Rien ne va plus dans l’est chinois. Expropriations, délocalisations, les riches provinces côtières se rebellent. Exemple à Wukan où depuis septembre, la révolte gronde...
L'information est passée quasi inaperçue, c'est pourtant une petite révolution qui s'est produite ce lundi 21 novembre 2011 dans la province du Guangdong. Chose très rare en Chine, une manifestation d'ampleur aurait pour la première fois été "autorisée". Selon le journaliste indépendant You Yi, plusieurs milliers d'habitants de Wukan ont défilé "dans le calme". Un service d'ordre avec "brassards rouges", organisé par les manifestants, aurait même pu accompagner le cortège.
Emeutes de la terre
A l'échelle de la Chine, Wukan (11 000 habitants) est un petit village de pêcheurs, mais c'est aussi un village rebelle. Les autorités du Guangdong ont-elles décidé de laisser faire ? La rue a t-elle désormais le droit de s'exprimer en Chine ? Devant l'ampleur de la révolte qui a secoué ce même village fin septembre, les responsables de la province cherchent surtout à recadrer les choses et veulent à tous prix éviter de nouveaux affrontements. A trop contenir la colère, elle finit par exploser comme en témoignent ces photos publiées sur les microblogs le moins dernier.
Comme souvent, les autorités locales sont accusées de minimiser le montant des compensations accordées lors des expropriations. Ici c'est une autoroute ou un train qui passent, là c'est une usine qui s'installe. Dans le cas précis, c'est le port de Wukan qui s'étend et le chef du village qui est directement pointé du doigt. Ce dernier est accusé par la population d'avoir détourné un terrain de 3 200 mu (1 mu = 666,66 m2) à son profit. Chose idiote, il aurait aussi complètement oublier de redistribuer le produit de la vente aux habitants.
La ville de Lufeng et le comté de Donghai seraient par ailleurs accusés d’avoir manipulé le résultat des dernières élections. Enfin, dernière revendication sur les banderoles ; les manifestants ne veulent plus entendre parler de l’entreprise chargée de développer le port. Les pelleteuses ont faim en Chine. Elles seraient même devenues boulimiques à en croire les mécontents puisqu'elles auraient déjà avalé 5 300 mu de champs et 19 000 mu de forêts, sans compter la pollution des environs du port.
Sentiment de déclassement
Nous écrivons ici volontairement au conditionnel, car ces accusations sont difficiles, voir impossible à recouper. C’est sur internet qu’Anqi l’assistante du bureau de RFI à Pékin rassemble ces témoignages. La plupart de ces manifestations sont rarement relayées par la presse officielle,
Une chose est sûre les villages grondent. Située en face de Hong-Kong, la riche province du sud-est de la Chine a autrefois été rebaptisée « l’usine du monde » après que les multinationales s'y soient engouffrées au début de la politique d’ouverture initiée par Deng Xiaoping dans les années 80. Mais désormais les multinationales déménagent vers l’Ouest du pays où la main d’oeuvres est meilleure marché.
Résultat :Pas un mois sans que la riche province de l’Est ne se retrouve au centre de l'actualité sociale. L'inquiétude a d'ailleurs finit par gagner toute la côte. La semaine dernière c’était à Yilong avec des manifestants qui s’en prenaient au parc industriel du coin. Il y a tout juste un mois, la correspondante d'Al Jazeera rentrait à Pékin avec les images d'émeutes de la terre dans le Zhejiang. Plus au nord dans le Shandong où nous étions en reportage au début du mois, des comerçants se plaignent de la chute des commandes en provenance d'Europe et des Etats-Unis.► 3 novembre 2011 Shandong RFI
Qu’il s’agisse de paysans dépossédés de leur terre, de commerçants dépossédés de leur rente, ou encore d'ouvriers dépossédés de leur travail, la colère vient d’abord d’un sentiment de déclassement par rapport à une Chine qui continue de s’enrichir.
Les experts sont formels, le Guangdong devrait en effet voir son PNB dépasser celui de la Corée du Sud et de Singapour dans les cinq ans.
Ces manifestations sont révélatrices d’une société en mutation. La Chine s’urbanise, les paysans perdent du terrain et les ouvriers ne sont pas mieux lotis.
Wukan manifeste encore
Wang Yang
29 novembre 2011. Le South China Morning Post revient longuement sur ces révoltes des villages du Guangdong. Le quotidien de Hong-Kong évoque notamment ces affrontements entre la police et des commerçants du marché de jade de Zhaoqing. Des hommes armés de fusées éclairantes et qui contestent le triplement des loyers. A Heshan à l'ouest de la province, ce sont des habitants qui manifestent contre un chef de village et les expropriations poursuit le SCMP. La question étant de savoir pourquoi ces incidents sont rapportés par la presse ? Certains évoquent la décision du secrétaire générale du parti de la province Wang Yang, de laisser d'avantage de libertés aux médias. D'autres comme le politologue Joseh Cheng Yu-schek de l'Université de Hong-Kong mettent en avant la bataille entre libéraux et conservateurs pour l'accession au comité permanent du PCC l'année prochaine.
