Corée du Sud: Bonjour tristesse

Les églises de Corée du Sud ont fait le plein ce dimanche, mais les prières de Pâques n'ont rien changé. Il n'y a pas eu de miracle à Jindo. Les eaux de l'île où a chaviré le Sewol mercredi ont continué à rendre des corps sans vie, aucun survivant n'a pour l'instant été retrouvé dans d'éventuelles poches d'air du ferry. Comme pour le Boeing de la Malaysian Airlines il y a deux mois, pilote et co-pilotes du navire sont pointés du doigt. Comme les familles du vol MH370, les parents des lycéens disparus du Sewol sont rongés de « pourquoi ? » Questions sur un naufrage.


Dessin publié sur twitter par @accomm411
 
 
 
274 élèves et professeurs du lycée d'Ansan ne sont pas revenus de leur sortie scolaire mercredi. Quatre jours après la drame, toute la Corée est encore sous le choc. Tôt ce matin, des familles des victimes qui souhaitaient se rendre à la « maison bleue », le palais présidentiel coréen, en ont été empêchées par un important dispositif policier. Heurts et colère raconte Martin Patience, l'envoyé spécial de la BBC. Les parents voulaient simplement savoir si tout a été fait pour sauver leurs enfants.

« Ne bougez-pas, restez dans vos cabines ! »

Ce dimanche, les autorités maritimes ont publié les échanges radio passés entre le Sewol et le centre de controle du traffic  maritime de l'île de Jindo au moment du naufrage. La conversation ne fait que confirmer l'entêtement du capitaine. Ce dernier a ordonné aux jeunes passagers de rester dans leurs chambres au 3ème et au 4ème étages du ferry, plutôt que de sortir sur le pont.
 
A 9h06, l'appel de détresse émanant du ferry arrive au centre de contrôle : « Nous coulons ! » S'enchaîne alors un dialogue de sourds qui va durer près de 30 minutes. Le centre d'alerte en mer demandant à l'équipage de distribuer les gilets de sauvetage et de mettre les chaloupes à l'eau, tandis que la capitainerie du Sewol ne cesse de s'interroger sur le nombre et l'heure d'arrivée des navires de secours.
 
On connait la suite : Le bateau qui bascule, les murs qui deviennent des plafonds... Il est alors trop tard pour évacuer le navire et sortir les bateaux de sauvetages (un seul de ces canots sur 46 ne sera finalement déployé). Devant les caméras des télévisions, le capitaine a continué samedi à justifier sa décision, en raison dit-il de la force des vagues et de la température de l'eau au moment des faits.
 
Les étudiants sud-coréens sont rompus à la discipline, beaucoup ont obéi aux injonctions qui venaient des haut-parleurs. Ils auraient mieux fait de désobéir estiment aujourd'hui la plupart des spécialistes, car le capitaine et ses officiers ne pouvaient pas faire pire en pareil cas. Ordre a été donné de rester dans les cabines, alors que l'équipage aurait dû au contraire : 1. regrouper les passagers aux différents points d'évacuation 2. vérifier que chacun porte un gilet de sauvetage 3. envoyer tout le monde sur le pont pour monter dans les canots de sauvetage. 

Course contre la montre, à retardement 

Mavaise météo ou manque d'organisation des secours ? Le soleil est revenu sur l'île de Jindo et les écrans des chaînes d'infos étaient remplis de bateaux ce dimanche. Ceux des gardes-côtes, de la police maritime, mais aussi des navires privés et les zodiacs des plongeurs.
 
Question : Pourquoi une telle armada n'a pas été déployée le premier jour, et surtout pourquoi il a fallu attendre hier samedi avant que les premiers plongeurs ne puissent entrer dans la coque du navire ? « Nous avons loué un bateau mercredi pour nous approcher de l'épave et chercher notre enfant, les plongeurs ne travaillaient pas » a confié l'un des parents d'élèves.

 
Cette inaction de départ a également été dénoncée par une plongeuse privée volontaire (Voir vidéo ICI). La chaîne MBN qui a réalisée l'interview a depuis formulé ses excuses. La plongeuse qui dit avoir entendu du bruit venant du navire est toujours recherchée par la police pour diffusion de rumeurs.
 
