8 questions autour du « 11 septembre » chinois

Il était un peu plus de midi, ce lundi 28 octobre, lorsqu'une voiture folle est arrivée à pleine vitesse sur un trottoir de l’avenue Chang’an à Pékin, fauchant les passants avant de s’embraser au pied du portrait de Mao place Tiananmen. Cet « accident majeur » requalifié en « attaque suicide » puis en « acte terroriste » par les autorités chinoises, a fait immensément moins de victimes que les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. La portée de l’attaque serait toutefois la même à en croire Pékin. Sur le plan symbolique, c’est bien le cœur du pouvoir chinois qui était visé.

 
 
Des barrages de police la nuit sur les grandes avenues, un passage systématique des bagages dans les détecteurs de méteaux du métro, y compris les sacs à main des dames qui jusqu'à présent étaient dispensés d'inspection pourvu qu'on veuille bien les ouvrir en passant devant les contrôleurs, la surveillance a été encore renforcée dans la capitale chinoise depuis l'attentat du 28 octobre. Le geste des kamikazes présumés aurait été soutenu par une "organisation terroriste basée à l'étranger" affirme l'agence officielle. Selon le secrétaire du parti communiste de Pékin, la lutte anti-terroriste est ainsi devenue l'une des priorités numéro un des autorités de Pékin. L'appareil de sécurité dit craindre également de nouvelles violences dans la province du Xinjiang située à l'extrême ouest du pays, et régulièrement en proie à des tensions ethniques entre Han –ethnie majoritaire en Chine- et Ouighours turcophones et musulmans.
 
► Turkestan oriental / La Chine va-t-elle envoyer des troupes en Asie Centrale et au Pakistan pour capturer les militants du Mouvement Islamique du Turkestan Oriental (MITO) comme les Etats-Unis avaient déclaré la guerre à Ben Laden et Al-Qaïda ?
 
C’est en tous cas ce qu’on pourrait imaginer en écoutant les propos tenus par le ministre chinois de la sécurité publique en déplacement à Tachkent jeudi dernier et cité par Phoenix TV.  Selon Meng Jianzhu en effet, l’attaque qui a fait cinq morts dont deux touristes et quarante blessés lundi à Tiananmen « est une action organisée et planifiée à l’avance, menée par l’organisation Mouvement islamique du Turkestan cachée en Asie centrale et occidentale ». Le nom « Turkestan oriental » est apparu au 19ème siècle. Il est aujourd’hui employé par les militants du mouvement homonyme pour revendiquer la création d’un état autonome dans la province du Xinjiang peuplée par plus de 9 millions de Ouighours, soit près de 45 % de la population.
 
► Afghanistan et Syrie / L’attaque du 28.10 est-elle le fait d’éléments extérieurs à la Chine ?
 
Ce n’est pas la première fois en tout cas que le Mouvement islamique du Turkestan oriental et les « forces hostiles de l’étranger » sont accusés par Pékin de déstabiliser le Xinjiang. Le Mouvement islamique du Turkestan oriental a été reconnu comme organisation terroriste « proche d’Al-Qaïda » en 2002 par l’ONU. Selon la police chinoise, plusieurs militants islamistes qui s’apprêtaient à organiser un attentat contre les Jeux Olympiques de Pékin ont été tués à Urumqi la capitale de la province le 9 mars 2008. Les autorités chinoises affirment également que des militants du mouvement se sont entraînés en Afghanistan avant les attentats du 11 septembre 2001, et plus récemment dans des camps contrôlés par les rebelles syriens
 
► 40 000 yuans, des couteaux et des jerricans d'essence / S’agit-t-il d’une action terroriste planifiée ?
 
Pour la télévision centrale de Chine, il n’y a pas de doute l’attaque place Tiananmen entre dans le cadre d’un plan initié au mois de septembre dernier. Le véhicule utilisé pour commettre l’attentat serait, contrairement à ce qu’affirmait l’agence Xinhua en début de semaine, non pas une Jeep mais un 4X4 Mercedes. Les « huit terroristes » (trois dans le véhicule piégé et cinq complices) disposaient de 400 litres d’essence et d’armes blanches. Les versions ont également varié sur ce point. CCTV a évoqué des « couteaux tibétain », le microblog de la police a lui parlé de « sabres ». Les terroristes présumés auraient reçu un financement de 40 000 yuans (près de 5 000 euros).
 

 
►Un couple "kamikaze" et une belle mère / Est-ce que les terroristes sont des Ouighours ?
 
