Rhinocéros, la corne à fric

Le bureau de RFI à Pékin vous propose tous les mois un long reportage sur la société chinoise. Cette fois nous marquons une pause car nous partons pour l'Afrique du Sud. C’est notre copine Juliette Rengeval, correspondante de RFI à Johannesburg, qui nous a invité dans son Grand Reportage. L’histoire d’un trafic très lucratif entre l’Afrique et la Chine…

 
 
 
On n'a pas toujours le beau rôle quand on est journaliste. Il faut parfois mettre sa fierté -forcément mal placée- dans la poche. C'est ici le cas dans ce reportage où nous avons dû jouer les impuissants en quête d’un produit miracle  permettant de retrouver une certaine vigueur sexuelle. Il existe en effet de nombreuses raisons qui poussent les Asiatiques et notamment les Chinois à se procurer la corne d’un animal protégé (cf. interview ci-dessous). L'une de ces raisons est liée à la fascination pour la durée de l’accouplement de l’espèce et les vertus supposées érectiles attribuées à la corne de rhinocéros.
 
Si vous l'avez manqué nous vous proposons ici d'écouter l'enquête de Juliette Rengeval en Afrique du Sud diffusée hier sur les antennes de RFI... avec un détour par la Chine
 

► Rhinocéros, histoire d'un trafic Chine-Afrique

 

Grand reportage
(19:00)
 
 
 
 

Photos S.Lagarde

 

« Les braconniers ne sont pas des dentistes, nous devons continuer à informer les consommateurs sur les réalités de ce trafic » Hua Ning est la responsable du Fond International pour la Protection des Animaux –IFAW- à Pékin. Selon elle, il faut non seulement renforcer les lois punissant les trafiquants, mais aussi multiplier les campagnes d'information afin de faire chuter la demande

 
 
- On a parlé d’une recrudescence du trafic en 2011, qu’en est-il cette année ?
 
Il y a toute une série d’indicateurs qui laissent penser que la situation s’est encore aggravée. En 2009, 123 rhinocéros ont été tués, 333 en 2010 et un nouveau record a été atteint en 2011 avec 448 animaux abattus par les braconniers.
 
Or cette année, nous en sommes déjà à 135 ! Le nombre des rhinocéros sauvages tués n’arrête pas d’augmenter et on le sait maintenant, derrière ce massacre il y a le marché asiatique. 
 
- Ou se situe la Chine sur la carte du trafic ?
 
La demande existe dans de nombreuses régions d’Asie, mais la Chine et le Vietnam restent les principaux consommateurs.
 
C’est lié notamment à la médecine traditionnelle et à certains médecins qui continuent d’affirmer que la poudre de corne de rhinocéros peut être utilisée comme médicaments. Il y a même des charlatans qui aujourd’hui encore disent que cela permet de guérir certains cancers !
 
 
Comme il y a de plus en plus de riches en Asie, la demande forcement augmente. Entre juillet 2010 et juillet 2011, l’IFAW a procédé à une enquête sur l’internet chinois. On a découvert plus de 18 000 objets en corne de rhinocéros vendus sur internet sans même s'en cacher.
 
En dehors même de la médecine chinoise, il y a donc aussi ce marché des objets en corne qui du fait de leur raretés sont devenus extrêmement demandés par les consommateurs.
 
- Les vendeurs ne sont pas inquiétés par les pouvoirs publics ? 
 
Il y a quand même des changements positifs, quand les associations font pressions cela a des répercussions. Nous avons par exemple dénoncé la présence de ces objets en corne ou en ivoire sur les marchés d’antiquités et dans les ventes aux enchères. Le 15 décembre dernier, sous la pression des pouvoirs publics, l’association chinoise des maisons de ventes aux enchères a pris un décret pour mettre un terme à la vente de ces produits.  
 
- Et sur internet ?
 
Là c’est plus difficiles, encore récemment un de nos bénévoles a découvert un site de chasse en ligne qui encourage ouvertement les Chinois à se rendre sur le continent Africain et notamment en Afrique du Sud pour faire ce qu’ils appellent en anglais du « trophy hunting », autrement dit une « chasse aux trophées ». Parmi les « trophées » en question, il y a l’éléphant mais il y a aussi le rhinocéros. On peut même voir le prix de ses programmes de chasse à l’étranger –cf. Grand reportage ci-dessus.
 
