La Perle de Nankin

Sa photo a fleuri cette nuit partout sur les réseaux sociaux. C’est elle qui est allée chercher son ami Chen Guangcheng dimanche en voiture pour l’emmener « en lieu sûr ». Le dissident aveugle est toujours dans la nature et He Peirong alias « Perle » est devenue en moins de 24 heures une véritable icône des libertés en Chine.

 
“Je suis venu ! J’ai vu ! J’ai subverti ! » En français cela rime moins, mais en latin ça fonctionne bien. « 我顛覆 VeniVidisubverti ! » Voilà comment se présente He Peirong sur son compte tweeter @Pearlher suivit ce samedi par 15 260 abonnés avec plus de 19 000 tweets au compteur. Mais pour le moment, He Peirong qui répond aussi au pseudo « Zhenzhu » sur weibo –« la perle »- ne parle plus.
 
Selon plusieurs de ses amis, elle est injoignable depuis hier vendredi 11 heure et serait probablement interrogée par la sécurité publique. Les hommes en noirs et à oreillettes étaient-ils déjà dans son appartement ? Le message qu’elle nous a adressé hier matin affirmait en tous cas : « Je n’ai plus de contact avec Chen Guangcheng ! » 
 

L'échappée belle

C’est pourtant son récit relayé par l’agence Associated Press qui a déclenché le tsunami médiatique d’hier vendredi. Chen Guangcheng s’est échappé ! « Perle » raconte comment elle a été cherché son ami  a Dongshigu, le village du dissident dans la province du Shandong à l’est du pays dimanche 22 avril.
 
Une épopée digne des plus grands films d’espionnage.
 
On imagine déjà le titre au générique : « Fuite dans la nuit du Shandong ».  Pitch : Comment une jeune ensignante de Nankin aide un aveugle à échapper aux griffes d’une horde de « gardiens » pas vraiment branchés cinéma.
 
Ces paysans bourrus sont en effet « payés pour persécuter une famille et gêner les autres villageois » nous disait l’année dernière Guo Yushan lui aussi interpellé hier. De l’argent pour surveiller un aveugle, sa femme et sa fille en donnant le coup de poing de temps, histoire de montrer aux bons que si on est des brutes on peut aussi être des truands comme ce fut le cas une nouvelle fois en février dernier lorsqu’une première vidéo était sortie de la ferme pour dénoncer les conditions de détention de la famille.
 
Mais revenons à « Perle » : comment échapper aux brutes et aux truands justemment ? He Peirong raconte à l’agence Associated Press qui décidément a fait un gros boulot sur cette histoire, qu’elle est venue chercher Chen Guangcheng en voiture et l’aurait conduit jusqu'à Pékin.
 
L’échappée belle aurait été préparée de longue date. A plusieurs reprises, l’avocat aux pieds nus serait resté couché pour habituer ses gardiens à ne plus le voir explique t-elle dans des propos rapportés par le China Realtime Report.  
 
He Peirong n’en est pas à son coup d’essai. Voici ce que nous écrivions l’année dernière lorsque nous avons entendu parler d’elle pour la première fois : « Le 10 janvier dernier, c’est une femme qui entre dans Dongshigu, de nuit, phares allumés. Pearl Her (son pseudo sur internet) arrive de Nankin et veut porter des vivres au couple. Peine perdue ! A peine entrée dans le bourg, les gaillards surgissent de l’obscurité, cassent le pare-brise et sortent la conductrice du véhicule. La police intervient et finit par l’emmener au commissariat de la juridiction. Les agents lui demandent d’envoyer un texto à ses proches pour dire qu’elle est désormais en sécurité. Ses amis bloggeurs n’ont plus dès lors aucunes nouvelles d’elle. Mobilisés, ils retrouvent le numéro du chef du poste de police et le harcèlent d’appels. Pearl Her est finalement libérée, sa voiture réparée. »
 

Vidéo adressée à Wen Jiabao

Une fois sortie Chen aurait prévenu les activistes. He Peirong l'aurait ensuite conduit pour l'emmener dans un "lieu sûr" où il a pu tourner cette vidéo adressée hier au Premier ministre chinois Wen Jiabao.
 
