"Papy wealthy" Wen

Les dirigeants chinois n’ont pas pour habitude de démentir publiquement les informations publiées dans les médias étrangers. D’ordinaire le porte-parole du Ministère des Affaires Etrangères s’en charge et on s’arrête là. Cette fois la famille Wen Jiabao a dégainé les avocats. Une question d’image… Suite aux révélations du New York Times, « Papy Wen » est devenu « Papy (Wealthy*) Wen » (*riche)

 

 

 

Le roi est nu et il y a comme des courants d’air dans les allées de Zhongnanhai, le palais des dirigeants chinois au cœur de Pékin. Le roi est nu, c’est en tous cas ce qu’affirme le New York Times dans son édition du vendredi 26 octobre dont la Une est consacrée aux « richesses cachées » de la famille du Premier ministre chinois.

L’information a été immédiatement censurée en Chine continentale. Mais cela visiblement n'a pas suffit ! En Chine, l’armée des ombres s’appelle les internautes. Les censeurs ont beau censurer, avec les réseaux sociaux l'information finit toujours par passer.

Deux avocats de la famille Wen Jiabao ont dû ainsi intervenir pour « clarifier » les « rapports mensongers » rapporte ce matin le Sunday Morning Post à Hong-Kong.

« Rapports mensongers »
Un communiqué en six points dont le Sunday s’est procuré une copie et qui dément les « soit disant révélations » sur des « richesses cachés » de la famille Wen. Les avocats du Premier ministre menacent même de poursuivre le New York Times en justice (RFI 28.10.2012)
Communiqué des avocats publié par le SCMP 28.10.2012.
 
 
Cette sortie des avocats est révélatrice des craintes du pouvoir pour l’image du chef du gouvernement. Malgré la censure, l’enquête publiée par nos confrères du New York Times a fait l’effet d’une bombe.
 
On ne touche pas à un Premier ministre considéré comme un réformateur et un héros de l’anticorruption y compris dans les chancelleries étrangères. Toujours le premier à chausser les bottes sur les catastrophes naturelles, le Chef du gouvernement a finit par être surnommé affectueusement « Papy Wen » par la presse officielle.
Trésor de famille
Or le portrait dressé par le NYT est tout autre. Pour David Barboza, auteur de l’enquête et correspondant à Shanghai du journal, les proches de Wen Jiabao ont amassé une fortune de plus de 2 milliards 700 millions de dollars. Le père du Premier ministre a été contraint d’élever des porcs pendant la révolution culturelle, sa mère Yang Zhiyun était institutrice.
 
Mais depuis, la famille a fait beaucoup plus que sortir de la pauvreté affirme le quotidien américain. A 90 ans, l’ex-enseignante serait devenue la « reine des diamants », un secteur régulé par l’Etat chinois souligne le New York Times, quand son cousin, patron d’une usine de retraitement de déchets, aurait bénéficié de 30 millions de dollars de subventions publiques.
 
« Les membres de la famille Wen Jiabao ont peut-être pris trop littéralement le prénom du chef de gouvernement plaisante Melissa Chan en reprenant le bon mot de Nicholas Bequelin, porte-parole de Human Rights Watch à Hong-Kong. Notre consoeur de la chaîne Al-Jazeera a dû quitter le territoire chinois en mars dernier, les autorités ont refusé de lui renouveler son visa de travail : « Jia » et « bao » signifient « Trésor de famille » en mandarin.
 
New York Times 26 octobre 2012 : "Un examen des dossiers des entreprises et des contrats montre que les proches du Premier ministre (…) contrôlent des avoirs pour un montant de 2,7 milliards de dollars » précise le New York Times. "Dans de nombreux cas, les noms des parents ont été cachés derrière des rideaux de partenariats et d’investissement impliquant des amis, des collègues de travail et des relations d’affaires ».
 