 
- Quels sont les mesures à prendre selon vous pour lutter contre le braconnage ?  
 
On est confronté à de nombreuses carences. Comme vous le savez une convention internationale existe. C’est le CITES (Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Flora and Fauna) qui réglemente la chasse. Certains animaux, peuvent-être chassés et ramenés à la maison en échange d’un certificat d’importation et d’exportation. C’est en quelques sortes un permis de tuer, cela crée une ambigüité dans laquelle les trafiquants n’hésitent pas à s’engouffrer.
 
L’appendice 2 de la charte CITES, comprend notamment les éléphants et les rhinocéros de certains pays d’Afrique. La chasse est donc autorisée pour ces espèces même si on n'autorise par leur exportation. Et puis il y a des mesures qui sont prises dans chacun des pays. Elles sont visiblement très insuffisantes. Il n’y a plus de Rhinocéros à Java et il reste 25 000 rhinocéros seulement dans la nature, c’est très peu !
 
L’espèce pourrait bien disparaitre d’un seul coup, sachant que les rhinocéros noirs d’Afrique de l’ouest sont déjà en voie d’extinction selon l’International Union for Conservation of Nature (IUCN).
 
- Que faire alors ?
 
La plus grand menace pour les rhinocéros, c’est le trafic ! Nous devons donc éduquer les gens ici et dans l’ensemble de l’Asie pour qu’ils arrêtent de consommer ce qui fait l’objet d’un trafic. C’est ce qu’on fait au travers de campagne d’éducation en Chine et au Vietnam. Et puis en Afrique, il faut que les lois et les règlements soient strictement appliquer.
 
C’est la seule manière de mettre fin à la menace qui plane sur l’espèce. Jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à réduire le trafic et les cornes continuent d’arriver sur le marché asiatique. L’année dernière les douanes de Hong-Kong ont saisi 33 cornes de rhinocéros à bord d’un navire –cf. RFI 20 novembre 2011-.
 
Pour résoudre ce problème, il nous faut continuer à sensibiliser le public. Sans consommateur, il n'y a plus de   massacre !
 
En Afrique, il faut appliquer les lois et protéger ces animaux de manière plus stricte. Et au niveau international, nous devons développer la coopération entre les polices et les douanes.
 
- Est-ce la fin des rhinos ?
 
Moi je suis plutôt de nature optimiste. Je crois qu’à l’avenir, il y aura de plus en plus de Chinois qui refuseront d’acheter de la corne de rhinocéros. En fait beaucoup ne savent pas que l’animal risque de disparaître.
 
Prenez l’ivoire par exemple… En 2005, nous avons réalisés un sondage et on demandait aux sodés s’ils savaient que pour une petite boucle d’oreille en Ivoire, un éléphant était tué en Afrique. 70 % nous ont répondu qu’ils n’étaient pas au courant.
 
Beaucoup pensaient que les défenses étaient un peu comme les dents de sagesse,  qu’on pouvait les enlever sans dommage. On leur a alors expliqué que les braconniers n’étaient pas des dentistes et qu’ils n’hésitaient pas à tuer leur proie. Une fois qu’on leur a dit que la vie des éléphants était menacée, 80 % nous ont affirmé qu’ils ne consommeraient plus jamais d’ivoire.
 
  
Pour la corne de rhinocéros, c’est pareil ! En 2009, l’Association mondiale de médecine chinoise a déclaré que les espèces menacées n’étaient pas indispensable à la médecine traditionnelle.
 
On voit donc bien que ce n’est pas seulement la médecine chinoise qui est en cause, mais surtout les pharmaciens et les revendeurs véreux. Si les gens achètent ces produits encore une fois, c’est qu’ils ne savent pas ce qui se passe exactement derrière ce trafic.
 
Depuis que le commerce de corne est devenu illégal en Chine en 1993, la poudre de corne de rhinocéros a disparu des boutiques de médecine traditionnelle, ou en tous cas des devantures et des rayons. Ce n’est pas pour ça que les Chinois vont tomber malades. Il y a des plantes pour la remplacer.  
 

Photosrhinos : Les images de rhinocéros qui illustrent ce billet proviennent des sites des ONG IFAW et Save The Rhino