Chine : « La corruption est inévitable, car elle fait partie du système » (Murong Xuecun)

C’est l’un des écrivains les plus brillants du moment et probablement l’un des meilleurs analystes de la société chinoise d’aujourd’hui. Il n'a pas quarante ans Murong Xuecun, et il n’a pas la plume dans sa poche ! Nous l’avions rencontré à la rentrée pour la sortie de son dernier livre Danse dans la poussière rouge paru aux éditions Gallimard. Le roman raconte les aventures d’un avocat corrompu jusqu'au bout des tongs. Une corruption qui colle au régime comme la laque au pinceau du calligraphe.

Photo SL
 
Voilà bien longtemps que la morale a mis les voiles, voilà une éternité que les personnages de Murong Xuecun ne croient plus en la rédemption. Il y en a d'ailleurs pas un pour ne pas acheter l'autre dans cette Danse dans la poussière rouge parue l'année des Jeux Olympiques en Chine, et qui vient d'être traduite en français. La corruption a ici gangrené juqu'au système judiciaire.
 

Cris et chatoiement

On le comprend dès les premières lignes, une écriture aussi débridée ne peut conduire que droit dans le mur. En Chine, le désenchantement est arrivé presque plus vite que l'enrichissement du pays.
 
"J'ai parfois le sentiement que la vie n'est qu'un fantasme. On n'attrape rien, on ne garde rien. On ne fait qu'attendre la mort dit l'un des personnages du roman. Le moine Hailiang a calliraphié pour moi deux sentences :
On vagabonde en ce monde sans trouver d'abri,
Du chatoiement des couleurs, il ne restera rien." 

Le chatoiement du moine est dans ce dernier opus un véritable feux d'artifices. La truculence des personnages est nourrie au cynisme. Malgré les belles paroles et les campagnes gouvernementales, "la Chine n'est pas prête d'échapper à la corruption affirme l'écrivain". Des propos qui raisonnent ce mercredi alors que trois militants du « mouvement des nouveaux citoyens » sont jugés dans le sud de la Chine pour avoir osé demander la publication du patrimoine des officiels.

A(RE)ECOUTER RFI 04.12.2013 Les nouvelles contestations citoyennes (Cliquer sur l'image ci-dessous)

 

 

« La corruption fait partie du système, c’est comme une bagarre entre frères poursuit Murong Xuecun, un combat entre la main gauche et la main droite, s’il n’y a pas de contrepouvoir la corruption est inévitable. Tant que les officiels ne publieront pas l’état de leur patrimoine, la campagne anti corruption ne servira pas ses objectifs (…) Le pouvoir chinois ne peut pas mener une campagne anti-corruption sans s’en prendre à lui-même. Le régime à besoin de la corruption pour se maintenir. La corruption est le pétrole qui fait tourner la machine et le régime ne peut pas s’en passer ne serait ce qu’un seul jour. »  
 
A (RE)ECOUTER
 
 
 
Deux longs et passionnants articles sont parus en fin de semaine dernière sur le plus rock-sans-roll des écrivains chinois.
 
A (RE)LIRE Le Monde 28.11.2013 Murong Xuecun : Un Voltaire en Chine 
 
 
 

Moins que zéro 

A la radio évidemment, nous avons un peu moins de place. Mais nous avons gardé un excellent souvenir de cette rencontre en septembre dans les jardins encore verts d’un hôtel du nord de Pékin.
 
Ce n’est pas dans l’interview diffusée sur RFI, avec Murong  Xuecun on avait évoqué notamment le Bret Easton Ellis de Less than Zero pour l’obsession des marques et de la distinction dans une Chine qui ne sait que trop bien où dépenser son argent.  
 
Ci-dessous deux extraits de Danse dans la poussière rouge traduit du chinois par Claude Payen.  
 
« J’ai acheté le sac Louis Vuitton pour la petite belle-sœur citrouille. Il m’en a coûté neuf mille sept cents yuans. Qu’importe ! L’argent rentre de tous les côtés. Sur ma lancée j’i décidé de me récompenser. Je suis d’bord aller à la boutique Cerruti 1881 et je me suis offert un costume à treize mille yuans. Quand j’ai eu payé avec ma carte de crédit, j’ai pensé que je n’avais pas de cravate assortie. Je me suis donc rendu à la boutique Ermenegildo Zegna pour Acheter une cravate en sergé de soie, onze cent yuans. » 
 
 
« Je me suis rendu à l’agence Volvo pour essayer la nouvelle S80. Elle est digne de l marque suédoise. Elle est d’une maniabilité parfaite. Seul défaut, les pneus crissent un peu sur le sol. Les affaires marchent de mieux en mieux et j’ai depuis longtemps envie d’acheter une voiture. Hu Baiseur me conseille d’acheter une BMW mais je pense qu’elle convient aux frimeurs. Liu Wenliang me dit qu’il est très content de sa Mercedes E200, qui pourtant lui donne l’air idiot. Zhao Nana, quant à elle, préférerait une Porsche, mais je ne suis malheureusement pas assez riche. »
 

Litanie de l'opulence

On a aussi repensé à ce chauffeur de taxi pékinois, coincé à un feu rouge, et qui pendant deux minutes nous a déroulé la litanie de la nouvelle opulence chinoise. Le chauffeur a simplement nommé les véhicules arrivant en sens inverse : Audi, Mercedes, Audi, Audi, BMW, Wolkswagen…
 

Un chauffeur de taxi compte les audis, mercedes et BMW à un feu rouge à Pékin by Stéphane Lagarde

 
Résultat des courses : 12 Aodi (Audi en chinois) / 7 Benchi - « roule vite » (Mercedes-Benz en chinois) / 6 Dazhong - « le peuple » (Wolkswagen) / 2 Baoma - « cheval précieux » (BMW) / ainsi que quelques japonaises, sud-coréennes, américaines et deux françaises. Et cela en... 2 minutes chrono !

 

Follow Stéphane Lagarde on Twitter : www.twitter.com@StephaneLagarde

 

Actualisation du billet :

NYT 20.12.2013 The New Face of Chinese Propaganda by Murong Xuecun

 

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