Tout cela est faux affirment aujourd’hui Bai Tao et Wang Weidong, les deux avocats cités par le SCMP. Avec un argument de poids : La mère de Wen Jiabao « n’a jamais eu de revenus (…) autres que la pension qui lui est versée par l’Etat ».
Dirigeants fantômes
En attendant les Chinois ne peuvent pas lire le journal depuis trois jours. Impossible d’accéder au site du New York Times sans un logiciel pour contourner la censure. Impossible tout simplement d’obtenir une réponse lorsqu’on tape le titre du quotidien américain sur les principaux moteurs de recherche. Même le nom du Premier ministre a disparu du web ! 
 
 
Un scénario qu’on a déjà connu au printemps dernier lorsque l’agence Bloomberg avait révélé la fortune de la famille Xi Jinping. Là aussi, l’agence avait été immédiatement censurée, et le nom du vice-président chinois avait disparu de la toile. En Chine, les dirigeants deviennent des fantômes du net lorsqu'il s'agit d'effacer  toute allusion à leur passé.
 
C’est « une riche et même très riche famille, et la Chine ne veut pas que cela se sache » explique la radio publique américaine NPR. Car si de nombreux Chinois sont persuadés que la nomenklatura tire avantage de sa position, le montant des avoirs des familles régnantes était jusqu’à présent resté à l’abri des hauts murs de Zhongnanhai, le palais des hiérarques du régime à Pékin obsédé par la question de la légitimité dans un pays sans élection.
Un an d’enquête
Malgré cette intervention des avocats, le New York Times affirme que si c’était à refaire, il recommencerait même si le « grand journalisme » à un impact sur l’économie des médias en Chine. « Je suis très fier de ce travail » a affirmé l’éditeur du journal. « Notre business c’est de publier de grandes histoires a expliqué Arthur Sulzberger Jr . Et d'ajouter : Cela a-t-il des conséquences sur nos affaires ? Bien sûr. »  L'éditeur précise que la publication a été précédée de conversations avec le gouvernement chinois : « Ils nous ont fait valoir leurs préoccupations –que j‘ai écouté comme je devais le faire, et finalement nous avons décidé de publier ».
 
David Barboza, le correspondant du NYT à Shanghai depuis 8 ans, s’est lui expliqué sur cette année d’enquête qui lui a permis de parvenir à ces révélations sur le patrimoine de la famille Wen Jiabao. Tous les documents utilisés sont publics affirment notre confrère sur son blog : « Trente ans de réforme économique et des politiques gouvernementales visant à attirer les investissements étrangers ont créé un ensemble d'organismes gouvernementaux qui tiennent des registres sur les sociétés privées et leurs actionnaires principaux (…)
 
 
 
C’est ce système qui permet aux agences de presse, y compris le New York Times, de consulter les dossiers des entreprises. Bien que les citoyens ordinaires n’aient pas accès aux dossiers, ils peuvent embaucher un avocat ou un cabinet de conseil pour demander des documents pour un montant de 100 $ à 200 $ par entreprise. Le Times a utilisé ce processus pour obtenir des milliers de pages de documents et examiner les réseaux d'entreprises contrôlées par les proches du Premier ministre Wen Jiabao. »
 
David Barboza reconnait toutefois que cet accès aux documents a été rendu plus difficile à Pékin ces derniers mois en raison de la préparation du 18ème congrès, mais qu’il était toujours possible dans villes comme Shenzhen, Shanghai ou Tianjin.
Watergate chinois
Ces révélations consécutives sur les patrimoines familiaux du futur chef de l’Etat Xi Jinping et sur l’actuel Premier ministre interviennent donc à moins de deux semaines d'un congrès crucial où doit être renouvelée l’équipe dirigeante de la deuxième économie du monde.
 
L'enquête du NYT arrive également à un moment où le Parti communiste chinois a été profondément divisé par l’affaire Bo Xilai. L’ex-secrétaire du PCC de Chongqing déchu de ses fonctions après la réunion du parlement en mars dernier, s’est vu retirer son immunité de représentant du peuple vendredi matin a annoncé lapidairement l’agence Chine Nouvelle.
 
C'était la dernière étape avant le procès du héros de la faction « conservatrice », dont la chute a été réclamée par le camp des « réformateurs » incarné justement par Wen Jiabao. Mais de là à y voir malice, il y a un grand pas que le porte-parole de la diplomatie chinoise n’a pas hésité à franchir vendredi. Pour ce dernier, l’article du NYT est truffé de « calomnies et d’arrières pensées ».
 
