Chine : Pékin lance une nouvelle croisade du net

La nouvelle a surpris tous les observateurs cette semaine. La très discrète et toute puissante autorité de lutte contre la corruption au sein du Parti communiste chinois a décidé de sortir de l’ombre via une nouvelle page web où les internautes peuvent dénoncer les fonctionnaires corrompus. Une annonce qui intervient après la publicité donnée au «  procès du siècle », celui du dirigeant déchu Bo Xilai, où pour la première fois une partie des rapports d’audience a été diffusée sur les réseaux sociaux. Une offensive qui entre aussi dans la campagne anti-corruption et contre les « ennemis du système » lancée par le président Xi Jinping. Pékin semblant aujourd’hui vouloir reprendre du terrain sur la toile aux cybers activistes et autres poils à gratter du régime. 

 
 
 
Ce nouveau site de la Commission Centrale de Contrôle de la Discipline du parti (CCDI), a d’abord un objectif pédagogique. Le net n’effaçant pas langue de bois, dans le jargon communiste cela donne : « L’ouverture d’un site officiel (…) est une nouvelle étape pour tirer parti d’internet afin d’améliorer notre travail, en accord avec la nécessité de nourrir une culture appropriée au sein du Parti, de maintenir un gouvernement propre et de combattre la corruption ». En gros, le bras armé du parti contre ses brebis galeuses a besoin de faire connaitre ses activités. Le site détaille notamment les cinq étapes du travail de lutte contre la corruption, ainsi que les tâches effectuées par les dix « bureaux d’inspections de la discipline et de supervision » qui composent la commission.

Campagne anti-corruption

Depuis l’entrée en fonction au printemps dernier du nouveau comité permanent du bureau politique du parti communiste chinois, la Chine est en croisade contre la corruption. Une croisade qui s’est encore accélérée ces dernières semaines avec la mise au pas d’au moins neuf hauts responsables du parti. Aucune de ces enquêtes n’ont toutefois pour l’instant été révélées sur le nouveau site de la commission de discipline. Récemment le visage du dernier mouton noir du régime est apparu classiquement sur le fil des dépêches de l’Agence Chine Nouvelle. Jiang Jiemin, superviseur en chef des actifs de l’état, a été suspendu de ses fonctions pour de « graves violations de la discipline ». Le site internet de la CCDI n’a donc pour l’instant que très peu à offrir en matière d’informations sur les investigations en cours. Le site reste toutefois une révolution au moins en termes de communication, car jusqu’à présent, la commission était surtout perçue comme un outil occulte permettant au parti de se débarrasser de ses cadres devenus gênants. Une grande partie de l’opinion est en effet persuadé que ses élites sont toutes plus ou moins corrompues, et que Pékin établi deux dossiers sur chacun de ses officiels : L’un, plein d’éloges, permet de monter dans la hiérarchie, quand l’autre, au contraire, liste les pots vins reçus par le fonctionnaire. Et ce dernier est conservé précieusement sous le coude, au cas où il faudrait le faire chuter.

Propagande

Le site de la Commission Centrale de Contrôle de la Discipline s’inscrit donc dans la campagne de propagande autour d’un « rêve chinois » -slogan du nouveau pouvoir-, débarrassé de la corruption. Le chef de l’Etat après son investiture a promis de n’épargner personne, en ciblant à la fois « les mouches » (petits cadres du parti) et les Tigres (hauts dirigeants). Les tambours et les trompettes des médias officiels ont été depuis convoqués à la rescousse. Une vidéo diffusée à la fois sur internet et sur les télévisions martèle le mot d’ordre venu du sommet.
 

► Pour voir la vidéo, cliquer ICI.

 

Grosse musique, cordes et voix puissante : « Le 18e congrès nous a rappelé que la corruption risque de conduire à la mort du parti et de la Chine. Nous nous sommes donc rendu compte de l’importance du travail anti-corruption. » Bruits des doigts qui courent sur le clavier, les mots du président Xi Jinping s’affichent à l’écran : « Il ne doit y avoir aucune exception devant les règles de la discipline du parti et devant les lois. Tous ceux qui sont corrompus, quels qu’ils soient, seront poursuivis jusqu’au bout et sans aucune pitié ». Pour ceux qui n’auraient pas encore compris de quel côté se trouve la rédemption, le film se termine par le glas et la foudre. Comme à Hollywood, les films du PCC se terminent heureusement par un happy end. Une fois les violons et les tambours calmés, la cloche s’ouvre sur un paradis du communisme aussi propre que le lit d’une rivière de montagne.  