 

 

Une vidéo doublée aujourd’hui par une photo envoyée par la femme de Hu Jia, autre dissident célèbre qui partage son sourire dans l’image ci-dessous.

 
Hu Jia a été arrêté ce samedi après midi à Pékin selon son épouse. Nous l'avions joint au téléphone plus tôt dans la journée, il nous a alors raconté comment Chen Guangcheng avait préparé sa libération et comment He Peirong et les activistes l'ont emmené à Pékin : "Il a fallu trois jours pour monter à Pékin et  chen Guangcheng n'a pas dormi pendant ces trois jours affirme Hu Jia. Il s'est blessé à la jambe en sautant le mur, mais il est sortit de l'enfer"
 
►Lire le récit de Hu Jia sur RFI et sur le NYT avant son interpellation samedi
 
L’histoire parait trop belle pour être aussi simple... Voici pourtant qu’en Chine, des militants bien organisés et visiblement très au point sur les nouvelles technologies parviendraient de temps en temps à renverser le cours des choses. Cela fait penser aux révolutions orange d’ex-Yougoslavie, d’Ukraine et de Géorgie. Cela fait évidemment penser aussi aux révolutions qui ont secoué le monde arabe au printemps dernier. 
 

"Weiguan" et vigileance tournante

 
Je vous invite ici à lire l’article de Brice Pedroletti correspondant du Monde à Pékin et parmi les premiers à parler des « weiguan ». Un article où apparait justement He Peirong. Les « weiguan » étant ces « opérations de vigilance tournante » nous dit Brice, des actions organisées par les cyber-militants un peu sur le mode des flash mob.
 
Une injustice se produit quelque part et voilà qu’aussitôt l’internet vrombit et qu’un essaim d’activistes débarque sur le lieu du méfait ! Ici c’est une arrestation à arbitraire, là une manifestation qui est réprimée et à chaque fois les cybers-militants filment, enregistrent et diffusent la scène auprès d’un maximum de personnes via les réseaux sociaux. 
 
Parfois on s'amuse à détourner des photos de classes comme ici sur cette image lors de la campagne Lunettes noires pour M. Chen l'année derniere ?
 
 
La contestation d'une injustice est donc ici précédée par l’action. He Peirong serait une sorte de Jules César de la contestation avec « un cœur sauvage en cage ». Car si « Perle » a été arrêtée hier, elle se consolera peut-être en apprennant qu’elle a donné beaucoup de travail aux balayeurs de la cyber-censure.
  
Le ménage a en effet été fait en grand depuis hier. « He Peirong » ou « Zhenzhu » son pseudo, étaient aujourd'hui interdits sur les moteurs de recherche des weibos –le réseau social chinois-.
 
Trop tard ! En 24 heures, « Perle » est devenue une véritable héroïne auprès des internautes.
 

Une perle aussi précieuse qu'un panda

Car elle est sacrément jolie la perle de Nankin. Sa photo toujours là même est aujourd’hui partout sur internet. Anqi, la chargée de production du bureau de RFI à Pékin, me faisait remarquer ce matin que de très nombreux internautes avaient utilisé son visage pour leur propre profil.
 
 
 
 
D’autres s’enthousiasme pour son action. « Diyi Zhexue W » affirme sur son weibo que « le combat mené par cette femme est aussi précieux que le panda chinois. »
 
 

 


He Peirong serait ainsi devenue un « trésor national. Les phrases extraites de son blog sont repostées telles des leitmotiv ce samedi par de nombreux weibonautes : « Parce que j'ai vu tellement de souffrances, j'ai réalisé qu’il était de notre responsabilité commune de construire la justice en Chine et que le chemin pour y arriver serait semé d’embuches. Il faut réfléchir aux souffrances que nos compatriotes sont en train de subir en raison de la corruption, des injustices et tenter d’y réagir à notre façon ».
 
La jeune professeure d'anglais de Nankin qui aide le dissident aveugle à sortir des griffes de ses gardiens ; l'échapée est presque trop belle, l'histoire semble trop lisse, mais ce soir on a vraiment envie d’y croire