Corée du Sud: "L'enfer, c'est la Corée!"

« L'enfer, c'est les autres » disait Jean-Paul Sartre. Pour les jeunes coréens aujourd'hui, l'enfer c'est surtout leurs beaux parents et la Corée du Sud. Un sentiment qui a donné naissance à une expression : « Hell Choson ! » L'anglais « Hell » pour enfer et le coréen « Choson » pour le nom de la dynastie qui a régné sur la  Péninsule de 1392 à 1910. 

Voilà longtemps que les anciens et les modernes ne sont plus tout à fait sur la même longueur d'onde en Corée. Les anciennes générations ont sacrifié leur vie pour faire de l'économie coréenne ce qu'elle est devenue aujourd'hui. Bel effort, mais les plus jeune n'étaient même pas nés lorsque le fameux "miracle économique coréen" a permis de sortir le pays de l'ornière.

    

Miracle dans les chaussettes

Le souci, c'est qu'aujourd'hui le miracle est bien loin ! A l'image de la jeunesse de nombreux pays développés, l'entrée dans la vie active reste un défi pour les Coréens. Ces plaintes qualifiées de jérémiades par les anciens, traduisent pourtant un vrai malaise au sein de la jeunesse coréenne comme nous avions pu le constater à l'occasion de la dernière présidentielle.

Une foultitude d'articles sont parus dans la presse sud-coréenne à ce sujet. La Corée serait devenue l'enfer sur terre à en croire certains de ces jeunes qui dégainent plus vite les Hell Korea ou Hell Choson que le désormais vieillot Nique-Ta-Mère ! Les  termes ont couru les réseaux sociaux tout l'été, on les retrouve désormais en manchette des journaux.

   

Guerre à tous les étages

Et si ce n'est l'enfer, c'est au moins la guerre ! La Corée serait devenue difficile à vivre pour une jeunesse confrontée dès l'adolescence à la « guerre du baccalauréat ». En coréen le fameux « Soonung », le concours d'entrée dans les meilleures universités.

Puis la vingtaine arrive et, c'est la guerre pour trouver un travail si possible au sein d'un chaebol -un grand groupe- comme le souhaitent de nombreux parents en Corée.

Ensuite, c'est l'heure du mariage, une autre guerre pour les trentenaires. Trouver l'âme sœur et l'épouser nécessite d'abord d'obtenir un logement pour les garçons, une denrée de plus en plus chère dans les grandes villes.    

Enfin, on songe à fonder un foyer. Problème : L'éducation des enfants coûte un bras, voir deux. Du coup, les jeunes couples ne veulent pas d'enfant et la pyramide des âges coréenne conserve sa tête de champignon des mauvais jours. Une armée de seniors au sommet et un manque de naissances à la base du triangle.  

 

Révoltes paysannes

Hell Korea ou Hell Choson, l'expression est née suite à l'épidémie de coronavirus MERS qui a touché le pays en même temps que la sécheresse au début de l'été dernier. De quoi raviver la mémoire des temps anciens et notamment de la longue dynastie des rois Choson, une époque également confrontée à des vagues de maladies ainsi qu'à des périodes de sécheresse.      

D'où également le symbole de la lance en bambou qui a fait sa réapparition jusque sur les tapis de souris des adolescents. Une allusion cette fois à la révolte Donghak en 1894. Des hordes de paysans coréens en colère avaient alors osé se soulever, armes à la main, contre l'ordre féodal. Outre l'humour, Hell Korea n'est donc pas dénué de violences dans certains de ses propos.

 

Copie écran journal Kyunhyang

 

« Efforts, toi même ! »

Plus globalement, l'expression traduit le désarroi d'une jeunesse confrontée au chômage et/ou aux petits boulots à répétition qualifiés « d'arbeit » à l'allemande. Certains n'hésitent pas à parler d'une nouvelle forme "d'esclavage". Ils ne supportent plus « les efforts » réclamés par les anciens. La théorie de l'effort et du dépassement de soi qui a fait les belles heures de la dictature ne parle plus aux jeunes.    

 

« Il faut faire des ééééééfforts parce qu'on est né dans l'enfer de Choson » ironisait ainsi récemment le journal Kyunhyang. Une manière, là encore, de se moquer de la montagne de petits sacrifices réclamée par la société. Des efforts qui au final ne payent pas. A tel point qu'une partie de la jeunesse songerait à faire ses valises et à s'exiler à l'étranger souligne le quotidien de centre gauche.

 

« Vieux cons »

Là encore, la solution de l'exil pour sortir du supposé « enfer coréen » provoquent le sourire des anciens. « Si tu ne supportes pas la Corée du Sud, vas donc en Corée du Nord » lancent les plus conservateurs fatigués d'entendre la jeunesse se plaindre à longueur de journées ! Un gap générationnel qui se traduit par une floraison de « kondae » dans les lycées -« vieux cons » en français-.

 

Cahier de doléance 2.0, le site Hell Korea recense les propos de ces jeunes désabusés. Beaucoup y font preuve d'humour : « Certains naissent avec une cuillère d'or ("Kum soo joe") dans la bouche, mois je suis né avec une cuillère d'argile, probablement parce que je n'ai pas fait assez d'efforts pour naître. » Quand d'autres broient du noir : « Je suis tellement déprimé que je suis prêt à tout. Donnez moi une lance en bambou pour tuer les personnes bien nées ».

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