Qu'est ce que cela va changer pour la suite ? Les dés du 18ème congrès sont de toute façon déjà jetés veulent croire la plupart des analystes sur les réseaux sociaux. « Le tableau d’ensemble est clair et ce genre de révélations n’aura pas de conséquences –ndlr sur le congrès- » estime ainsi Song Wenhua Zongcheng rédacteur en chef du magazine Whenhua Zongheng.
 
De nombreux observateurs à Pékin vont même plus loin et s'étonnent de la coincidence de calendrier : Pourquoi sortir ces infos maintenant alors que les soupçons d'enrichissement autour des proches du Premier ministre ne datent pas d'hier ? Le clan Bo Xilai a-t-il fournit des infos au quotidien américain ? En attendant le papier de Barboza est probablement déjà dans la top liste du jury du prix Pulitzer qui sera remis en avril prochain. La bombe du NYT est en effet une formidable enquête journalistique… Un Watergate chinois.
 
L'enquête de David Barboza, traduite par le Courrier International 
 
 
 
Quotidien du Peuple : "La réputation du NYT s'est détériorée"
27.10.2012 Le site dissident chinois Boxun basé aux Etats-Unis soutient le Premier ministre. " 81 % des richesses rapportées par le New York Times sont non vérifiées." La famille de Wen Jiabao aurait quitté les assurances Pingan (cité dans le papier de nos confrères américains) avant que le groupe n’entre en bourse en 2008.
 
Précision : Le fait que les noms des proches du Premier ministre disparaissent quand les sociétés sont côtées en bourse en 2008 n'a rien de surprenant. Lorsque les entreprises entrent en bourse, les comptes et les noms des actionnaires sont beaucoup plus transparents. 
 
29.10.2012 Wen Jiabao demande une enquête publique sur sa richesse. Cette enquête aurait été demandée par le Premier ministre lui-même il y a déjà plusieurs semaines, elle lui a toujours été refusée selon le site d’information Wan Wei Duzhe
 
29.10.2012 Selon le Quotidien du Peuple « la réputation du New York Times s’est détériorée ces dernières années ». Curieusement, l’organe officiel du Parti communiste chinois ne fait pas allusion à l’enquête sur la famille du Premier ministre. 
 
29.10.2012 Duan Weihong, la patronne du groupe Taihong cité dans le rapport du NYT se lance dans des explications compliquées. Cette dernière affirme dans une longue interview au site internet d’information Mingjing (Hong-Kong) que les proches de la famille de Wen Jiabao ont détenu des actions de sa compagnie basée à Tianjin mais seulement temporairement. Après 2008, toutes les actions seraient dit-elle revenues à  son nom et la famille Wen n’aurait jamais perçu de bénéfices dans cette affaire. « Je suis une entrepreneuse indépendante qui n’a rien avoir avec la famille du Chef du Gouvernement (…). Je ne connais pas Wen Jiabao personnellement. On est tous de Tianjin, mais on n’a aucuns liens commerciaux. (…) J’ai utilisé les identités des autres pour répartir les actions pour ne pas être reconnue par les médias. (…)  Mon entreprise a distribué les actions en utilisant d’autres identités, mais je ne savais pas qu’il s’agissait de la famille du Premier ministre comme le dit le  New York Times. » Duan Weihong admet toutefois être une amie de Zhang Peili, l’épouse du Chef du gouvernement : « A ma connaissance, elle n’a rien avoir avec le monde de la bijouterie. Elle est plutôt une technicienne chargée de vérifier la qualité des bijoux. »
 
David Barboza : « J'ai lu les spéculations affirmant que (…) des ennemis du Premier ministre auraient déposé une énorme boîte de documents à mon bureau. Cela n'est jamais arrivé. »
 
30.10.2012 David Barboza répond aux questions des lecteurs du NYT sur son blog
 
20.11.2012 L'embarassante fortune de "Papy Wen", Jeune Afrique.