Le régime chinois enferme les gens qui ne pensent pas comme lui. Elles sont terribles ces images de Liu Xia diffusée jeudi 6 décembre par l’agence américaine Associated Press. La femme du prix Nobel chinois 2010 est bouleversée. C’est sa première rencontre avec des journalistes depuis l’attribution de la prestigieuse récompense à son mari emprisonné Liu Xiaobo il y a... 26 mois !
photo SL
C’est une résidence de fonctionnaires du ministère des finances plutôt cossue à l’ouest de la capitale chinoise. Il est près de 22h30. Dans le ciel glacé du quartier de Haidian, les arbres dénudés tentent une dernière danse pour se réchauffer. Autant réveiller un mort ! Le parc jouxtant le bloc d'immeubles est déjà complètement figé par le froid. Nous accélérons le pas pour gagner la grille d'entrée, le bonnet enfoui jusqu’aux yeux et le nez caché sous l'écharpe. Les réverbères ont bien du mal à chasser la nuit qui mord la chaussée. Ce qui est plutôt bien en pareilles circonstances, car des occidentaux en promenade à cette heure seraient probablement vite repérés. Sur le côté droit, une minuscule cahutte éclairée comme un aquarium. Le gardien est endormi sous son képi. Nous y sommes presque.. Il ne reste plus que cette grosse bâche couleur armée qui bombe le torse face au froid de décembre ; un habit vert matelassé que l'on retrouve sur la plupart des portes d'entrées pendant le long hiver pékinois.
Nous écartons doucement la masse sombre. La lumière remue, puis un homme en surgit le doigt pointé dans notre direction comme pour lancer un mauvais sort : « Allez vous inscrire là-bas » lance-t-il tout en appelant ses camarades en renfort. « Là-bas » c’est une petite cabane blanche à l’entrée côté parc qui nous avait échappé en arrivant. Une douzaine de gaillards aux vêtements sombres en jaillissent, avec la mine chiffonnée de ceux que l’on sort d’un mauvais rêve. Tous se précipitent vers la bâche verte kaki, les regards à 180 degrés pour repérer d’autres intrus qui voudraient s’en prendre au château fort. On ne nous demande pas nos identités. On ne nous pose aucune question. Ce qui intéresse les vigiles, c’est de savoir si quelqu'un a pu franchir la porte d'entrée. Nous repartons au moins avec une réponse, ce jeudi soir 6 décembre 2012, l’appartement du prix Nobel de la paix 2010 à Pékin restait très surveillé.
Photo Liu Xia Associated Press 6 décembre 2012
Le témoignage de l'épouse du prix Nobel de la paix recueilli un peu plus tôt dans la journée ce même 6 décembre par nos confrères d’AP est donc tout à fait exceptionnel. Eux ont pu entrer dans l'appartement du Nobel et surtout parler à sa femme Liu Xia, 52 ans, qu'on n'avait pas vu et pas entendu depuis plus de deux ans. La dernière fois c'était de loin et par l'embrasure de sa fenêtre.
Questions : S’agissait-il d’un geste de mansuétude du nouveau pouvoir chinois ? Les gardiens se sont-ils éclipsés au moment opportun pour laisser entrer les journalistes ? Les visages inquiets de ces derniers le soir venu, semblent en réalité trahir d’avantage un gros remontage de bretelles dans la journée plutôt que de nouvelles consignes de clémences.
« Nous avons été les premiers surpris quand nous avons vu que les gardiens n’étaient pas là près du petit lit dans le hall nous expliquait hier soir Isolda Morillo au retour de notre virée nocturne. Il était près de midi, les gardiens étaient probablement partis déjeuner poursuit notre consœur du bureau de l’agence AP à Pékin. Liu Xia était elle aussi très surprise. Elle était effrayée à l’idée qu’ils reviennent. Nous ne sommes restés avec elle que quelques minutes pour ne pas risquer de perdre son témoignage. »
« Voilà un an et demi que je tente désespérément de voir l’épouse de Liu Xiaobo, le matin, l’après midi, le soir et la nuit, et je suis toujours tombé sur ses gardiens raconte ce vendredi le dissident Hu Jia sur son compte twitter » (cf. ci-dessus) « Nous sommes dans l’illégalité la plus complète expliquait hier soir maître Mo Shaoping sur RFI. Elle a seulement le droit de manger avec ses parents une fois par semaine et elle ne peut visiter son mari qu’une fois par mois. La police vient la chercher la veille en voiture, elle arrive à la prison de Jinzhou [NDLR. Dans la province du Liaoning, au nord-est de la Chine] le lendemain matin puis repart pour Pékin. Même pour aller au marché, elle est surveillée ».
