Chine: Des robots et des hommes

Elle sont impressionnantes ces images venues de Dongguan dans le sud de la Chine. Depuis le cinq avril dernier, les arrêts de travail se multiplient dans "l'usine à chaussures du monde". Près de 30 000 ouvriers de Nike, Adidas, Converse, New Balance réclament une amélioration de leurs conditions de travail et critiquent les carences de leur couverture sociale. Les autorités de la province du Guangdong auraient déjà trouvé la parade : Des robots vont remplacer les salariés sur les chaînes de montage.

 
 
C'est une première dans l'histoire du mouvement social chinois. 30 000, peut-être même 40 000 ouvriers qui cessent le travail comme un seul homme pour réclamer de meilleures conditions salariales, c'est en terme de nombre probablement un record, même si ce n'est pas la première fois que les ouvriers du groupe Yue Yuen font parler d'eux. En novembre 2011, 7 000 salariés de "l'usine à chaussure du monde" s'étaient déjà mis en grève suite au licenciement de dix-huit de leurs cadres. Le mouvement s'était alors terminé par des affrontements avec les forces de l'ordre qui avaient fait des dizaines de blessés.   

Crainte d'une délocalisation

Yue Yuen est une société à capitaux taiwanais qui chausse le monde entier en Nike, Adidas, Puma, Asics, Converse et New Balance. Ce qui ne l'empêche pas de traîner les pieds dans le versement de certaines allocations sociales promises à ses salariés. Pour calmer la grogne, l'entreprise a donc promis un rattrapage de ces pensions impayées d'ici fin 2015. La proposition a été rejetée par les grévistes, inquiets par la perspective que la direction puisse brusquement mettre la clé sous la porte et délocaliser la production, sans honorer ses promesses, « un cas de figure classique en Chine » racontait mercredi l'AFP. En 2011 déjà, ces mêmes salariés craignaient que les chaînes de montage soient transportées dans la province du Jiangxi où l'entreprise dispose également de lignes de production et où, surtout, la main-d'oeuvre est meilleure marché.

Aides à la robotisation des usines

Peur d'une délocalisation sachant que dans son dernier plan quinquennal, le gouvernement central incite à la grande migration des usines, des régions côtières à l'est, vers le centre et l'ouest du pays. Peur aussi d'être remplacés affirme notre confrère Charle Liu. « 30 000 ouvriers en grève à Dongguan, des robots prévus pour les remplacer » titre ainsi le Nanfang Insiders. Une directive pour le développement industriel émise par la municipalité de Canton et les autorités du Gangdong autrefois appelé « l'usine du monde », encourage ainsi, via des aides aux entreprises, « l'utilisation de robot pour remplacer la main d’œuvre ». L'objectif est que la production manufacturière de Canton soit à 80 % réalisée par des machines d'ici à 2020. "Le gouvernement de Canton estime que la hausse des coûts salariaux (...) est l'occasion d'un déploiement accéléré de robots" précise le Global Times

100 000 robots en 2020

Et ce n'est pas tout ! Selon le Nanfang, les autorités de Canton envisagent également de construire 2 ou 3 zones industrielles dédiées à la fabrication de 100 000 robots par an en 2020. La Chine pourrait ainsi devenir « le premier marché mondial de robotique dans l'avenir (…), dans un contexte de hausse des coûts de la main-d’œuvre » affirmait en 2012 un ingénieur Suisse au Quotidien du Peuple. Cela évidement précise le titre du journal officiel, pour « améliorer l'efficacité industrielle ». Car si le marché du robot est en plein boom depuis 2008, il reste encore de la marge. Selon la Fédération Internationale de la Robotique citée par l'organe du parti communiste chinois, la Chine utilise 21 robots pour 10 000 ouvriers contre 339 pour le Japon, 251 pour l'Allemagne et 135 pour les États-Unis.

Fin d'un monde

Des robots plus dociles pour remplacer les salariés sur les chaînes de montage ? L'idée a déjà été adoptée par Foxconn sur certaines lignes de production. Le projet a été largement communiqué à la presse, même s'il reste bien difficile de les voir ces machines "intelligentes". La dernière fois que nous avons relançé le géant taïwanais de l'électronique pour tenter de visiter ses usines de robots, nous avons reçu une réponse on ne peut plus claire : « Nous ne pouvons malheureusement pas accéder à votre demande, car le sujet est encore médiatiquement sensible. » Tu m'étonnes ! Remplacer les ouvriers par des robots n'est pas seulement "médiatiquement sensible", ce n'est pas juste l'entrée dans une nouvelle ère industrielle ; c'est la fin d'un monde pour les ouvriers chinois. 
 

 

 

A (RE)LIRE sur Atlantico : "Quand les Chinois réclament des hausses de salaire, on les remplace par des robots" 

A (RE)LIRE sur ce blog : « Chine : Quand les ouvriers s'éveilleront »

A (RE)VOIR Les Observateurs France : Cambodge : « Les forçats du textile » 

A (RE)LIRE sur Rue 89 : « Voici le nouveau visage de l'ouvrier de Foxconn »

A (RE)LIRE sur ce blog : "Tsingtao Boy, l'ultra libéral chinois Jin Liqun"

 
 
 

Actualisation du billet :

 

Bloomberg 24 avril 2014 Adidas a décidé de sortir une partie de ses lignes de production de l'usine en grève

France Info 26 avril 2014 Fin de grève forcée à l'usine de chaussures Yue Yuen

South China Morning Post 6 avril 2015 US$154 billion rise of the robot plane for pearl river delta manufacturing

Rue 89 7 avril 2015 L'industrie chinoise se robotise massivement

South China Morning Post 12 avril 2015 Robots change the face of labour