Si la distance atténue quelque peu le fracas du monde, elle n’enlève rien à la douleur de la perte d’êtres chers. On aurait tant aimé qu’elle ne soit pas vraie, qu’elle s'égare en cours de route cette terrible nouvelle. Mais elle a fini par arriver jusqu’en Chine : Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés sur une route de Kidal au Mali. La brutalité des faits touche ici le cœur d’une famille.
Car la confraternité n’est pas un vain mot à RFI. Claude et Ghislaine avaient des années de métier, et leur métier donnait de la chaleur à notre antenne. Les auditeurs ne s’y sont pas trompés d’ailleurs. Coup de fil depuis le sud de la Chine toute à l’heure : « Ce sont les risques du métier, on est désolé pour vous, on les aimait bien confie un Guinéen de la ‘petite afrique’ de Canton. » Les voix et les sons de nos deux reporters voyageaient bien au-delà du continent visiblement.
La voix de Ghislaine était connue dans toute l’Afrique, parlons donc de Claude. Il serait faux de croire que le technicien de reportage se résume aux oreilles du reporter. Dans le cas de Claude, c’était aussi son cœur. Tout entier à sa quête d'informations, le rédacteur en oublie parfois la vie qui l'entoure. Comme le journaliste d’images, le journaliste de sons ne s’éloigne jamais du sujet ; il a l’intelligence de la situation et surtout des gens ; il est toujours au plus près de ceux dont il retransmet la parole. C'est aussi le cordon ombilical entre la rédaction et l'équipe sur le terrain. Sur la photo ci-dessus, Claude assurait une liaison satellite en direct avec Paris. Assis dans la poussière du soir, les curieux étaient toujours les bienvenus. « Ce sonteux nos premiers auditeurs disait-il ».
On les reconnait immédiatement les très bons dans le métier. Avec Claude, quelque soit le rédacteur qui l'accompagnait, la sauce prenait tout de suite. La mise en onde c’est ici comme la cuisine, c’est aussi une question de timing et de feeling. Quand deux minutes avant la fin de la cuisson (en radio ont dit "l’antenne"), le satellite n’accrochait toujours pas, Claude restait parfaitement zen. Un physique d’acteur et une voix rassurante : « Attends ! Ca va venir, il faut y croire jusqu’au bout avait-il l'habitude de lancer au rédacteur stressé ! » Et quasi à chaque fois, comme par miracle, le « jusqu’au bout » tombait pile-poil au début ou pendant le lancement du présentateur à Paris.
Photo Claude Verlon
A être ainsi plongé dans le chaos de la vie, à force d’être aux côtés des gens, on finit par toucher leur cœur. Sur le cliché plus haut, le voilà encore grimpé sur une estrade lors d’un meeting politique au Pakistan. En montant sur la scène avec son étrange micro, Claude avait fait rire les gamins qui s’ennuyaient ferme avec la politique des adultes. Clic, clac ! Le technicien son était aussi photographe à ses heures, et alimentait régulièrement le site de RFI en images. Mais sans jamais perdre de vue la sécurité du tandem journaliste/technicien, et celle, surtout, des témoins rencontrés sur le chemin. La phrase revient à chaque disparition de confrères, elle se vérifie plus que jamais ici : Claude et Ghislaine étaient des professionnels aguerris qui ne prenaient jamais de risques inutiles.
Photo Claude Verlon
Claude ne se jetait donc jamais dans la gueule du loup, mais il n’avait pas peur du tigre. Pour l’anecdote -les confrères qui ont travaillé avec lui en auraient 1000 à raconter-, ici nous étions montés à l’arrière d’un pick-up roulant pour un candidat aux législatives de Lahore. Au Pakistan, le marketing politique va jusqu’à promener un véritable fauve dans la ville -dans le cas présent, le tigre était le symbole d’un Parti en campagne-. Feu rouge ! Nous descendons du taxi et courrons nous agripper au pick-up ! Jamais, c'est vrai, je n'avais aussi bien enregistré les grognements de l’animal. Impossible en revanche de décrocher la moindre interview avec le dompteur près de sa cage, l'homme étant aussi souriant qu'incapable d’aligner deux mots d'anglais.
« C’est de la télé, mais pour la radio on n'est guère avancé » me lança alors Claude, mort de rire, et content comme moi de l'escapade ! Jamais moqueur, jamais donneur de leçon, mais toujours précis et efficace lorsqu’il s’agissait de la profession de rapporteur de sons. Comme Johanne Sutton, Jean Hélène, Boris Fleuranceau, la mort n’était pas leur métier. Comme Johanne, Jean et Boris, Claude et Ghislaine ont fini par la croiser sur une route de poussière en faisant le leur qui était celui d’informer. La ronde de la radio s’arrête, le cœur brisé. Nous avons encore perdu deux amis, à l’écoute du monde... jusqu'au bout.
Le temps de la radio et ses formats sont parfois réducteurs pour raconter une région où tout change tout le temps.
Au travers de ce blog, je vous invite à partager mes rencontres, mes voyages et les 1000 petits riens qui font le quotidien, forcement subjectif, d’un passionné d'Asie.