Mais la question demeure : Les secours ont-il trop attendu pour entrer dans le navire ? La police maritime justifie cette attente en raison de la vitesse des courants marins notamment qui auraient freiné le travail des sauveteurs. 

Guerre des plongeurs

Si on leur avait demandé de venir, les célèbres mamies plongeuses de Cheju (la grande île sur laquelle devait se rendre les lycéens) l'auraient très probablement fait. Comme souvent dans ce genre de catastrophe, les volontaires affluent pour tenter de donner un coup de main. Ici les plongeurs ont débarqué de toute la péninsule. On en comptait jusqu'à 660 samedi selon les gardes-côtes. La police maritime a même fini par reconnaître ce week-end que les plongeurs travaillant pour le privé étaient plus efficaces que ceux de l'Etat. L'équipement des plongeurs de la police ne leur permet de travailler que 15 minutes sous l'eau, alors que les plongeurs du privé ont plus d'autonomie.

Question : Pourquoi ne pas avoir laissé entrer les plongeurs volontaires dans le ferry le premier jour ? Deuxième question : L'Etat manque t-il de moyens en cas de catastrophe ? Avec une intention politique non dissimulée, l'opposition n'a pas manqué de critiquer la gestion pour le moins erratique des secours par le gouvernement Park Geun-hye. Elle n'a pas non plus manqué de rappeler que le plan destiné a accroître les moyens d'urgences en cas de catastrophe nationale, souhaité par l'ancien président Roh Moo-hyun, avait été jeté au panier par son successeur au prétexte d'économies.

En attendant de répondre à ces questions, les internautes ont célèbré ce dimanche les héros anonymes du Sewol, dont un capitaine de chalutier qui aurait sauvé 27 personnes. 

Faillite médiatique

C'est le journal anglophone Korea Times qui l'affirmait hier, les médias coréens ont fait beaucoup trop d'erreurs et le naufrage est vite devenu un cauchemar médiatique. Imprécisions, multiples erreurs de bilans, chiffres erronés sur le nombre des passagers à bord, erreurs factuelles aussi concernant les opérations de sauvetage, tout cela a finit par exaspérer les familles des disparus.
 
 
 
Nous avons été le premier média étranger a relayer l'information sur Twitter. Il était alors 9h46 mercredi matin en Corée. La dépêche de l'agence sud-coréenne Yonhap en anglais est arrivée sur le fil Twitter 12 minutes plus tard, soit à 9h58.
 
 
 
Or, dès le départ, les erreurs vont se multiplier. Dans un premier temps, Yonhap puis les médias coréens affirmeront que tous les passagers sont sauvés. Et il faudra attendre le communiqué du Lycée d'Ansan disant que 78 seulement des 352 lycéens ont pu regagner la terre ferme, pour que les bandeaux des chaînes d'informations commencent à s'affoler.
 
Là aussi on connaît malheureusement la suite. Près de 300 passagers, pour la plupart des adolsecents agés de 16 a 17 ans, seront finalement portés disparus. L'emballement et la vitesse de traitement de l'information sur une telle catastrophe sont-ils les seuls responsables ? La réponse est clairement non, car cette explosion de contre-vérités ou d'erreurs factuelles est d'abord liée non pas au messager mais à l'auteur du message.
 
Or ce bombardement de fausses annonces et de faux chiffres vient bien au départ des officiels. Trop peu de journalistes coréens ont visiblement couvert la catastrophe de Tchernobyl, la canicule en France ou plus récemment l'accident nucléaire de Fukushima au Japon. On le sait aujourd'hui, dans chaque catastrophe, tout au moins au début, les propos des autorités ne sont pas forcément paroles d'évangiles. Or sur les émissions spéciales des télévisions coréennes, outre des spécialistes venus expliquer le pourquoi du naufrage ou les différentes techniques de sauvetages, nous avons vu essentiellement se succéder des conférences de presse avec des représentants du gouvernement en blousons jaunes, des représentants des médecins en blouses blanches, et ceux des gardes-côtes dans leurs uniformes.
 
