Voilà maintenant plus de trente ans que les dirigeants chinois nous chantent la même chanson. On ne sait pas si c’est sur une mélodie de Gainsbourg, mais c’est bien un "Mao Forever" qu’a entonné ce matin le président Xi Jinping pour le 120ème anniversaire du fondateur de la République Populaire de Chine. "Mao pour toujours" nous dit Chine Nouvelle avec les euphémismes qui reviennent à chaque anniversaire : Mao Zedong a commis des "erreurs", mais "il n'est pas le seul responsable".
Photo SL
Fatigués de voir les sosies de Mao courir les aéroports, fâchés devant cette amnésie officielle qui préside à chacune de ces commémorations et surtout lassés des discours : « On ne peut pas attribuer le succès d’une société à un seul homme quand les conditions sont favorables, et le rendre seul responsable de ses échecs lorsque les conditions sont devenues plus difficiles » disait encore ce matin le président Xi Jinping à propos de celui dont le visage figure encore sur la plupart des billets de banque en Chine. Comment parler de Mao sans en discuter l'héritage ? Nous avons préféré ici vous faire rencontrer un homme passionné par l’image et l'Histoire. Leica en bandoulière, blouson noir, voilà dix ans que Cheng Wenjun capture dans son objectif les dernières statues d’un Chinois né il y a maintenant 120 ans. Rendez-vous devant l’université de Chimie et d’Industrie de Pékin pour un entretien debout, au pied du Grand Timonier trônant sur son piédestal.
Le photographe Cheng Wengjun
► Combien de statues de Mao sont encore debout en Chine ? Et pourquoi les photographier ?
« J’ai personnellement photographié plus de 200 statues, mais je ne sais pas exactement combien il en reste. Je les vois comme des œuvres d’art spéciales dans l’histoire de l’art mais aussi dans l’histoire politique de notre pays."
"Ce qui m’intéresse évidemment aussi ce sont les gens qui sont encore vivants. Il y a souvent des Chinois aux pieds des statues de Mao. C’est souvent le moment que je choisis pour prendre l’image. Car ces statues sont aussi des œuvres qui s’inscrivent dans une réalité urbaine, celle de la Chine d’aujourd’hui. »
► Il y a des styles différents, on a l'impression qu'elles se ressemblent toutes ?
« La plupart de ces statues se ressemblent effectivement. Mao porte un grand manteau et il a la main levée vers le ciel. La plupart des statues de Mao en Chine ont été édifiées entre 1967 et 1969. On y retrouve d’ailleurs assez bien je trouve les caractéristiques de l’époque. Ces statues sont marquées par la révolution culturelle. »
► Gravé dans le marbre, Mao semble avoir toujours le même âge...
« A ma connaissance, il n’y a qu’une seule statue qui présente Mao jeune avec des cheveux fournis, c’est dans le Hunan sa province natale. Les autres ont toutes été moulées sur son image des années 1960. Bon, il arrive quand même que les costumes varient. En dehors de la fameuse veste col mao et des longs pardessus, on voit aussi parfois Mao revêtu de costumes occidentaux ou en habits militaires. »
► Que disent ces statues dans la Chine d’aujourd’hui ?
« C’est la preuve que Mao a toujours autant d’influence aujourd’hui. Les Chinois ressentent une grande émotion auprès de lui, les jeunes comme les plus âgés. »
« Ce sont principalement des professeurs de gravure des grandes écoles artistiques de toute la Chine. Les universités de Pékin, de Shanghai, de Zhejiang et de Shenyang notamment. Beaucoup de ces professeurs avaient appris à graver auprès de la première génération d’artistes qui a fait ses études en France ? Je pense notamment à quelqu’un comme Liu Kaiqun. »
► Ces statues ne sont elles pas totalement anachroniques dans la Chine de 2013 ?
« Je ne sais pas quoi vous répondre, ce que je peux dire c'est que beaucoup d’entre elles ont déjà disparu. Pendant la révolution Cultuelle, et selon des statistiques encore très incomplètes, la Chine comptait plus de 2 000 statues de Mao. Après la politique d’ouverture du pays à la fin des années 1980, de manière à mettre un terme au culte de personnalité, la Chine a commencé à démolir ces statues. La plupart ont d’ailleurs été détruites à ce moment-là. »
► Pensez-vous que ces statues soient amenées fatalement à disparaître en Chine ?