Le témoignage de Liu Xia recueilli par nos confrères d’AP est bouleversant, car il décrit une Chine qui aura bientôt disparue. Un pays où un aveugle comme Chen Guangcheng s’est retrouvé en prison, puis assigné à résidence pour avoir dénoncé la stérilisation forcée de milliers de femmes dans sa province, un pays où encore aujourd’hui, une poétesse, peintre, photographe et surtout épouse du prix Nobel de la Paix chinois ne peut plus sortir de chez elle sans être accompagnée par les policiers.
En 2009, son époux Liu Xiaobo a été condamné à 11 ans de prison pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat ». Une peine prononcée suite à la publication de la Charte 08, un projet de réforme constitutionnelle signé à l’origine par 303 intellectuels chinois. « Liu Xiaobo a participé à l’élaboration de la Charte 08 mais pas plus qu’un autre nous disait il y a peu son traducteur Jean-Philippe Béja. Nous sommes donc là encore face à l’arbitraire le plus complet. »
« Je n'aurai jamais pu imaginer que je me retrouverais en résidence surveillée après l'attribution du Prix Nobel à mon mari dit Liu Xia à AP. Je pensais être prête émotionnellement à répondre aux conséquences du prix Nobel, je n’aurais imaginé que je ne pourrai plus sortir de ma maison après cela (…). Même Kafka n’aurait pas pu écrire quelque chose de plus absurde et incroyable que cela !»
Photo Liu Xia 6 octobre 2010 RFI
La dernière fois que nous avions rencontré Liu Xia c’était quand elle riait encore, et c’était quatre jours avant l’annonce du prix Nobel de la paix 2010.
Une image qui contraste avec celle de l'agence AP aujourd’hui. La situation de Liu Xia s’était pourtant un peu améliorée en octobre dernier, les deux femmes policières qui vivaient chez elle en permanence ont finit par quitter l’appartement. Mais dans le monde de l’absurde, l’absurde n’est pas toujours où l’on croit… Certains dissidents jaloux en ont alors profité pour critiquer ce qu’ils considèrent comme des privilèges et notamment le droit de visite mensuel à son mari ainsi que le fait pouvoir rester dans le domicile confortable du couple à Pékin.
Heureusement beaucoup d’autres ne sont pas de cette avis. Cette semaine, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu, prix Nobel de la paix 1984 soutenu par 133 autres lauréats récompensés par le comité suédois ont lancé une pétition demandant la libération de Liu Xiaobo.
Cette situation pire que dans un roman de Kafka n’est pas digne de la Chine que nous connaissons. A l’intérieur même du pays, de nombreuses voix espèrent, comme maître Mo Shaoping, un geste des dirigeants chinois et notamment une remise de peine pour le prix Nobel de la paix 2010. Le 30 novembre dernier (image ci-dessous), un groupe d’activistes mené par Wu Lihong s’est même payé un encart publicitaire à 100 000 yuans dans le New-York Times (cf. image ci-dessus) pour féliciter le nouveau numéro 1 chinois. Objectif : Encourager Xi Jinping à tenir ses promesses en matière d’environnement. Mais « l’environnement » doit être ici au sens large, car c’est aussi sur les réformes politiques que la nouvelle équipe qui doit prendre ses fonctions lors de la réunion des deux assemblées en mars prochain est très attendue.
Le temps de la radio et ses formats sont parfois réducteurs pour raconter une région où tout change tout le temps.
Au travers de ce blog, je vous invite à partager mes rencontres, mes voyages et les 1000 petits riens qui font le quotidien, forcement subjectif, d’un passionné d'Asie.