11 janv. 2013 - 14:52
Les 6 millions d’abonnés au compte weibo (le twitter chinois) d'Annie Yi (Yi Nengjing en mandarin) attendent des nouvelles de leur idole. Le dernier post de la chanteuse-actrice remonte à hier après midi. « Je vais boire le thé, j’espère qu’il sera bon a alors indiqué Mme Yi. » Son message a aussitôt disparu des réseaux sociaux.
Thé-toi et marche !
Les Chinois sont devenus les rois de la métaphore quand il s’agit de sujets sensibles. L’expression « aller boire le thé » signifie évidemment toute autre chose qu’une partie de petits doigts levés. Boire le thé ce serait même en l’occurrence « boire la tasse », puisque l’expression signifie être convoqué par les agents de la sécurité publique.
Du coup, les théières et les bols remplis du breuvage des empereurs ont fleuri sur le net chinois depuis quelques jours, manière probablement d’être encore plus explicite. Annie Yi, l’ancienne égérie de Hou Hsio Hsien (Good Men, Good Women) n’est en effet pas la seule à avoir eu droit à ce moment de dégustation. Le promoteur immobilier Ren Zhiqiang a rencontré les agents en civil le 7 janvier, même chose pour Lee Kaifu, l’ancien patron de Google Chine convoqué à son tour deux jours plus tard. « Le thé est très mauvais » a alors commenté cet ancien responsable du géant américain de l’internet. Avant d’ajouter : « Maintenant on ne parle que du nord, de l’est et de l’ouest de la Chine et on ne mentionne que les jours de la semaine ». Une allusion directe au Nanfang Zhoumo, le grand hebdomadaire du sud du pays qui parait le week-end, et qui, chose rare ici, a osé se mettre en grève lundi pour s’opposer à la censure.
"Chien du pouvoir"
Chanteuse à 16 ans, avant de devenir actrice, Annie Yi a soutenu ouvertement les journalistes en grève, en faisant référence dans ses messasges aux points cardinaux : « Le Sud est si loin, je ne vois plus la réalité de ce côté-là, l’obscurité à triomphé pour le moment ».
Elle s’en est prise aussi directement à un article du Global Times qui titrait ce week-end : « Les médias doivent jouer le rôle du chien qui garde la porte pour défendre les intérêts du pays ». Réplique immédiate des internautes : Le journal proche du pouvoir a été qualifié aussitôt de « chien de son maître » sur la toile, avec là encore des images évocatrices. Mais pour le reste, silence ! L’attaché de presse de l’actrice que nous avons joint ce matin au téléphone, nous a affirmé qu’elle refusait les interviews pour le moment, sans toutefois préciser où Annie Yi se trouve. Une manière de dire qu'elle a été invitée à se taire.
Les journalistes du Nanfang Zhoumo et des Nouvelles Pékin solidaires cette semaine face aux autorités, sont d'ailleurs également aux abonnés absent depuis que la rédaction de l’hebdomadaire du Sud s’est remise au travail mercredi. Ceux que nous avons contacté nous ont fait comprendre qu'il était difficile pour eux de s'exprimer en ce moment. Quant à Tuo Zhen, il n’a visiblement pas été destitué contrairement à ce qu’affirmait une télévision de Hongkong cette semaine. Cela pourrait venir mais en attendant le chef de la propagande de la province du Guangdong, a été aperçu hier dans une réunion de cadres écrit le Quotidien de Canton.
"Bouillie de riz"
La dernière fois que le Nanfang Zhoumo s’est exprimé sur la censure c’était de manière indirecte sur le compte weibo du journal lors de la reprise du travail mercredi. Le post faisait alors référence à un journaliste molesté à Changsa (Sud) après s’être fait passer pour un vagabond afin de tester les services d’assistance aux plus démunis. Le titre du post était alors plus qu’évocateur et directement lié au bras de fer entre la rédaction et les autorités de la propagande : « Si le système change écrivait alors le Nanfang Zhoumo, l’oppression demeure. »
Les Nouvelles de Pékin ont soutenu les confrères de Canton en filant la métaphore avec un dossier consacré mercredi au « gruau de riz ». Là aussi, tous les lecteurs du journal ont vite compris. La bouillie de riz en mandarin se dit « Nanfang de Zhou », un clin d’œil plus que prononcé là encore au Nanfang Zhoumo."Toute la rédaction à le moral au plus bas" nous disait mercredi l'un des rédacteurs des Nouvelles de Pékin sous couvert d'anonymat.
