Canton l’africaine 1 : Des footballeurs devenus hommes d’affaires
Pour la première fois depuis 15 ans, un club chinois atteint la finale de la Ligue des champions de la Confédération asiatique de football. Le « Guangzhou Evergrande » affrontera le FC Séoul le 25 octobre prochain. Sous la baguette du maestro Italien Marcello Lippi, le club de Canton qui compte deux Brésiliens et un Argentin dans ses rangs, fait aujourd’hui rêver les footballeurs jusqu’en Afrique. Des joueurs qui ont pourtant bien du mal à trouver leur place en Chine.
Photo SL
Il faut aller se promener le soir un peu après 20 heures sur l’avenue Xiao Bei Lu. C’est le moment où l’Afrique s’éveille à Canton. Les vendeurs de rues envahissent les trottoirs, les passerelles de bétons menant à la grande tour de Tian Xiu déroulent la foule bigarrées des jours de grands marchés, et si depuis deux jours déjà les radios n’en ont que pour la tempête Usagi qui approche des côtes, ce n’est sûrement pas un méchant typhon venu du Japon qui risque d'effrayer les terrasses du Lounge et du Moka. Les clients des deux cafés situés au rez-de-chaussée de ces 32 étages de boutiques et de bureaux ont visiblement d’autres choses à faire que de se soucier de la météo. Tables et chaises débordent au bas des escaliers. C’est ici au pied de cette tour de Babel de la « petite Afrique » de Canton que sont arrivés les premiers commerçants arabes au début des années 90. Les Africains ont pris le relais ensuite dans les années 2000, et c’est aujourd’hui devenu le point de ralliement des communautés francophones.
► Pour écouter le grand reportage diffusé cette semaine sur RFI, cliquer ICI
C’est en partant des cafés de Tian Xiu que nous sommes entrés en contacts avec ces marchands venus d’Afrique. Des hommes qui rêvaient de ballons au départ et qui pour la plupart se sont reconvertis dans le commerce une fois débarqués à Canton. Une reconversion parfois difficile que nous vous avons racontée dans l’émission Grand Reportage cette semaine sur RFI (lien ci-dessus).
Les formats de la radio ne permettant pas de diffuser l’intégralité des interviews enregistrées sur place, les voici en bonus ici sur ce blog. Ces entretiens ont été réalisés avec Philippe Grangereau, le camarade de Libération à Pékin avec qui nous sommes partis en reportage.
Rêve de ballon et reconversion dans les affaires
► ENTRETIEN Omar DIARRA, footballeur en quête de club à Canton
Omar Diarra, 20 ans, a été approché par des agents au Sénégal qui lui ont promis de lui trouver un club en Chine. Près de dix mois après son arrivée, toujours rien ! Omar jongle entre les petits boulots, tout en continuant les entrainements. Il sert notamment de guide aux commerçants du continent en transit. Son rêve : Intégrer un club en Chine ou ailleurs.
« Les Chinois sont un peu fermés. Les équipes ici n’ont droit qu’à trois joueurs étrangers sur la feuille de match et deux sur le terrain »
Tous les mardis à 22 h, les anciens et les nouveaux footballeurs sénégalais de Canton se retrouvent pour taper le ballon. La Chine manque de stade, il faut donc partager la pelouse synthétique avec des amateurs cantonais. La communauté sénégalaise débourse 600 yuans (70 euros) chaque semaine pour louer le terrain.
► ENTRETIEN Mouhamadou Moustapha DIENG président de l’association des Sénégalais de Chine
Moustapha Dieng, 52 ans, est président de la communauté des Sénégalais de Canton depuis près de trois ans. Perpétuellement accroché à son portable, Moustapha est lui aussi arrivé aux affaires par les chemins de traverses. Engagé dans l’armée de l’air, il part d’abord en Thaïlande avant d’arriver à Canton en 2003. Le métier rentre vite en Chine : « Mes deux principaux concurrents aujourd’hui, sont mes deux anciennes interprètes chinoises » plaisante-t-il. Moustapha se concentre désormais sur le transport des marchandises entre la Chine et le Sénégal. Il songe à retourner à Dakar où il a envoyé sa femme et son fils pour la rentrée scolaire cette année. Son rêve : Ouvrir une usine d’emballage au Sénégal.
