► Show must go off
La justice chinoise n’a (presque) plus rien à envier aux américains en matière de spectacle. Pour la première fois, les compte rendus d’audience -publiés certes partiellement mais publiés quand même sur les réseaux sociaux- ont permis aux
Chinois de se faire une opinion. Théâtre ou tribunal, le spectacle offert par la cour intermédiaire numéro trois de la capitale du Shandong à l'est du pays, a boosté l’audience. Le premier jour, l’attitude combative de l’accusé a même été jusqu’à désarçonner la télévision centrale de Chine. Ne sachant comment traiter le cas Bo Xilai, le journal de CCTV a finalement décidé de trapper le sujet dans sa grand messe du 19 h. Ce qui ne devrait d'ailleurs rien changer au verdict. La transparence de l’audience n’a pas fait disparaître une justice discrétionnaire. Une fois le rirdeau tombé, Bo Xilai devra payer. Show must go off.
► Policiers géants
La première réapparition publique de Bo Xilai en 18 mois a fait courir les claviers. Sur la photo postée sur le compte weibo du tribunal, on voit l’accusé entouré par deux policiers géants. Une présence probablement destinée à diminuer la silhouette du prévenu, mais qui a suscité l’hilarité du web. Les internautes se sont demandés si les uniformes bleus n’avaient pas passé une partie de leur jeunesse devant des paniers de basket, ou joué des rôles de méchants dans James Bond. La preuve que ce procès est d’abord une question d’image pour les autorités. Une question de survie aussi pour le régime. Le nouveau président chinois a fait de la lutte contre la corruption l’une de ses priorités, promettant au lendemain de son investiture de frapper à la fois les tigres (les leaders) et les mouches (les petits cadres) du parti. Mais à ce petit jeu, l’édifice pourrait vite s’écrouler. Le montant des sommes détournées dans cette affaire (un peu plus de 2,5 millions d’euros) semble en effet dérisoire à une opinion persuadée que d’autres ont fait pire que Bo Xilai.
► Bo Xilai dans le rôle de sa vie
Les maîtres de Zhongnanhai (la résidence des dirigeants du PCC à Pékin) ont dû se poser des questions pendant ces cinq jours d’audience. Le scénario prévu d’un accusé désabusé et repentant a dérapé. L’ex camarades du bureau politique s’est défendu comme un « Bo » diable et aurait retourné l’opinion à son avantage si l’on en croit les sondages d’opinion sur weibo. L’attaque est la meilleure défense, et 18 mois de détention n’ont visiblement pas changé le charismatique ex-secrétaire général du parti communiste de Chongqing. Brillant orateur, Bo Xilai n’a pas oublié ses études en journalisme et en communication. Il a su humaniser son personnage, l'empathie pour les moutons noirs du régime étant l'une des choses les plus redoutées par les artisans de la propagande. Il a même tenté de s’adresser en anglais à la cour, avant d’être repris par les juges nous disait le service de RFI en mandarin. Enfin, dernier atout : Une plastique qui visiblement continue de plaire à une partie des internautes. Des photos de l'accusé plus jeune et même en slip de bain ont ainsi fleuri sur les réseaux sociaux ces derniers jours. « Il est beau Bo et toutes les filles de l’aristocratie rouge ont un faible pour lui » nous confiait l’historien réformateur Zhang Lifan avant le début du procès. Difficile désormais d’appliquer une peine sévère sans risquer des manifestations dans ses anciens bastions de Dalian et Chonqging. Sans compter que Xi Jinping a déjà en tête le prochain congrès dans 4 ans, ou il aura aussi besoin des ex-soutiens de Bo Xilai pour faire l’unité du parti.
► Derrière chaque crime se cache une grande fortune
Ceux qui voulaient connaître les familles de l’aristocratie rouge de l’intérieur en ont eu pour leur argent. C’est encore pire qu’on l’imaginait. Chez les hauts fonctionnaires la corruption passe par les femmes et les proches du dirigeant. C’est donc Gu Kailai (la seconde épouse de Bo Xilai) et Bo Guagua (son fils) qui ont reçu la quasi-totalité des pots de vins affirme l’accusation. Jules et Jim chez les Borgia, la fin du procès a viré au grand déballage. Bo Xilai accusant sa dernière épouse et l’ex super flic de Chongqing (sud ouest) par qui le scandale est arrivé, d’être comme la « laque et la colle » une expression chinoise décrivant l’état des amoureux qu’on ne peut séparer d’un centimètre. D’ordinaire l’élite communiste préfère laver son linge sale en famille, cette fois c’est au tribunal.
►Viande d’Afrique, villa à Cannes et trottinette électrique
Le « modèle de Jinan » va-t-il effacer le « modèle de chongqing » comme semble le penser la presse officielle ? Rien n’est moins sûr, car les faits reprochés à l’accusé n'ont pas convaincu l'opinion. il est de notoriété publique que la commission de discipline du parti prépare deux dossiers sur chaque haut fonctionnaire : Un dossier pour le faire monter, et un dossier pour le faire chuter. Or ici, le dossier plombé semble plutôt léger. Etes-vous au courant de la trottinette électrique achetée par Xu Ming (le milliardaire de Dalian ami de la famille) à votre fils Bo Guagua a demandé l’accusation en brandissant la photo de l’engin ? Non j’avais d’autres choses à faire que de m’occuper des « jouets » de mon fils a répondu Bo. Même chose pour ce voyage en Afrique à 100 000 dollars payé à Bo Guagua par Xu Ming ? Bo devait pourtant être au courant a confié son épouse dans un entretien vidéo diffusé à l’audience. De retour d’Afrique, le fiston aurait en effet proposé à son père de goûter à de la viande d’un animal exotique. « C'était un gros morceau de viande, d'une espèce rare. Je ne pouvais pas me rappeler de quel animal il est venu", a déclaré Gu Kailai. Cette dernière ajoute que Guagua s’est mis en colère quand son père a insisté pour cuire le cadeau à la vapeur. Un morceau de viande pour réanimer la mémoire de l’accusé ? Pendant cinq jours, la défense s’est contentée d’être passive sur le mode : « Je n’étais pas au courant ». Bo ne savait pas pour les voyages et les études à l'étranger de son fils payés grâce aux largesses de Xu Ming. Il ne savait pas non plus pour la villa de Cannes dans le sud de la France offerte par l'ami milliardaire à Gu Kailai. Une défense peu crédible donc, mais face à une accusation tout aussi faiblarde car manquant d'éléments de preuves et qui n’a pas su reprendre la main. Si la justice ne vous tue pas, elle vous rend plus fort !
Actualisation du billet :
► SCMP 30 août 2013 Pourquoi Bo Xilai ne partira pas sans esclandre
► SCMP 30 aout 2013 L'ancien patron de la sécurité publique et ami de Bo Xilai, Zhou Yongkang; menacé de poursuites pour corruption
► SCMP 1er septembre 2013 "Ne vous laissez pas berner par le procès Bo Xilai"
2 Comments
Les internautes chinois aussi vous noterez. Mais vous avez raison, il ne faut pas oublier qu'il y a eu meurtre dans cette affaire. Sans la tentative de défection de Wang Lijun a Chengdu on n'aurait peut-être jamais rien su de l'assassinat; Si Bo a utilisé ses fonctions pour tenter de dissimuler le crime de son épouse, c'est de l'abus de pouvoir.
La presse occidentale a pris en général fait et cause pour Bo. Pour quelles raisons? Difficile de le dire. Le britanique décédé n'emeut personne en occident. Est-ce une apathie pour tout ce qui grandit la chine?