Beijing blues pour les confrères chinois

« En Chine on ne manifeste pas dans la rue, on va plutôt boire un verre ». Ces propos pour le moins révolutionnaires sont de l’un des rédacteurs du Beijing News avec qui nous avons justement pris un verre .

 

 

Comment commencer ce blog sinon en rendant hommage aux confrères chinois et au Beijing News. Ce jeune quotidien était connu jusqu'alors pour ses reportages dérogeants à la traditionnelle  plume de bois de la presse officielle. Certains se demandent aujourd'hui si cela va durer... 

2 x 4 bougies et 1 enterrement

Le journal s’apprêtait en effet à souffler ses 8 bougies et l'anniversaire s’est finalement transformé en enterrement –idem d'ailleurs pour les cousins du Beijing Times.- Début septembre 2011, les Men in Black de la mairie de Pékin débarquent au journal pour expliquer qu'il s'agit de rendre le titre plus performant, mais sans bien sûr toucher à la ligne éditoriale.

« Tout a été si vite ! On a appris que la Mairie prenait le contrôle du journal la veille et le lendemain ils sont venus dans les locaux pour nous dire ce qui allait se passer ». Stupeur chez les rédacteurs : « Certains ont pleuré et puis on a été boire un coup tous ensemble. »

 

Première édition du Xinjingbao, Beijing News.


La presse est muselée, du coup elle picole. Après huit années de coexistence tumultueuse, les deux groupes de presse (Guangming group et Southern group) qui géraient le titre ont mis la clé sous la porte.

En coulisse, il se dit d’ailleurs que la reprise en main avait déjà commencé depuis un petit moment. La balance penchait plutôt du côté du Guangming (proche de la ligne officielle), ce qui avait rendu certains claviers plus fébriles.

En 2005, l’une des figures du journal est écartée. Yang Bing le rédacteur en chef de l’époque a eu le malheur de déplaire au département de la propagande.

Comme un seul homme la rédaction décide alors -déjà- de payer la tournée générale. « A la différence d’aujourd’hui, on est resté au restaurant. Ce sont les chefs qui ont dû revenir le soir pour écrire les articles, sinon le journal ne sortait pas. »

Plume de bois

A moins de ne parler de la Chine que sous son aspect économique (usine du monde hier, banque mondiale aujourd’hui), tous les journalistes étrangers dans ce pays ont forcément connu un jour des démêlés avec la propagande, voir avec le bureau de la sécurité publique.

Cela a au moins le mérite de pimenter les dîners en ville, sachant que pour l’instant les choses n’ont encore jamais été trop loin. C’est évidemment une toute autre histoire pour les journalistes chinois. L'investigation relevant bien souvent de la "mission impossible". Certains prennent d'ailleurs de très gros risques pour obtenir les informations.

 

Sun Hongjie sur son lit d'hôpital, photo Xinjiang Matin.

 

Cette année encore, Sun Hongjie et Li Xiang en ont payé le prix. Même CCTV n’est pas à l’abri. L’été dernier, deux journalistes de la chaîne d’Etat se sont fait molester par les gros bras d’une usine chimique à Dalian dans le nord-est du pays. L'usine a dû fermer depuis sous la pression de la rue.

Les deux journaux pékinois repris en main par la municipalité n’avaient pas leur plume dans leur poche. Le Beijing News, s’est même offert une série d'articles début août, pour dénoncer les « prisons noires » où disparaissent pour quelque temps les contestataires. Des lieux hors de toute juridiction qui sont utilisés notamment pour calmer les ardeurs des pétitionnaires venus réclamer justice à la capitale. Au grand jeu du « pierre-feuille-ciseaux » entre la presse et les autorités, l’acier des censeurs a pourtant une longueur d'avance sur le papier.

Le Beijing News s’est ainsi retrouvé allégé de 9 pages fin juillet. La contre-enquête du journal sur la collision entre deux trains rapides à Wenzhou cet été n'était pas du goût des autorités.

Cet épisode constitue d'ailleurs l’un des principaux arguments de ceux qui à l’intérieur du journal restent optimistes : « La censure existait avant. La différence aujourd’hui c’est que la mairie de Pékin a de l'argent et les salaires devraient donc augmenter. »

A suivre...

 

 

 

Pour aller plus loin, à lire l'analyse de Nolwenn Salmon dans la Vie des idées d'octobre 2011. C'est à propos du livre de David Bandurski et Martin Hala, à lire aussi bien sûr pour les anglophones...

 

 

 

 

 

 

 

Actualisation du billet

La vérité vient du cœur. Le 4 décembre dernier, le nouveau patron de CCTV a expliqué ce qu'il pensait de sa conception du journalisme en Chine et en l’occurrence des rédacteurs employés pour la télévision publique.

Les journalistes qui se définissent comme des "professionnels" plutôt que comme "des travailleurs pour la propagande" commettent une "erreur fondamentale sur leur identité", a déclaré dans un discours Hu Zhanfan, qui a pris ses fonctions à la tête de CCTV en novembre.
 
 
"La première responsabilité et éthique professionnelle d'un membre des médias doit être de comprendre son rôle et d'être un bon porte-parole", a ajouté le responsable, qui était auparavant le chef de la rédaction du Guangming Daily.
 