« En Chine, les prix ne sont plus aussi compétitifs. L’avenir c’est d’ouvrir des petites unités de productions sur le continent. Même les Chinois ne comprennent pas pourquoi nous importons des cure-dents, des cotons-tiges où des bâtonnets pour les glace au lieu de les produire nous même en Afrique »
Consignes adressées aux « étrangers » du quartier africain de Canton. 1. Merci de présenter votre passeport lors des contrôles 2. Communiquer son adresse de résidence à la police dans les 24 h suivant votre arrivée. 3. Interdiction d’acheter, de vendre ou de consommer de la drogue. Fréquenter les prostituées est également interdit. 4. Des amendes ou des peines de prisons punissent ceux qui vont à l’encontre de la loi.
Un archipel de quartiers en fonction des communautés
La « petite Afrique » de Canton n’est pas une île mais plutôt un archipel de quartiers où vivent les différentes communautés. On compte aujourd’hui une vingtaine de communautés africaines à Canton nous explique Roberto Castillo, chercheur à l’Université Lingnan de Hong-Kong que nous avons rencontré le premier soir à notre arrivée. Il est plus difficile en revanche de dénombrer les ressortissants venus du continent, car une grande partie d’entre eux vivent ici sur des visas périmés. Certains vont jusqu’à évoquer la présence de 20 000 africains dans la capitale de la province du Guangdong poursuit le doctorant qui prépare actuellement une thèse sur les Africains de Canton. Un rêve d’anthropologue : Les Cantonnais sont en réalité peu nombreux dans la « petite Afrique ». Dans ces petites ruelles où passé minuit, les petits bazars continuent de vendre cahiers, stylos et accessoires de cuisines à la lumière des néons, toute la Chine des migrants et des minorités à rendez-vous avec l’Afrique.
Les Ouighours musulmans du far-ouest chinois conduisent dans la journée les triporteurs et les camionnettes qui font office de taxis (sans facture) pour les noirs de la ville, souvent rejetés par les taxis officiels. Tous les soirs, les rois du mouton s’adaptent à leur clientèle africaine. Les Ouighours font griller des poissons ce qui est plutôt rare dans leur province du Xinjiang à l'extrême ouest du pays, dont la capitale Urumqi est répertoriée comme la ville la plus éloignée de la mer dans le monde. Dans la petite Afrique de Canton, le vendeur de cartes téléphoniques comme le marchand de costume rendent à leurs clients étrangers de la monnaie frappée de leur tampon. Un gage de confiance. La fausse monnaie circule beaucoup dans ces lieux fréquentés par les étrangers. Pour éviter les réclamations et les disputes, les « maos roses » de 100 yuans portent la marque de la boutique.
Et chaque soir à la nuit tombée, sur l’avenue Xiao Bei Xiao Bei, c’est la foire au n’importe quoi. Les vendeurs de gadgets interpellent les commerçants arabes désœuvrés après le dîner. Il y en aura pour tout le monde ! Pour ceux qui ne savaient pas quoi ramener au pays, il y a ici au choix : Des lasers verts capables de crever un œil ou d’arrêter des missiles nord-coréens, des prises à brancher sur le compteur électrique qui nous dit-on permettent de « réduire la consommation d’énergie », ou encore des vélos électriques qui tiennent dans un sac de voyage. Mais la grande tendance du moment, c’est le tueur de vermine ! En apparence l’engin qui tient dans la main, ressemble à une prise lumineuse un peu comme les veilleuses des chambres d’enfants. Le procédé a été validé par « le ministère chinois des Sciences » indique un écriteau. Sur le sol près de l’étale, rats et souris blanches attirent le chaland. Une dizaine de rongeurs attendent ainsi dans leur cage sur le boulevard. La démonstration est cruelle. A chaque fois que le vendeur enfonce la prise, le rat se convulse comme traversé par un courant électrique. "Ce sont des ultrasons qui tuent les souris et les cafards" mais qui épargnent les chats et les humains explique le marchand dans un anglais très approximatif. Les prises partent comme des petits pains. L’arnaque est pourtant connue de la plupart des résidents de la petite Afrique. Beaucoup se sont fait avoir : Une fois rentrée à la maison, la prise lumineuse reste une… prise lumineuse.
