Plages

L’Asie du Nord a longtemps préféré la montagne à la mer. Sauf à ressortir l’éternel rouleau Hokusai, qui a vu venir le tsunami de loin mais pour mieux mettre en relief le mont Fuji niché au creux de la vague, le pinceau des peintres Chinois, Japonais et Coréens nous a longtemps fait prendre de l’altitude. Aujourd'hui les choses évoluent, et les rivages sont désormais aussi bondés que les sommets. Retour de plages en images…

 
 
 
 
Les vacances peuvent filer un sacré coup de vieux. C’est ce qu'on a pensé l'autre jour en retrouvant Haeundae, la grande plage du sud de la Corée du Sud, à l’est du port de Pusan. La deuxième ville du pays est aujourd'hui célèbre pour son Festival de Cinéma et sa fameuse plage que les Pusannais déroulent désormais chaque été avec fierté. 
 
 Plage d'Haeundae, juillet 2012 SL
 
 

Baigneurs des anneaux

 
Haeundae a changé, c’est aussi ce qu'on a pensé devant une photo publiée par les agences  Reuters et AP, qui a provoqué un véritable buzz sur Face Book en cette fin de mois d'août. L’image nous vient de Chine et non de Corée, mais elle traduit le même engouement pour la baignade. Nous voici dans la piscine d'un parc d'attraction du district de Suining dans la province du Sichuan (ouest de la Chine). Soupe aux raviolis trop bien servie dans laquelle on ne verrait même plus le potage, le grand bassin est complètement saturé de baigneurs et de… flotteurs ! Des baigneurs aux anneaux colorés que l’on rencontre d'ailleurs aussi à Pusan en Corée du Sud, où visiblement le marché de la bouée est tout aussi porteur. 
 
Haeundae juillet 2012, SL
 
 

Cinéma et "makgeolli"

 
Haeundae a donc bien changé ! Nous sommes en 1998 et Libération nous a envoyé couvrir la 3ème édition de ce qui allait devenir le plus grand rendez-vous du cinéma en Asie. 1998 c'est un autre siècle à l'heure asiatique et particulièrement chez des Coréens longtemps obsédés par le "pali, pali" ("vite, vite" en français), phrase du tous les jours devenu slogan d'un pays en perpétuelle course contre lui même. Nous sommes en 1998 et à l’époque, il n'y a ni transats ni bouées sur la plage de Haeundae! On ne voit pas non plus d’écran XXL, pas de sièges classe affaire dans des multiplexes standardisés aux relents de popcorns si violents qu'ils vous feraient presque oublier la vie qui défile devant vous en 16/9ème.
 
A l'époque, le festival se déroule dans la vieille ville près du marché au poisson de Jagalchi, dans « une ambiance bon enfant, sans multiplexe luxueux ni palais des Festivals mais des petites salles de quartier où des vendeurs de seiches fumées accueillent un public nombreux qui se bouscule aux séances comme on entre dans les transports en commun ». 
 

 
 

Kim Ki-duk

 
Et cette boulimie de cinéma se partage. Ce qui tombe bien puisqu'on a alors rendez-vous avec Kim Ki-duk. Le réalisateur surdoué n’a pas encore réalisé l’Ile qui lui vaudra la célébrité (actualisation du billet : Son 18ème film Pieta s'est vu décerner le Lion d'or par le jury de la 69ème Mostra de Venise).
 
Il porte un pantalon treillis et un débardeur Kim Ki-duk. On ne l’a croisé que deux ou trois fois, mais le courant est bien passé. Il parle de ses errances et de ses peintures réalisées à Avignon et sur les chemins de France. Pas de réception dans les hôtels, pas de petits fours ni de champagne, pour nous ce sera un festival de poissons grillés et de petites bouteilles blanches en plastique. Un alcool de riz fermenté que les Coréens appellent  « Makgeollli » : Rien de tel, pour faire durer la nuit.  
 
Et la plage dans tout ça ? A l'époque, avec l’ami Kim, nous sommes bien sûr allés voir la mer. Loin des immeubles rutilants et des forêts de parasols d’aujourd’hui, Haeundae c’était alors des petits restaurants de poisson cru où les jeunes couples venaient grignoter avant de se promettre la lune. Point de baigneurs, mais des lovers : Des centaines de couples comme aspirés tous les soirs par la marée et des bandes d’étudiants venus fêter leur camaraderie naissante. Pour les couples c’était facile, la promenade se terminait presque toujours par un bouquet d’artifices lancé aux étoiles. La pyrotechnie étant encore aujourd’hui l’un des meilleurs moyens de déclarer sa flamme en Corée.
 
 

Bain de midi

 
A la nuit tombée, les explosions de couleurs éclairent la mer comme un soir d'orage. Agglutinés par grappes aux petites tables des estaminets le long de la promenade, les plus agés restent indifférents à ces éclairs joyeux et amoureux envoyés par la jeunesse. Ces derniers sont bien trop occupés à refaire le passé. Quelques rasades de soju –la vodka sucrée du pays- par-dessus les fruits de mer, et hop ! « Noré, noré » comme disent les Coréens ! Il ne reste plus qu’à chanter ! Un disc jockey souvent déguisé en clown (on n’a jamais su trop pourquoi) en profitait pour se pointer au milieu du repas avec son chariot à chansons. Une petite télé, un micro et des hauts parleurs crachant du « Pondchak » suffisaient alors à faire danser toute la jetée (cf. extrait disco pondchak ci-dessous).  
 