Dénonciation en ligne

Pour que la lutte contre la corruption soit active, elle réclame la participation du peuple. Les camarades vont de nouveau pouvoir pointer du doigt les ennemis du parti. Dénoncer un fonctionnaire corrompu est désormais aussi simple qu’un clic affirme la presse officielle qui se félicite de l’initiative. Selon le quotidien Global Times, le site de la CCDI permettra en effet à l’agence de recevoir des dénonciations de la part des internautes de façon anonyme via un forum. Et pour ceux qui préfèrent des moyens plus traditionnels : Deux adresses postales et une ligne verte anti-corruption sont également mentionnées sur le site. Reste à savoir si les internautes très méfiants vis-à-vis des organes officiels rentreront dans le jeu. « Dénoncer les fonctionnaires avec son vrai nom, autant aller directement en prison » ironise ainsi l’un d’entre eux, quand d’autres s’inquiètent du fait que cela puisse encourager à la propagation de rumeurs. Les deux précédents sites permettant de critiquer ouvertement le pouvoir ont en effet disparu aussi vite qu’ils ont été créés. La très officielle « ligne directe pour Zhongnanhai –siège du pouvoir chinois » ouverte sur le site du Quotidien du Peuple est de ce point de vu l’un des plus gros flop du régime en terme de communication. La ligne ouverte en 2010 devait permettre aux internautes de dire tout ce qu’ils avaient à dire en s’adressant directement aux dirigeants. Le site a été noyé de commentaires aussitôt « harmonisés ». Un autre site ouvert l’année dernière et inspiré d’un model indien offrait la possibilité de dénoncer en ligne les pots-de-vin reçus par les fonctionnaires. Le site a été immédiatement censuré, car d’initiative privé et donc incontrôlable pour les autorités.    

Guerre contre les "ennemis" du net

Cette lutte contre la corruption n’est en réalité pas nouvelle. A chaque changement de comité permanent, le discours revient aussi vite qu’il s’était effiloché. Depuis Mao, toutes les directions centrales ont ainsi affiché leur détermination à lutter contre une situation ou le « corps pourrit et les vers pullulent » comme disait Xi Jinping avant sa prise de fonction. La corruption nourrit la colère du peuple contre ses élites, c’est donc l’ennemi numéro un. Mais quand on ne parvient pas à s’en débarrasser, mieux trouver un nouveau front. C’est l’autre grande croisade du net des autorités chinoises. Là encore, Xi Jinping a choisit un registre guerrier. Le président a appelé cet été les agents de la propagande à constituer « une forte armée » pour « s’emparer du front des nouveaux médias » indique le South China Morning Post. L’ennemi ici, c’est notamment Twitter, censuré en Chine, mais qui selon le Quotidien de l’Armée populaire de libération cité par le Monde serait « devenu une force invisible pour l’occidentalisation des esprits ». C’est aussi plus globalement l’Internet qui constitue «  un lieu naturel pour les services des renseignements étrangers pour inciter à la rébellion et dérober des secrets de l’Etat »« L’ennemi du système » est donc étranger. Il est installé au cœur des réseaux sociaux chinois pour faire de la désinformation. Un autre site officiel a ainsi été élancé au cœur de l’été pour « dénoncer les propagateurs de rumeurs ». Plusieurs bloggeurs influents dont l’homme d’affaire sino-américain Xue Manzi ont depuis été arrêtés. Rumeurs, corruption, ennemis de l’étranger… Pendant ce temps là, on ne parle pas de la Constitution dont la société civile et notamment les rédacteurs du groupe de presse Nanfang aurait souhaité faire l’un des chantiers prioritaires de la nouvelle direction communiste. Xi Jinping est « beaucoup plus enthousiaste a désarmer la Constitution Chinoise qu’a affronter les cadres corrompus » affirme ainsi l’analyste Chang Ping dans une tribune publiée par le South China Morning Post.
 
 
 
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