Selon la police chinoise citée par l’agence officielle mercredi, les 3 passagers du 4X4 portaient tous les des noms à consonance ouighours, la minorité musulmane du Xinjiang à l’extrême ouest du pays. Usmen Hasan, sa femme et la mère de cette dernière ont foncé dans la foule avant que leur véhicule ne percute l’un des 5 ponts en marbre de l’empereur, devant la porte du ciel qui marque l’entrée dans la cité interdite. Ils se sont ensuite donné la mort en incendiant leur SUV
 
►  Appel à la "guerre sainte" / S’agit-t-il d’extrémistes islamistes ?
 
C’est en tous cas là encore ce qu’affirment les enquêteurs qui disent avoir retrouvé des « slogans religieux extrémistes » dans la carcasse du véhicule ainsi qu’une barre de fer, deux couteaux, et des bidons d’essence. Au « domicile provisoire » -probablement des hôtels de l’ouest de Pékin- où ont séjourné les cinq « complices », il a également été également retrouvé des « bannières appelant à la guerre sainte ». Dans un avis de recherche diffusé lundi, la police pékinoise indiquait par ailleurs que les huit suspects étaient originaires de deux villes très éloignées au Xinjiang, laissant entendre qu’ils ont reçu l’ordre d’agir sans se connaître.    
 
► Une organisation terroriste décapitée / Le MITO a-t-il la capacité d’agir sur le territoire chinois ?
 
De nombreux experts en doutent sachant que l’organisation séparatistes armées ouighours a été décapitée. Le fondateur et dirigeant du Mouvement islamique du Turkestan oriental, Hasan Mahsun, est mort lors d’une attaque lancée en 2003 par l’armée pakistanaise sur un camps d’Al-Qaeda. Son successeur Abdul Haq al-Turkistani a ensuite été tué par un drone américain au Waziristân en 2010. Il a lui aussi été remplacé, mais l’organisation reste obscure et peu influente à l’intérieur des frontières chinoises. Selon les services de renseignements Etats-Uniens, une très grande majorité des Ouïghours ne soutient pas le mouvement.
  
► Attaque de commissariats /Les Ouighours sont-ils des séparatistes ?
 
Six jours après l’attaque de lundi, la motivation des kamikazes reste incertaine. Si l’hypothèse d’un geste privé semble peu réaliste, rien ne permet pour autant d’établir avec certitude pour l’instant qu’il s’agit d’une action politique planifiée. Depuis plusieurs mois, les violences se multiplient au Xinjiang. Des attaques contre des commissariats et des bâtiments officiels chinois peuvent effectivement laisser penser à une radicalisation des Ouighours contre l’état central accusé de renforcer ses contrôles notamment sur les pratiques religieuses. On sait en même temps que depuis 2001, l’Etat Chinois a inscrit sa campagne contre le séparatisme ouïghour dans un contexte de guerre globale au terrorisme, quitte a déformer les faits. 
 
► Inquiétudes ouighours / Les Ouighours sont-ils désespérés ?
 
« A force de réprimer une population, on risque de la pousser à la folie » confiait à RFI, la voix modérée des Ouighours, Ilham Tohti, le 9 octobre dernier. Le professeur à l’Université des minorités de Pékin évoquait avec nous notamment la question des allocations accordées aux Hans à partir du deuxième enfant né au Xinjiang. Une aide ressentie par les Ouighours comme un encouragement à la « colonisation » de la province. Mais attention à ne pas faire d’amalgame, la « discrimination » ressentie ne conduit pas tous les Ouighours au terrorisme prévenait cet intellectuel. « Il y a de vives inquiétudes sur le sort du peuple ouïghour » a poursuivit jeudi Dilshat Rexit, porte-parole du Congrès mondial ouïghour en Allemagne, qui dit redouter que l'attentat ne serve de « prétexte » à Pékin pour renforcer « la répression au Xinjiang ».
 
 

Stéphane Lagarde on Twitter : www.twitter.com@StephaneLagarde

 
 
A lire sur le sujet:
 
 
 
 
BFM TV 021.11.2013 Emmanuel Lincot, Directeur de la Chaire des Études Chinoises Contemporaines à l'Institut Catholique de Paris sur Chine hebdo met en doute l’hypothèse d’une action directe du Mouvement islamique du Turkestan oriental.
 

RFI 03.11.2013 Attentat place Tiananmen : le chef militaire du Xinjiang limogé

Reuters 03.11.2013 In China's Xinjiang, poverty, exclusion are greater threat than Islam  

The Diplomat 03.11.2013 Call Tiananmen Attack What It Was : Terrorism

Chine Information 04.11.2013 La Chine appelle à des reportages objectifs sur le terrorisme

Le Monde 06.11.2013 Les doutes persistent autour de l'attentat de Tiananmen

Reuters 13.11.2013 China pressures Muslim Uighurs Lawyer families on burqas, beards

 AFP 13.11.2013 Au Xinjiang, les Ouighours démentent être des jihadistes