Wang Yang a t-il peur de retombées négatives dans sa course au comité permanent du PCC l'année prochaine? Le très "libéral" secrétaire du Parti du Guangdong a estimé mardi 29 novembre que "la presse devrait évoquer d'avantage les résultats positifs au lieu de multiplier les reportages sensationalistes qui magnifient la face sombre de la société". Celui qui disait vouloir accorder plus de libertés aux médias dans sa province, craint-il la multiplications des "reportages négatifs" sur les révoltes sociales ? "Ma mère, âgée de 80 ans, m'appelle souvent et me dit : ` Wang Yang, vous devez prendre soin de vous lorsque vous sortez. Pourquoi ? Le Guangdong est il perçu comme un lieu chaotique feint de s'interroger le responsable de la province ?" Peut-être est-ce bientôt la fin des manifestations dans le Guangdong... du moins dans les journaux.
12 décembre 2011. Les manifestations continuent. Les Wukanais paradent armes à la main et bloquent les entrées du village. Image publiée sur weibo (Merci à Renaud de Spens)
Xue Jinbo
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N’allez pas chercher le mot « Wukan » sur l’internet chinois, le nom de ce village de la province du Guangdong a disparu des principaux moteurs de recherche affirme le site Fenghuangwang. Le 8 décembre dernier, 5 personnes considérées comme les meneurs de la manifestation du 21 septembre ont été arrêtées. Parmi eux, un certain Xue Jinbo. Selon la thèse officielle, ce dernier serait décédé à l’hôpital d’une crise cardiaque trois jours après son arrestation. Les internautes n'y croient pas une seule seconde. L'un d'entre eux traite les policiers de "bandits". Un autre répondant au pseudo de "Zuonieben" raconte : « Les voitures de la police armée sont entrées dans Wukan et depuis tous les accès sont contrôlés. Wukan est désormais un village mort, il n’y a pas de justice dans de monde. » Une nouvelle manifestation avec des "rubans blancs" serait ainsi en préparation pour dénoncer la mort de Xue Jinbo affirment les weibonautes.
Les habitants contestent le résultat des élections locales, ils ont donc désigné leur propre comité pour les représenter. Ce comité de 13 délégués étaient dirigé par Xue Jinbo. Pour ses enfants (ci-dessous en photo), comme une majorité de la population, Xue Jinbo est mort suite à des mauvais traitement en garde à vue.
Le mot wukan a fait sa réaparition sur le net. Depuis trois jours le village rebelle est totalement isolé racontent les weibonautes. Barrages aux entrées et censure des médias et d'internet. Les photos de Xue Jinbo sont partout en revanche jusqu'au grilles du commissariat de police. Les habitants réclament justice, ils ne croient pas à la thèse officielle de l'arrêt cardiaque. Xue Jinbo était le responsable du comité formé par la population pour négocier avec les autorités.
► A lire le reportage de Malcom Moore du Daily Telegraph premier journaliste étranger à couvrir les manifestations de Wukan.
A lire également l'analyse de Jordan Pouille sur Mediapart.
27 décembre 2011 : Suite à la "victoire" des émeutiers de Wukan rapporte l'AFP, un haut responsable chinois a estimé que le pays devait se préparer à d'autres protestations de ce type parce que les citoyens réclament le respect de leurs droits. Xue Jinbo n'est pas mort pour rien.
11 janvier 2012 :L'affaire de Wukan est finalement devenue une référence en matière de gestion sociale. Désormais explique le Huanqiu Shibao il ne suffit plus d'avoir le plus gros PIB pour pouvoir briller dans les salons de thé. Si le club des provinces milliardaires en yuan devrait passer de 17 l'an passé à 22 cette année -le meilleur de la classe étant cette année la ville province de Chongqing avec un PIB plus gros que celui de l'Algérie-, les responsables locaux n'hésitent plus à parler de développement durable tourné vers les habitants. On notera d'ailleurs que le quotidien compare ici indirectement le succès économique de Bo Xilai, chef de file des conservateurs et patron du PC de Chonging et la méthode Wang Yang. "Nous devons d'abord rajuster nos structures a expliqué le libéral du Guangdong. Trop d'importance a été placé sur la production brute. Si nous nous entêtons dans ces succès provisoire, nous raterons notre transformation industrielle et ce sera un échec complet".
16 janvier 2012L'un des meneur de la révolte de Wukan nommé à la tête du Parti communiste local. A lire la très bonne analyse du China Digital Times. et le portrait de Lin Zuluan sur RFI.
18 janvier 2012Wanggang, un troisième Wukan. La colère gronde à nouveau dans "l'usine du monde". Mardi 17 janvier 2012, ils étaient près d'un milier à manifester devant le siège du gouvernement de Canton rapporte le South China Morning Post.