PONGCHAK Disco, South Korea by Stéphane Lagarde

 
Les feux d’artifices ou le karaoké… Du coup, nous on se rabattait sur les petites bouteilles blanches. « Il n’y a personne qui se baigne ici ? » « Euh c'est à dire que non me répondait mon camarade, ce n’est pas dans notre culture ». « Personne pour le bain de minuit alors ? » « Non » « Et personne non plus pour le bain de midi le lendemain ? » « Non plus ».
 
En Corée, la mer a longtemps été réservée aux pêcheurs et aux marins au long cours. Comme les célèbres plongeuses de la grande île de Cheju, la plupart des baigneurs aperçus à l’époque portaient une combinaison de plongée pour aller chercher les coquillages où conservaient leurs habits pour faire trempette.
 
 

ABCdaire de la Chine

 

C’était d’ailleurs visiblement là même chose en Chine nous disait à l’époque Philippe Paquet : « Les Chinois ne vont pas à la plage. Parce qu’ils n’en ont pas. Ce n’est pas le constat le moins paradoxal quand on sait que le pays est baigné par quatre mers –mer de Bohai, mer Jaune, mer de Chine orientale, mer de Chine méridionale- et que l’embouchure du fleuve Yalu, sur la frontière sino-coréenne, au nord, à celle de la rivière Beilun, sur la frontière sino-vietnamienne, au sud, la côte chinoise s’étire capricieusement sur pas moins de 18 000 kilomètres ! (…) Et sur ce littoral, à peine deux plages de sable digne de ce nom. Celle de Beidaihe, à quatre heures de train de Pékin, qui doit sa célébrité aux réunions qu’y tenait chaque été, jusqu’en 2002 au moins, le gratin du communisme chinois pour y discuter les nouvelles orientations politiques et y arrêter les nominations au sommet de la hiérarchie. Et celle de Qingdao, dans la péninsule du Shandong, là où on produit la bière réputée d’exportation Tsingtao. Encore s’agit-il de deux stations balnéaires développées à l’époque coloniale. (…) Chinoises et Chinois n’ont guère le goût du bronzage. Ils partagent plus volontiers l’idéal de blancheur qui était de mise dans la Grèce antique. Larges chapeaux, à la campagne, ombrelles en ville protègent encore souvent les élégantes des ardeurs du soleil. L’occidentalisation des mœurs qui accompagne l’ouverture de la Chine depuis vingt ans commence à modifier timidement cette attitude. Les maillots de bain, qui étaient invariablement d’une pièce et de facture plutôt grossière, obéissent aujourd’hui aux préceptes de la mode la plus branchée, même si les mesures ne sont pas encore… brésiliennes. On se bouscule toujours autant à Beidahe ou à Qingdao, mais ce n’est plus seulement pour faire des châteaux de sable ou des clapotis dans l’eau : il arrive de plus en plus souvent qu’on veuille en revenir avec la peau bien brune. » Philippe Paquet, l’ABCdaire de la Chine. Editions Philippe Picquier 2004       
 
 

« Face-kini »

 
Les anciens n’aiment pas trop le soleil en Asie. Pas question de ressembler à ces ouvriers au teint buriné qui vous construisent des immeubles à la vitesse des châteaux de sable. Plus de dix ans après, la baignade en manches longues est toujours de rigueur pour les plus âgées. La mode serait même, parait-il, au « face-kini » nous disent les confrères, images à l’appui prises sur la plage de Qingdao.
 
►« Beach wrestlers » in Qingdao, China. (Jordan Pouille 12.07.2012)
►Meet the 'Face-Kini', the latest craze to hit China's beaches as bathers wear masks to beat the sun's harmful rays (Daily Mail 17.08.2012)
►BOUH ! Le face-kini fait fureur sur les plages de Chine. (Le Monde 20.08.2012)
 
 
Avec quelques variantes : A Pusan en Corée, c’est plutôt la version guerre des étoiles
 
 Haeundae, Juillet 2012 S. Lagarde
 
 
Alors qu’à Qingdao (Chine) on préfère la cagoule style commando
 
 Photo weibo Qingdao 11.07.2012
 
  

Camping les pieds dans l'eau

 
En même temps, il ne faut rien exagérer ! Tout le monde ne va pas à la baille déguisé en braqueur de banques à Qingdao. Nos marchands de cagoules sont pour l'instant cantonnés au centre-ville. Sur la grande plage de « Shi Lao Ren Hai Shui Yu Chang » (littéralement « la plage du vieux en pierre »), plus à  l’ouest, il y a aussi l’option camping qui permet de se protéger du soleil entre deux bains de mer.
 
Qingdao Août 2012 SL
 
 
Plus près du centre, nous garderons le souvenir de ces douches collectives face au rivage, un peu comme de grands vestiaires de stade. La « sixième plage » de Qingdao, près du ponton de Zhanqiao, reste en effet très populaire.

 
Un espace y est encore réservé au culturisme avec des barres et des haltères datant d’au moins une dizaine d’année. On campe, on mange, on discute, on joue aux cartes. Un peu comme au Brésil, la plage est une rue où accessoirement on se baigne. L’ensemble rappelant parfois les cartes postales surannées de la belle époque des congés payés, dans une Europe qui ne connaissait pas encore la crise.
 

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