Journalistes debouts
Quel bilan tirer de cette fronde des journalistes chinois en début de semaine ? On note d'abord que le mouvement a été relayé pour la première fois, au delà d'internet et des personalités, par des citoyens qui sont venus appuyer la rédaction devant le siège du journal (Cf. à ce sujet "la blogueuse qui fait trembler Canton" en Une du journal le Monde daté du 10 janvier). On note aussi évidemment que l'enthousiame est vite retombé. Le combat contre la censure semble loin d’être gagné et plusieurs personnalités qui se sont mobilisées dont l'artiste Ai Weiwei, demandent aujourd’hui à la rédaction des éclaircissements concernant l’issue des négociations qui ont conduit à la parution du magasine jeudi.
Il ne faut pourtant pas minimiser la portée de ce qui s'est passé cette semaine à Canton. Pour la première fois, des journalistes chinois se sont levés contre la censure d'un numéro spécial intitulé : "Rêve de Chine, rêve d’un gouvernement constitutionnel » qui prenait, au pied de la lettre, un discours du futur président chinois Xi Jinping consacré au respect de la Constitution chinoise justement. Le mensuel Yanhuang Chunqiu a lui aussi titré sur la Constitution comme « vision commune pour la réforme politique ». Il s’est également fait taper sur les doigts et le site du mensuel restait censuré ce vendredi.
Si ces deux petits jours de grèves n'ont donc pas permis la destitution du chef de la propagande de la province du Guangdong [histoire peut-être de lui conserver un minimum de "face", son éviction pourrait venir plus tard] ; s'ils n'ont pas non plus empêché la répression des activistes ; au moins seront-ils parvenus à faire éclater au grand jours les agissements du bureau de la censure. C'est "le début de la désobéissance civile en Chine" veut croire l'organisation Human Right In China et en tous cas une véritable "prise de conscience" au sein de la profession.
Précision : Ce billet a d'abord été un papier radio le matin sur RFI avant de s'enrichir dans la journée pour finir sur ce blog. Nous n'avons donc pas vu arriver entre temps cette dépêche de l'Agence France Presse en anglais intitulée :
"'Warning' for China celebreties ouver censorship". L'AFP mentionne notamment la reine du réseau social chinois weibo (l'équivalent de twitter censuré ici). L'actrice Yao Chen compte plus de 32 millions de followers. Elle aussi rejoint le mouvement des anti-censure en publiant
cette semaine le logo de l'hebdomadaire du sud associé à une citation du dissident russe Alexandre Soljenitsyne : « Une parole de vérité pèse plus que le monde entier ». On ne sait pas en revanche si elle a été invitée à "boire le thé".
A lire sur le sujet :
RFI 09.01.2013 Dans la presse chinoise, la grogne monte contre la censure
RFI 10.01.2013 'Nanfang Zhoumo': le contrôle des médias en Chine doit être en phase avec l'époque
Time 10.01.2013 Crusading Chinese Journalists End Their Stroke, but Don't Expect Media Freedoms to Follow
NYTimes 10.01.2013 Chinese Newspaper Protests End, but Battle Over Censorship is Unresolved
SCMP 10.01.2013 Chineses netizens turns to metaphors to condemn, evade censorship
HRIC 11.01.2013 Southern Weekly Incident : The Rise of Civil Disobedience in China
Shanghaiist 12.01.2012 Taiwanese singer Annie Yi becomes free speech heroine after openly supporting Southern weekly
Beijing News 16.01.2013 Déclaration du bureau chargé des relations avec Taïwan sur CCTV :
"On accueille volontier les artistes taiwainais en Chine continentale, mais ils doivent respecter les lois et les règlements en vigueur".
SCMP 30.01.2013 "Former Google China boss complains of censorship on Twitter"