Portant des banderoles rouges et vertes, la plupart étaient venus du village de Wanggang raconte Mimi Lau, l’envoyée spéciale du quotidien de Hong-Kong. Ils réclament des compensations justes pour la saisie des terrains agricoles. Ils accusent également le secrétaire du parti communiste de leur village d’avoir empoché l’équivalent de 63 millions de dollars de pot de vin versés par les promoteurs.: « Grâce à la puissance collective de nos villageois, nous voulons obtenir d’être entendu par le gouvernement » a expliqué Li Hongding. « Le parti communiste de Wanggang a été remplacé par un pouvoir corrompu aux mains des triades. Si nos problèmes ne sont pas résolus, Wanggang deviendra un second Wukan dans le Guangdong a poursuivit cette villageoise citée par le South China Morning Post ».
2 février 2012. Les habitants votent pour le représentants de la commission électorale (cf. AFP).« Après deux ans, dix mois et 28 jours de combats, nous pouvons enfin mettre notre bulletin dans l'urne. Nous avons gagné le droit de participer a une élection juste, ouverte et loyale et les villageois de plus de 60 ans ont découvert à quoi pouvait ressembler un bulletin » écrit Zhang Jianxing sur son blog.
Comme lui, 6 242 électeurs wukanais ont pu choisir les 11 représentants de la commission électorale qui sera chargé de veiller à la transparence du scrutin. Ca va sans dire mais ca va mieux en le disant, les membres de la commission ne pourront pas être candidats à l'élection a t-il été précisé aux électeurs.
3 février 2012. Le résultat est tombé à 23 h hier soir jeudi. 11 personnes ont été élues par près de 6 000 électeurs explique le Xinjingbao. Une première réunion a eu lieu ce vendredi qui a permis de désigner Yang Semao à la tête de la commission qui sera chargée de préparer l’élection du comité de village le 1er mars prochain.
« Pour de nombreux résidents, le vote d'hier représentait le triomphe d'une campagne de pétition, qui a duré plus de deux ans contre des fonctionnaires du village accusés d'avoir volé les terres (des habitants) depuis 2006 et "détournés plus de 700 millions de yuans de fonds publics » commente le South China Morning Post .
photo SL
Les élections locales en Chine ne sont pas nouvelles mais hier « il n’y avait aucun signe de manipulation dans les nominations et chaque citoyen adulte pouvait voter » poursuit l'envoyé spécial du journal Mimi Lau. Sur les 12.000 personnes que compte le village, 8 222 sont âgés de plus de 18 ans et parmi eux 6 200 ont voté ce qui représente un taux de participation de plus de 80 pour cent. Avec des électeurs surexcités et enthousiastes. "Ceci est une des plus grande réussite de notre village. Pour moi, c'est une expérience historique d'avoir enfin le goût de la démocratie témoigne ainsi Yang Jinlu âgé de 43 ans."
Photo SL
8 février 2012. Panhe, un quatrième Wukan dans le Zejiang.Des dizaines de milliers d'habitants de deux hameaux ont manifesté pacifiquement contre leurs autorités dans cette province de l'est de la Chine raconte The Epoch Times.
11 février 2012. 109 représentants ont été élus par les habitants là encore dans le cadre d'élections transparentes organisées dans la cours de l'école.
16 février 2012. Les autorités restituent à la famille le corps du leader de la révolte de Wukan. 900 000 yuan près de 110 000 euros de dédomagements sont versés aux proches de Xue Jinbo.
Près de 80 personnes ont quitté le village de Wukan à 8 heures du matin hier confie une habitante au South China Morning Postdans son édition du 17 février 2012. « En vertu d’un accord passé avec les autorités pas plus de 100 personnes ont été autorisés à effectuer le voyage et aucune photo n’a été prise raconte cette habitante au quotidien de Hong Kong. » Au funérarium de Shanwei, le corps de Xue Jinbo les attendait. « Son corps est resté gelé comme un bloc de glace pendant plus de trois mois. Son visage était noirci, même après le maquillage (…) Tout le monde était tellement triste de voir cela, en particulier ses filles endeuillées et sa femme ... Elles ont pleuré jusqu'à en vomir. Elles ne pouvaient pas manger, ni même se tenir debout." Le corps de Xue Jinbo a ensuite été transporté à Lufeng pour être enterré. La ville est située à 8 kilomètres de Wukan, les autorités ayant refusé que le corps de Xue Jinbo repose dans le village.
17 février 2012. Des journalistes sont agressés dans le village de Panhe (Zhejiang) note Aujourd'hui la Chine. Depuis le début du mois les habitants de ce Wukan du Zhejiang protestent contre leurs autorités souligne le Global Times.
28 février 2012. Xinfeng, encore un nouveau Wukan mais dans le nord-est de la Chine. Ce même jours à Wukan, les autorités ont passé un coup de file à la fille de Xue Jinbo pour lui sortir un réglement non appliqué jusqu'alors : Il serait interdit de se présenter à l'élection quand on est fonctionnaire. La fille de l'ancien meneur de la révolte mort en garde à vue doit démissionner de son poste d'enseignante pour pouvoir candidater au comité de district.
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