier leur inquiétude aux journalistes présents devant l’hôpital et prenant ainsi de gros risques.

 

 

« Soutenir Chen Guangcheng, c’est nous soutenir nous même a ainsi confié Du Yanlin à la forêt de micros tendue devant l'entrée de l'hôpital cet après-midi. En tant qu’être humain et en tant que citoyen, il est de notre devoir de nous battre pour la Justice même si nous sommes faibles. Pour défendre le droit –ndlr. CGC s’est battu notamment contre les avortements forcés et les stérilisations forcées de milliers de femme de sa province du Shandong dans le cadre de la politique de l’enfant unique-, un aveugle persécuté a été contraint de s’enfuir de sa propre maison. Personne ne peut accepter cela."

 

 

Fiasco diplo ?

 

"La peur poursuit le comptable du studio d’Ai Weiwei, lunette de soleil sur le nez en signe de solidarité, c’est comme notre système immunitaire. La première fois c’est terrible mais quand on l’a subit en permanence ont finit par être immuniser. On vient donc ici pour tester notre peur et pour qu’elle disparaisse petit à petit. Je crains que le gouvernement chinois ne ramène Chen Guangcheng à Linyi, dans les mains de ceux qui le persécute. Je l’encourage donc à quitter la Chine. Le gouvernement américain ne doit pas penser à ses intérêts à court termes, mais penser aux valeurs de l’Amérique et aider Chen et sa famille à quitter la Chine. »

 

Renvoyer Chen Guangcheng à Linyi alors que des caméras sont désormais été installées à l’intérieur de sa maison pour surveiller ses faits et gestes 24 h sur 24 ?

 

Nous marchions sur le boulevard endormi, terrifié en repensant à ce que venait nous dire Du Yanlin et en imaginant les conséquences pour le gouvernement Obama qui serait alors accusé du plus gros fiasco diplomatique de ces dernières années -cf. animation taiwanaise ci-dessous-.

 

 

En ressassant également notre stupéfaction en arrivant ici deux jours plus tôt devant le peu de personnel de sécurité : " C’est absurde, quelque chose ne colle pas…" Décidemment, il s’est passé quelque chose en cette fin d’après-midi de mercredi au 9eme étage de l’hôpital Chaoyang.

 

Mais l'histoire n'est pas terminée. La radio vient de m'appeler pour un nouveau direct dans une heure. Chen Guangcheng a lancer un appel directement aux représentants du Congrès américain. Puis le ministère chinois des affaires étrangères a fait savoir que Chen pouvait faire une demande pour étudier aux Etats-Unis, comme... n'importe quel citoyen chinois !

 

Couverture The Economist 5 mai 2012

 

 

Sachant que pour Pékin, un bon dissident est un dissident exilé il n'est pas sûr que Chen puisse ensuite rentrer en Chine après l'avoir quitté. C'est une "garantie pour sa liberté" mais ce sera aussi probablement un "one way ticket" -un billet à sens unique- affirme Zeng Jinyan sur twitter. Si toutefois CGC peut effectivement aller suivre des études à l'étranger, si la sécurité publique n'a pas le dernier mot dans cette affaire, les libéraux au sein du gouvernement chinois auront ici fait preuve d'une grande maturité à la mesure de la nouvelle Chine qui se construit. Si cela n'est pas vrai, si la famille est de nouveau assignée à résidence alors nous replongerons dans les ténèbres.

 

 

 

 

 

"Last call" pour le vol UA88 à destination de Newark, un aéroport de New-York. Chen Guangcheng, son épouse, sa fille et son fils ont pu enfin partir pour les Etats-Unis. Nous avons passé la journée a l'aéroport de Pékin afin de raconter ce départ à la radio. Un soulagement : les autorités chinoises ont respecté l'accord passé avec les Américains, à moins que ce ne soit l'inverse. Et des questions: Quel traitement va être réservé à ses proches restés en Chine ? Chen Guangcheng qui officiellement poursuit des études à l'Université de New-York, pourra-t-il revenir en Chine ? 

 

 

 

.../.