Pendant ces deux premiers jours, il y a eu très peu de reportages,  peu de témoignages des familles ou des plongeurs volontaires par exemple. Seuls les médias étrangers présents à Jindo dans les premiers jours, on pu faire entendre la voix discordante des proches des victimes (ci-dessous le reportage de France 2).
 
 
 
Devant un tel discrédit, qui pourrait se solder par une plus grande méfiance encore vis à vis des grands médias à l'avenir, l’association des journalistes de Corée du Sud tenait à réagir ce dimanche expliquant que ce sont les familles des victimes qui ont refusé de parler aux journaux coréens par manque de... confiance justement.

Sewol – Costa Concordia

Faut-il interdire les sorties scolaires en Corée ? La question a été posée sérieusement par certains médias, car ce n'est pas la première fois que des mamans attendent leurs enfants qui ne revient pas de l'école (à lire sur ce blog Korean drama). Mais la question serait peut-être ici d'avantage : Faut-il interdire les sorties scolaires en bateau ? Ce dimanche les télévisions ont ainsi multiplié les rapprochements entre le capitaine du Sewol et celui du Costa Concordia.
 
La rumeur n'a pas inventé de "maîtresse moldave" au capitaine du Sewol, mais sa lâcheté comme pour le Costa Concordia a explosé à l'écran dans des images le montrant sous une couverture et tentant de se dissimuler parmi les passagers rescapés. D'autres images montrent également le capitaine du Sewol et plusieurs membres d'équipages, portant des gilets de sauvetage, et premiers à descendre de la passerelle du ferry, abandonnant les passagers à leur sort (lire sur ce blog: L'âge du capitaine).
 
Mais le commandement du navire n'est pas le seul en cause visiblement. Les enquêteurs s'intéressent également aux défaillances de Chonghaejin, la compagnie maritime propriétaire du Sewol, qui n'en serait pas à son premier accident. Et comme pour le Costa Concordia auquel on avait demandé de croiser au plus près des côtes pour faire frissonner les touristes, la question se pose de savoir si le Sewol n'était pas trop pressé de terminer sa rotation ou de rattraper le retard à l'embarquement.
 
L'enquête le dira.... En attendant, une chose est sûre, le ferry construit en 1994 au Japon, ne répondait pas aux nouvelles normes de sécurité établies après le naufrage de l'Estonia en Europe, qui a entraîné la mort de 910 personnes le 28 septembre 1994.
 
Toutes ces interrogations ne trouveront véritablement de réponses que dans l'enquête qui risque d'être longue. Ce n'est pas le doute qui rend fou c'est la certitude dit le philosophe. Ici pourtant, ce sont bien ces questions qui ajoutent à la douleur des familles.
 
 "Est-ce que vous ne pouviez pas, ou est-ce que vous n'avez pas sauver nos enfants ?" Image publiée sur Twitter par @soonhearim
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

Actualisation du billet :

 
Yonhap 21 avril 2014 Le gouvernement coréen reconnait qu'il n'était pas préparé face à une telle catastrophe: Governement Fails to Keep Promise of Hiring More disaster's experts
 
Capture écran navires de recherches dimanche 20 avril. 
 
 
21 avril 2014 Un présentateur ne peut retenir ses larmes alors que la liste des victimes s'allonge. VIDEO ICI 
 
Les chaines d'infos ont diffusé d'avantage d'images des recherches sous-marines et multiplié les interviews avec les plongeurs. Des reportages sur la manifestation des familles dimanche matin, ainsi que de la confrontation avec les policiers ont également été diffusées.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Par ailleurs, le fils du PDG de Hyundai et candidat à la mairie de Seoul a lui du s'excuser après avoir écrit sur Face Book que les Coréens qui critiquaient le gouvernement méritaient un tel naufrage. Même chose pour le ministre de l'éducation qui n'a pas pu s'empêcher d'avaler un bol de nouilles instantannées devant les familles éplorées du gymnase où les parents des disparus sont regroupés.
 
