Le gouvernement chinois entend changer de modèle de croissance. Autrefois basée sur les exportations d’un « made in china » à bas coûts de « l’atelier du monde », la croissance chinoise devra à l’avenir reposer sur le marché intérieur et donc sur une classe moyenne amenée à se développer. Pour la sociologue Guo Yuhua, on n'y est pas encore...
Guo Yuhua, Pékin, Janvier 2014 Photo SL
Intellectuelle réputée pour ses analyses affutées sur la société chinoise, Guo Yuhua est professeure au département de sociologie de la prestigieuse université de Tsinghua à Pékin. Nous l’avons rencontré dans le cadre d’un reportage sur les nouveaux loisirs en Chine diffusé sur RFI au début de cette année.
Guo Yuhua : "La classe moyenne reste un terme fourre-tout en Chine"
Peut-on parler d'une classe moyenne chinoise en 2014 ?
En Chine, les choses sont un peu plus compliquées que dans la plupart des pays développés. En théorie, la classe moyenne devrait effectivement être la force principale d'un pays devenu deuxième économie du monde. La Chine aurait dans ce cas une structure de population en forme d’olive, avec un large diamètre au centre et des extrémités rapprochées. Or pour l’instant, nous sommes encore dans une structure de type pyramidale avec une base très large et un sommet étroit. En fait, la classe moyenne est encore de l'ordre du concept en Chine. Il y a beaucoup de recherches qui ont été publiées sur ce sujet dans les Universités chinoises. Personnellement, je pense que certaines populations qui ont été rangées dans la catégorie « classe moyenne » sur des critères de revenus, refuseraient aujourd'hui de se reconnaitre comme telles.
Parler de classe moyenne chinoise est donc impropre ?
Non, c’est important de parler de l’émergence d’une classe moyenne chinoise. Mais il faut aussi se demander ce que l’on entend par là. Personnellement, je ne crois pas qu’on puisse simplement définir la classe moyenne par ses revenus ou alors il faut parler d’une « classe moyenne des revenus » mais ce n’est pas la même chose. Le statut d’appartenance à la classe moyenne doit répondre à plusieurs critères dont celui des revenus. Il faut y associer celui de son influence politique, de ses pratiques culturelles, de ses modes de consommations etc…
Comment définir la classe moyenne chinoise dans ce cas ?
Si l’on s'en tient à une simple définition basée sur les revenus, cela n'est pas pertinent. Du point de vue du sociologue, trois clés permettent de saisir la société d’aujourd’hui. Ces trois clés sont le pouvoir, le marché et la société. Les relations entre ces trois éléments devraient être équilibrées ou au minimum régit par une interaction saine. Or, ce n’est pas le cas aujourd'hui. Au contraire, on fait face à une hypertrophie du politique en Chine. L’espace réservé au pouvoir est trop grand, presque sans limite. Et même si nous sommes devenus une économie du marché, la société et l’économie chinoise reste très influencée par le pouvoir politique. C’est ce que la terminologie officielle appelle le « socialisme de marché. » Comment la classe moyenne peut-elle émerger en pareil cas et alors que l’espace réservé à la société est réduit à la portion congrue ? Le marché et surtout le pouvoir politique occupent tout l'espace disponible, et la société doit se contenter d'un placard.
Les réformes annoncées lors du « 3ème plénum » promettent une libéralisation de l’économie…
Oui mais rien n’a été dit concernant la société. La classe moyenne devrait être la force principale dans une société de citoyens, alors qu’en Chine les termes même de « société de citoyens » sont proscrits.
On a parlé récemment de l’émergence d’un « mouvement des nouveaux citoyens », c'est la classe moyenne qui donne de la voix ?
Au risque de me répéter, la malformation de la classe moyenne chinoise est donc liée à trois facteurs principaux :
1. Un pouvoir aux ressources quasi illimitées.
2. Une économie de marché encore incomplète.
3. Une société chinoise cantonnée dans un cadre si étroit qu'il empêche toute émancipation.
Dans ce contexte, le « mouvement des nouveaux citoyens » ne peut être interprété comme le signe d’une émergence de la classe moyenne ou d’une élévation de la base de la pyramide. C’est au contraire la preuve que nous ne sommes pas dans un processus normal d’évolution de la répartition des pouvoirs, mais dans le cadre d’éruption protestataires face à une trop grande pression du politique.
Quels sont les moyens d’expressions de ces « nouveaux citoyens » ?
Sans parler de la classe moyenne, même les riches ne se sentent pas en sécurité. Beaucoup de Chinois fortunés ont du mal à se projeter et choisissent d’immigrer à l’étranger ou disent penser à l’immigration. Le système reste instable en raison du droit de propriété. On a un appartement, une voiture et un bon salaire, mais on n’a aucune idée de ce qui se passera demain. Il y a aussi toutes les agressions à l’environnement, la qualité de vie dégradée, et toutes attaques dont sont victimes les associations. Tout cela contribue à renforcer le sentiment d’insécurité. Ces riches qui s’en vont, ils « votent avec leurs pieds » comme on dit en Chine. Quitter le pays est pour eux aussi une forme de contestation. Bon et puis il y a des façons de s’exprimer plus positives. Certains hommes d’affaires qui ont réussi dans l’immobilier se font entendre. Quand leurs affaires vont bien, ils songent à s’engager d’avantage, à assumer plus de responsabilités sociales. Des personnes comme Wang Shi, Ren Zhiqiang, Wang Ying se sont ainsi exprimé pour une plus grande responsabilité sociale du monde des affaires. Evidemment, il s’agit encore d’une minorité.
La classe moyenne chinoise n'existe pas encore, qu’est-ce qui pourrait définir des habitudes ou un mode de vie s’en approchant ?
S’il fallait absolument définir une classe moyenne chinoise, je dirai que ce sont des gens qui sont plutôt à l’aise financièrement. Ils sont propriétaire d’un appartement, ils une ou des voitures. Ils ont peut-être aussi une résidence secondaire à la campagne. On les reconnait également à leur façon de consommer des produits de marques, c’est ce qui fait leur identité. C’est aussi des références en matière de consommation, on partage les mêmes goûts entre amis, on va dans les même clubs, on pratique les même sport, on envoie ses enfants dans les mêmes écoles.
Le ski fait partie des loisirs qui ont émergé ces dernières années en Chine, et on a l’impression qu’il y a de plus en plus de monde sur les pistes. C’est la classe moyenne qui dévale la pente ?
Ce que vous appelez la « classe moyenne » en occident, pour la majorité des Chinois il s’agit des gens riches. Les marges de la classe moyenne restent encore très floues. On ne sait pas par exemple si les hommes d’affaires qui se sont enrichis en font partie, où si la plupart des membres de la classe moyenne sont des fonctionnaires, ou des membres de famille de fonctionnaire qui ont beaucoup d’argent. Les contours restent flous, la classe moyenne est encore un terme fourre-tout en Chine. Ce dont on est sûr en revanche, c'est que le nombre des gens qui vivent à la base de la société est immense. Ce qui ne veut pas dire d'ailleurs qu’ils sont puissants et que leurs droits sont respectés. Le plus urgent aujourd’hui est donc de permettre aux Chinois qui se trouvent au pied de la pyramide de s’élever. La priorité est de respecter leurs droits pour arriver à une société plus juste et plus égale.
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