Ceux qui "abandonnent" cette position "n'iront jamais très loin", a ajoute le nouveau patron de la télévision centrale de Chine (Agence France Presse)

28 mars 2012 Courrier International  Journalistes next door, les provinces se méfient des journalistes d'à côté.

3 juin 2012 Yu Chen, journaliste et responsable de la chronqiue "en profondeur" du Nafang est contraint de démissioner

23 juin 2012 Passe d'arme au South China Morning Post entre le rédacteur en chef et son adjoint au sujet de la couverture de la mort du dissident Liu Wangyang. L'échange d'emails rapporté par Global Voices semble insiquer une reprise en main du quotidien de HongKong.  

2 juillet 2012 Malaise au South China Morning Post raconte l'AFP

22 août 2012 A la télévision Centrale de Chine, les commentaires sont parfois assurés par des gradés de l'Armée populaire de Libération qui ont tout un tas de conseil à donner aux jeunes journalistes. "Pour un bon commentateur, la connaissance n'est pas la chose la plus importante confie ainsi sans le moindre humour le général Zhang Zhaozhong. Le plus important est votre conscience politique et vos qualités morales. La première vous oblige à rester inconditionnemment dans la ligne du Comité central du Parti, et les secondes vous oblige à vous discipliner strictement". (Shanghaiist 21.08.2012)

23 aout 2012 « Si on ose penser, on n’ose pas le dire. Si on ose le dire, on n’ose pas l’écrire. Et même si on ose l'écrire, on n'a pas de lieu pour le publier ! » La phrase court les réseaux sociaux ce jeudi 23 août. C'est Yu Chen, ancien journaliste du Nanfang Dushibao qui l'a posté en hommage après le suicide de son auteur. Xu Huaiqian était rédacteur en chef adjoint au supplément littéraire « la Terre » du Quotidien du Peuple. Il s’est défenestré de chez lui la veille. Il avait 44 ans et souffrait de dépression.

Xu Huaiqian

 

11 septembre 2012 Global Voice Pourquoi les journalistes chinois abandonnent le terrain ? 

16 septembre 2012 L’un des photographes du South China Morning Post a été sévèrement battu par des agents en uniforme alors qu’il couvrait des manifestations antijaponaises sur la côte-est. Felix Wong Chi-Keung a été jeté à terre et roué de coups par la police de Shenzhen dimanche 17 septembre, alors qu'ils couvraient des manifestations anti-japonaises dans la ville. Quatre à cinq policiers lui ont frappé le visage, les bras et les jambes à coups de matraque. La SCMP  a condamné l'usage excessif de la force et a fait savoir qu'il allait déposer une plainte. «Je prenais des photos de policiers poursuivant des manifestants et tout à coup un officier anti-émeute s'est approché de moi," raconte le photographe. «J'ai posé mon appareil et j’ai mis les mains en en l'air. J'ai répété en mandarin que j’étais journaliste, mais il ne m’a pas écouté. J'ai alors été poussé vers le bas du terrain et puis quatre à cinq officiers sont venus et m'ont frappé avec des matraques. J'ai continué à crier que j’étais journaliste reporter, mais cela ne les a pas arrêtés. Ils sont partis quand ils ont vu que mon nez saignait." SCMP 17.09.2012

Photo SCMP

28 septembre 2012 Zhou Xiaoyun, un journaliste traqué pour avoir dénoncé la corruption Libération 28.09.2012

19 octobre 2012 Presse dissidente ? Le Figaro 19.10.2012

6 janvier 2012 "Chine, la fronde des journalistes d'un célèbre hebdomadaire se poursuit" Le Monde 06.01.2013

8 janvier 2012 "Chinese protest outside newspaper gates in rare censorship demo" Reuters 08.01.2013

8 janvier 2012 "Vent de révolte en Chine contre la censure des médias". Figaro 08.01.2013

Beijing News page 20 9 janvier 2012

9 janvier 2012  Par solidarité avec le grand quotidien du sud (Nanfang Zhoumo), le Beijing News (Nouvelles de Pékin) a refusé de publier un article pro censure dans son éditorial. Devant la résistance de la rédaction, l'article est réduit et noyé au coeur du journal. "Tous les rédacteurs ont été convoqués cette nuit à 1h du matin nous dit l'un des confrères, nous avons tenu bon mais nous avons le moral au plus bas". Dai Zheng le rédacteur en chef des Nouvelles de Pékin a annoncé oralement sa démission. Son nom et celui du journal ont disparu des moteurs de recherche dans la journée. RFI 09.12.2012

9 janvier 2012 Les journalistes du Nanfang ont repris le travail après avoir été en grève contre la censure. Selon des sources au sein du journal cité par l'agence Reuters, Hu Chunhua le secrétaire du parti communiste du Guangdong serait intervenu directement dans les négociations. Le chef de la propagande de la province méridionale n'a pas été contraint à la démission tout de suite pour lui permettre de sauver la face.  

9 janvier 2012 Le Beijing News publie un article consacré à la "bouillie de riz" qui en Chinois se dit "Nanfang de Zhou", allusion à "Nanfang Zhoumo" le journal du sud victime de la censure. Beijing News 09.01.2012. Les termes "bouillie de riz" sont eux aussi censurés.