De loin on pourrait croire à une plateforme pétrolière. Des pylônes en acier rouges plantés au cœur de la mer jaune, un gros H sur le toit pour accueillir les hélicoptères, et une base vie pour les ingénieurs amenés à résider sur place. Ce « centre de recherches océaniques » a été construit entre 1995 et 2003 par la Corée du Sud. Séoul y a investi près de 25 millions d’euros. C’est aujourd’hui le seul signe, du moins en surface, de la présence de cette île engloutie connue des pêcheurs Coréens et Chinois depuis des siècles.
Les rochers de la discordes existent aussi entre la Corée du Sud et la Chine. On est d'ailleurs ici quasi dans le même scénario que pour les îles Senkaku / Diaoyu contrôlées par les Japonais et revendiquées par les Chinois. Découvert en 1900 par le navire anglais Socotra, ce récif englouti en mer jaune a été rebaptisé Ieodo par les Coréens et Suyan par les Chinois. Pékin et Séoul viennent de l’inclure dans leurs zones aériennes respectives.
Seoul a fait de même ce week-end, en englobant également Ieodo (이어도) /Suyan (苏岩礁) dans sa zone aérienne.
Nationalismes à fleur de peau
Si elle est plus discrète que le bras de fer Pékin / Tokyo autour des îles Diaoyu / Senkaku, la querelle diplomatique Seoul / Pékin autour de Ieodo / Suyan n’est en réalité pas nouvelle.
Avec son « rêve chinois », la deuxième économie du monde a la revendication chatouilleuse. Le premier incident remonte à 2011 lorsqu'un chalutier sud-coréen est venu s'échouer sur le récif. Les gardes côtes sud-coréens sont alors intervenus déclenchant les foudres de la diplomatie chinoise. Le récif rebaptisé Suyan Dao en 2006fait partie intégrante du territoire chinois martèle Pékin. La patrouille de mer chinoise (Haijian) comprenant un navire de surveillance de plus de 3000 tonnes est depuis régulièrement dépêchée sur zone.
"Vivre Ieodo" dit la chanson.
Les Sud-coréens qui, en matière de nationalisme sont dermatologiquement tout aussi sensibles que les Chinois, vont de leur côté réveiller le folklore et les mythes. Chanson pour Ieodo (ci-dessus), ou films sortis des archives rapportant l’histoire de ce « paradis de l’âme des marins » perdus en mer (ci-dessous).
L'île mystérieuse
Ce réveil des revendications territoriales fait suite à une course plus ancienne pour marquer son territoire. Comme les Japonais, les Coréens ont été ici plus rapides que la Chine de Mao. En 1951, tandis que le Grand Timonier est occupé à asseoir son pouvoir à l'intérieur du pays, la République de Corée du Sud dirigée par Syngman Rhee pose une plaque mentionnant le nom de l’île en coréen. En 1987, les premières bouées d’accostage sud-coréennes apparaissent au-dessus des rochers.
Carte Korea Times
Pour la Corée du Sud, Ieodo fait en effet partie de la mythologie des plongeuses de Cheju, la grande île au sud de la Corée du Sud. Les femmes de marins restaient dans l’île et ne voyaient pas revenir leurs hommes échoués sur le méchant récif dont le sommet se trouve à moins de 5 mètres sous la surface. « Qui voit Parangdo (ancien nom de l’île) ne revient pas » dit la légende coréenne. Une manière de traduire l’effarement des pêcheurs, lorsqu’une mer démontée découvre les terribles vagues de pierres qui semblent jaillir des fonds marins.
Paradis ou cimetière de l'âme des hommes de mer, Ieodo est une île certes mystérieuse, mais une île qui a nourri les mythes et les légendes ; à ce titre elle fait partie de la géographie coréenne répète Séoul.
Ieodo sauvée des eaux
Pour les Chinois en revanche, les Anglais n’ont rien découvert du tout ! Les rochers de Suyan figuraient déjà dans le Classique des montagnes et des mers (Shanhaijing), recueil des légendes et des données géographiques de l’antiquité chinoise. Suyan aurait par ailleurs été cartographié par la marine chinoise sous la dynastie des Qin (Beiyang Shushi) selon Pékin. L’objectif est ici de couper court aux revendications sud-coréennes. Si Seoul revendique la propriété de l’île, Pékin insiste pour dire qu’il ne s’agit pas d’une île mais bien d’un récif appartenant au plateau continental de la Chine, autrement dit que les eaux environnantes sont à tout le monde. Les rochers submergés ne peuvent pas en effet être revendiqués par un pays selon les lois internationales maritimes.
A moins d'évoquer la fonte des glaces, les arguments de Séoul paraissent difficile à entendre. Face aux appétits territoriaux de Pékin, la Corée du Sud entend pourtant continuer à se défendre. Les Coréens ont ressorti le compas et la boussole afin de démontrer, carte à l’appui, que Ieodo / Suyan est plus proche des côtes coréennes (149 km) que des côtes chinoises (287 km). Ieodo est bien une île répète Séoul et de surcroît une île coréenne, n’en déplaise à Pékin mais aussi à… Tokyo ! Les rochers Ieodo / Suyan sont en effet également inclus dans la nouvelle zone de défense aérienne japonaise !
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