Chine : Mémoire volée du 35 mai

C'est un imposant motif floral, surmonté d'une banderole, sur un rond point du deuxième périphérique à Pékin. « Plus jamais ça ! » Le slogan en grands caractères jaunes sur fond rouge s'adresse aux automobilistes qui bouchonnent régulièrement non loin du Ministère des Affaires Etrangères. Depuis plusieurs semaines déjà, la capitale chinoise se prépare a commémorer le 25ème anniversaire du Printemps de Pékin. Comme pour la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques, c'est le cinéaste Zhang Yimou, actuellement au festival de Cannes, qui dirigera la chorégraphie de masse prévue place Tiananmen le 4 juin au soir. Le ballet national de Chine et l'académie de danse de Pékin sont mobilisés, même chose pour les Universités et l'Armée Populaire de Libération. Cette dernière doit mettre à disposition hommes, uniformes et materiels pour la reconstitution de la répression du mouvement étudiant.

Image diffusée sur weibo.
 
 
 
Les lignes qui précèdent ne sont que pure fiction évidemment. On aurait même pu imaginer, en ce 25ème anniversaire, un débat passionné à l'école centrale du parti communiste chinois. « La Chine est en passe de devenir la première économie du monde nous aurait expliqué le vice-directeur de l'établissement qui forme l'élite politique du pays. Le parti communiste peut-être fier de ses succès, mais il doit aussi reconnaître ses erreurs. L'arrêt brutal du Printemps de Pékin en fait partie ». Ne pas avoir la mémoire courte, sortir de l'amnésie collective, d'autres sont profondément contre : « Vous avez attendu combien de temps en France pour parler de la collaboration, de l'Algérie ou de l'esclavage aurait alors pu scander un professeur de marxisme-lénisme aux caractéristiques chinoises ? La Chine n'est pas encore prête, on ne doit pas réveiller les douleurs du passé. »
 
Mais tout cela n'est que fiction, on vous dit ! Il n'y a pas de débat sur le Printemps de Pékin en Chine. Et il n'y aura pas de commémorations du 25ème anniversaire de Tiananmen cette année, pas plus qu'il n'y a eu de cérémonies pour le 5ème, le 10ème, le 15ème ou le 20ème anniversaire. Depuis un 1/4 de siècle, la censure veille a effacer toutes traces de la répression qui a ensanglanté les mégalopoles chinoises en 1989. Rien dans les médias et rien sur le web ! Pas question de rappeler que l'Armée du Peuple a ouvert le feu contre ses propres enfants, pas question non plus de réveiller l'empathie pour ce mouvement étudiant, dont l'image emblématique reste cet homme seul face à une colonne de chars sur la plus grande place du monde.
 
Tatouage 4 juin @Baduciao
 
 
Circulez, il n'y a rien à cliquer ! Dans la Chine de 2014, un pays qui envoie des robots sur la lune et qui épate le monde entier avec ses réussites économiques, le « 4 juin » n'a toujours pas le droit de citer. Même le « 35 mai », géniale trouvaille des internautes chinois pour contourner la censure, a été repéré par les gardiens du web depuis longtemps. Dans la "République Populaire de l'Amnésie" comme l'a rebaptisé la correspondante de la radio publique américaine dans un ouvrage qui vient de paraître, seuls quelques dessins et quelques images rappellent l’événement sur Twitter. Leur portée est toutefois très limitée, l'oiseau bleu reste censuré en Chine.
 

Tank squelette @Rosetangy

 

A LIRE : Louisa Lim, The People's Republic of Amnesia : Tiananmen revisited. La correspondante de NPR a retrouvé des témoins de l'époque. After a 25 years of amnesia, remembering a forgotten Tiananemn
 
 
A (RE) ECOUTER : Robert Badinter / Radioscopie / France Inter 1989 / à propos de Tiananmen : « Rien ne serait pire que le silence, rien ne serait pire que l'indifférence, rien ne serait pire à mes yeux que la realpolitik. »
 

Robert Badinter suite à la répression du Printemps de Pékin : "Rien n'est pire que la Realpolitik" by Stéphane Lagarde

 
A FREDONNER : "La révolution n'a jamais marché, la révolution est toujours à recommencer..."
 

05 北伐-纪念版 by punkgod-盘古

 
 
 

 

 
 
 
 
 
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2 Comments

Tu as 100 % raison Sylvie. Les Chinois n'ont aucune leçon de courage a recevoir vu ce qui s'est passé il y a 25 ans justement. C'était juste une manière d'évoquer cette triste et totalement anachronique amnésie générale imposée par le gvt.

Superbe post,, Stephane ! Mais si, il y a plein de gens qui commémorent. Çest juste... Discret. Le 4 on met plutôt du noir (ça, c'est plutôt étranger, mais pas que : les gens que je connais ont à peu près mon âge), le 4 on n'invite pas, on ne va pas à des fêtes. Le 4 mai 1990, je suis allée au marché à côté de chez moi, le silence était de mort. Et beaucoup plus de jeunes qu'on ne croit sont au courant. Et souffrent. Mais contrairement à ce que certains médias (pas toi ! Pas taper !) font croire. Le problème. Est juste que par rapport à un êtranger (un diable !) qui les arrête dans la rue pour parler du 4 juin, ils ont le réflexe : 4 quoi ? Pardon ? Je voudrais :
- finir mes études
- garder mon job
- finir mes jours ailleurs qu'en prison.