 
 Les héros anonymes du Sewol, sauveteurs vivants et disparus
 
 
 
 
Joogang Ilbo 22 avril 2014 Le quotidien s'engage auprès de ses lecteurs a ne rapporter des informations sur le Sewol qu'auprès de sources "confirmées".
 
 
 
 

 

La faute à Confucius ?

 
Au lendemain du naufrage, un débat devenu classique lorsque se produit un désastre en Corée du Sud, a émergé à propos de supposées racines culturelles du naufrage. En gros : Est-ce que l'éducation confucéenne et le respect de la hierarchie inscrits dans la culture coréenne auraient conduit tout un équipage a respecter la parole du commandant de bord, même quand ce dernier ordonnait aux lycéens de rester dans leurs cabines alors que le navire penchait à 45 degrées ?
 
Cette hypothèse d'une trop forte obéissance dans la tempête avait déjà emergé lors de crashs ou d'incidents survenus sur des vols de la Korean Air. Là aussi le co-pilote aurait continué à suivre la volonté du pilote même quand ce dernier était dans l'erreur, pour de supposées valeurs propre à la culture coréenne.
 
Mais à la différence des incidents aériens, cette fois le débat a lieu essentiellement dans les médias étrangers. Les Coréens que nous connaissons en sont d'ailleurs assez attristés. Imaginer que Confucius est responsable d'un naufrage dans la Corée de 2014, est pour eux non seulement exagéré, mais également totalement déplacé. 
 
Pour vous faire une opinion, voici ci-dessous des articles parus dans la presse anglosaxonne qui évoquent la question.

Time 17.04.2014 South Korea Ferry Disaster : A Nation Searches for Answers

 
 
 
Los Angeles Times 22.04.2014 Ferry disaster fills South Korea with shame
 

 
The Korea Herald 09.05.2014 We owe you an apology
Juste et touchant mea culpa de l'un des deux quotidiens anglophones de Seoul. Nous étions sur le terrain mais nous avons fait comme si nous y étions pas dit le journal, nous reposant uniquement sur les points de presse officiels. Le public a dû chercher ses informations sur internet, c'est la preuve de l'échec des médias traditionnels : "When families of the victims cried and screamed that rescue efforts weren’t going as the government said they were, we turned a deaf ear, pretending to be impartial, noninvolved observers, writing our reports based on numbers released by the government and the marine police, who were absent from the scene. (... ) Many of my acquaintances spoke of such frustration, too. Instead of watching mainstream media reports, they decided to rely on independent alternative media outlets ― many of them run by one person ― to find out what was really happening on the island of Jindo, off which the ferry sank. All of this is proof that the mainstream media has failed."
 
 
 
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2 Comments

La nuit porte conseil.
Je suis très bousculée par cette nouvelle preuve du peu de cas que l'on fait de la vie humaine et de la douleur intolérable et de la destruction qu'elle engendre quand elle est en pure perte et tellement vaine, véritable saignée de forces vives de notre humanité, liée peut-être à notre procréation sans contrôle qui fait que nos vies ne sont plus rares donc peu chère économiquement parlant.
J'ai déjà flippé le 11 septembre 2001 quand au détour de RV pro ma sœur m'a annoncé ce qu'il se passait et demandé où se trouvait ma fille censée être sur les lieux ...
Depuis ... ma fille, qui avait pris un avion la veille sur une envie urgente de rentrer sans prévenir personne, me fait penser que si l'on doit s'en remettre à l'instinct ... tout est foutu pour un système dramatiquement défaillant pour la survie.
On est bien à rester chez soi finalement ?

En effet, le simple bon sens fait sombrer dans la perplexité la plus totale face au constat ... tragique sur tous les plans, de ce naufrage.

Merci d'avoir mis en mots les questions que tout le monde se pose.

A Kuala Lumpur, un boeing de la Malaysia Airlines a du faire demi tour après quelques heures de vol et un atterrissage d'urgence après que des morceaux d'un pneu du train d'atterrissage aient été retrouvés sur la piste. Il avait éclaté lors du décollage, apparemment sans que les pilotes ne s'en rendent compte ...