Photo SL
Problèmes de visas
► ENTRETIEN YOUSSOU, ancien du FC Chengdu
Youssou a joué 9 mois au FC de Chengdu dans la province du Sichuan à l’ouest de la Chine, avant d’atterrir à Canton. 10 ans après et quelques kilos en plus, le voilà lui aussi homme d’affaire et marié à Fatima. Sa femme chinoise s’est convertit à l’Islam. Son rêve : Obtenir une carte de résident en Chine.
« Après 10 ans en Chine et marié à une chinoise, je n'ai toujours pas de carte de résident long séjour. »
Les confréries musulmanes aident les jeunes arrivants
La confrérie musulmane des Mureed vient en aide aux « frères » qui sont déboussolés en arrivant. La maison des Mureed accueille en ce moment 5 jeunes. 3 d’entre eux ont décidé de rentrer au pays. La deuxième économie du monde est en effet l’un des seuls pays du monde qui n’offre pas de travail aux immigrés. Les places sont chères dans les affaires et particulièrement à Canton.
► ENTRETIEN Medoune BOY, responsable de la confrérie des Mureed de Canton
« La Chine a participé au développement de notre continent. Aujourd’hui en Afrique, on trouve des maisons carrelées, des écrans plats qui viennent dans les bagages que sont venus par les bagages envoyés au pays depuis Canton. »
Quand Ruby met Saliou !
Ruby la chinoise qui rencontre Saliou le Sénégalais, le couple nous a invité chez lui dans leur "village" a une vingtaine de minutes en bus de la "petite afrique".
Photo SL
Saliou : « Dans le bus parfois, les Chinois refusent de s’asseoir à côté de moi et se mettent la main sur le visage en disant : ’Ca pue !’ Mais je ne regrette rien, je suis très heureux avec ma famille à Canton même si les affaires sont parfois difficiles. »
Photo SL
Ruby et Saliou se sont rencontrés en 2007 sur un marché. Ils se sont mariés deux plus tard et ont donné naissance à une magnifique petite fille.
Ruby : « Comment vous réagissez aux réactions parfois racistes de votre entourage ? C’est lui que j’aime alors le regard des autres m’indiffère. Je ne suis pas mariée aux voisins, mais à Saliou ».
Comme tous les Africains de Canton, Saliou est devenu commerçant. Il exporte des machines à coudre en Afrique, tout en continuant à faire beaucoup de sport et à jouer au foot au moins deux heures par semaine.
► Entretien Abou Kaba vice-président de la communauté guinéenne de Canton
« La Chine a su s’adapter aux besoins de l’Afrique. Notre niveau de vie est très bas et les plus modestes aujourd’hui accèdent à des produits auxquels ils n’osaient même pas rêver »
►Emission "Grand Reportage" RFI 2 octobre 2013 sur Sound Cloud
Interviews très intéressantes. Merci de les avoir partagées.
Anonyme (non vérifié) - lun, 10/07/2013 - 10:51
Beau couple .la petite est tres belle la rencontre Asie Afrik a ce que je vois produit du beau .. a mediter
En quelques mots
Le temps de la radio et ses formats sont parfois réducteurs pour raconter une région où tout change tout le temps.
Au travers de ce blog, je vous invite à partager mes rencontres, mes voyages et les 1000 petits riens qui font le quotidien, forcement subjectif, d’un passionné d'Asie.
2 Comments
Interviews très intéressantes. Merci de les avoir partagées.
Beau couple .la petite est tres belle la rencontre Asie Afrik a ce que je vois produit du beau .. a mediter