« Difficile à dire, mais c’est aussi pour ça que je fais ce travail de mémoire. Je pense que nous devons les protéger comme des témoignages de notre histoire aussi douloureuse soit elle. Elles ont pullulé pendant les trois ans qu’a duré la révolution culturelle. A l’époque, l’image de Mao devait être grande, belle et noble. Les sculpteurs ont donc réalisé des œuvres monumentales. Ce sont des œuvres qui s’inscrivent dans cette période là. »
► Quel est le discours des autorités vis-à-vis de ces statues ?
« Nos dirigeants disent toujours qu’ils condamnent les dérives de Mao pendant la révolution culturelle, mais le portrait du Grand Timonier est toujours accroché sur la porte de la Cité interdite à Pékin (rires). Ce qu’il faut savoir c’est que Mao lui-même n’aimait pas ses statues. Lorsque que l’une de ces statues a été érigée devant l’université de Qingsé, Mao a déclaré : ‘Je ne veux pas monter la garde à tous les coins du pays ce serait du gaspillage !’. Voilà pourquoi sur la place chengfu de Chengdu, dans le Sichuan, deux statues n’ont pas été terminées. »
►A(RE)VOIR Le discours fondateur de la République Populaire de Chine, le 1er octobre 1949 place Tiananmen à Pékin, largement rediffusé à l'occasion de ce 120ème anniversaire.
► A (RE)VOIR les animations de propagande créées pour ce 120ème anniversaire
MAO N'EST PLUS UN DIEU : extraits du discours de Xi Jinping lors de l'anniversaire de Mao :
"Les leaders révolutionnaires ne sont pas des dieux, mais des êtres humains"..."[Nous] ne devons pas les vénérer comme des dieux ou refuser de pointer du doigt et de corriger leurs erreurs sous prétexte qu'ils furent de grands hommes, tout comme nous ne pouvons simplement les répudier et effacer leurs réussites historiques en raison de leurs erreurs."..."[Nous] ne pouvons pas simplement attribuer les succès atteints dans des conditions historiques favorables à des individus, ni leur rejeter la faute des revers subis dans des conditions défavorables."...""[Nous] ne pouvons juger nos prédécesseurs à la lumière du niveau de développement et de compréhension actuel, ni attendre d'eux qu'ils aient accompli des tâches que seuls leurs successeurs étaient en mesure de mener à bien."
Stéphane Lagarde - lun, 01/06/2014 - 05:35
Xi Jinping sera probablement plus à l'aise encore pour le 110ème anniversaire de Deng Xiaoping au mois d'août 2014, compte tenu des réformes économiques annoncées lors du 3ème Plénum
En quelques mots
Le temps de la radio et ses formats sont parfois réducteurs pour raconter une région où tout change tout le temps.
Au travers de ce blog, je vous invite à partager mes rencontres, mes voyages et les 1000 petits riens qui font le quotidien, forcement subjectif, d’un passionné d'Asie.
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MAO N'EST PLUS UN DIEU : extraits du discours de Xi Jinping lors de l'anniversaire de Mao :
"Les leaders révolutionnaires ne sont pas des dieux, mais des êtres humains"..."[Nous] ne devons pas les vénérer comme des dieux ou refuser de pointer du doigt et de corriger leurs erreurs sous prétexte qu'ils furent de grands hommes, tout comme nous ne pouvons simplement les répudier et effacer leurs réussites historiques en raison de leurs erreurs."..."[Nous] ne pouvons pas simplement attribuer les succès atteints dans des conditions historiques favorables à des individus, ni leur rejeter la faute des revers subis dans des conditions défavorables."...""[Nous] ne pouvons juger nos prédécesseurs à la lumière du niveau de développement et de compréhension actuel, ni attendre d'eux qu'ils aient accompli des tâches que seuls leurs successeurs étaient en mesure de mener à bien."
Xi Jinping sera probablement plus à l'aise encore pour le 110ème anniversaire de Deng Xiaoping au mois d'août 2014, compte tenu des réformes économiques annoncées lors du 3ème Plénum