Chine : Mon été au centre commercial

C’est un ovni planté au cœur du vieux Pékin. Une soucoupe volante accrochée au deuxième périphérique de la capitale chinoise et appelée rapidement à devenir l’un des plus beau departement store en Asie. Est-ce qu’un centre commercial peut-être joli ? Le vaisseau spatial aux formes ovoïdales est ici signé de l’une des plus grandes architectes de l'époque. Neuf mois après son ouverture, le Galaxy Soho reste surtout et pour quelques temps encore, une coquille vide que les habitants du quartier s’approprient à la nuit tombée.

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Un été au supermarché. Faute de cinémas climatisés, c’est devant les salades en sachet et les briques de tofu que le citadins tentent d'échapper à la chaleur épuisante du mois d'août. Le truc du rayon frais au supermarché est connu depuis longtemps, mais Pékin aujourd'hui offre beaucoup mieux... Un centre commercial désert, entièrement climatisé et ouvert à la promenade !
 

Ovoïdes et grande muraille

Inauguré en novembre dernier, le Galaxy Soho attend toujours ses boutiques. Le promoteur est un habitué du fait. D’autres centres commerciaux ont été ouverts précédemment dans des quartiers populaires de la capitale chinoise en attendant doucement la « gentrification » de la zone comme disent les anglophones, autrement dit l’embourgeoisement du quartier. A la vitesse de la Chine d'aujourd'hui, cela pourrait vite arriver. En attendant, les habitants se sont appropriés les lieux.
 
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On peine à l'imaginer en Occident, mais en Chine tout est possible en tous cas en matière d’urbanisme. En attendant l’arrivée des commerces, les deux premiers étages du Galaxy Soho restent ouverts au public jusqu'au dernier métro. Tous les soirs à la nuit tombée, les 7 à 77 ans du quartier viennent ainsi profiter de la fraicheur du canyon artificiel qui relie les cinq tours coniques d’un édifice parait-il inspiré de la grande muraille de Chine. Les plus jeunes s’amusent avec les arcs d’eau du canyon et l’écho renvoyé par le vide sidéral de couloirs encore immaculés. Parties de cache-cache infinies sur l’étoile noire de la Guerre des étoiles comme dans nos rêves de gosses, tandis que les parents jouent aux cartes le dos appuyé sur des nids d’escalators.

 

"Un ovni au coeur du vieux Pékin" Pour écouter le reportage diffusé ce vendredi sur RFI cliquez ICI

 

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C’est beau le Galaxy Soho. Les courbes et la sensualité des formes ovoïdales sont internationalement reconnaissables confie l’urbaniste Jérémie Descamps qui vit depuis 15 ans à Pékin (voir interview ci-dessous). Aucun doute, c’est bien la signature de Zaha Hadid ! Aux côtés des cours carrées et donc fermées des vieilles ruelles de la capitale chinoise, l’architecte irako-britannique a imaginé une nouvelle "galaxie" avec des ponts aériens reliant  un entrelacs d’espaces ouverts.  Le tout a été construit très rapidement : 4 ans de travaux seulement !

 

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Des caddies et des hommes 

4 ans, c’est court pour 300 000 m2 de surface, mais cela permet d’assister à une gestation. Chaque matin nous avons vu les ouvriers aux casques jaunes s’enfiler des beignets à l’huile et manger des oeufs dures pour trouver la force d'attaquer le chantier et d’empiler les étages de l'imposant édifice dans la journée. Chaque saison nous sommes retournés voir le bâtiment une fois construit (cf. Galaxy Soho des 4 saisons après l’interview de Jérémie Descamps). Et depuis, nous y retournons régulièrement à la nuit tombée, comme de nombreux habitants d’un quartier très populaire où la modernité est devenue en quelques mois un objet de promenade. On a croisé des travailleurs migrants au Galaxy Soho, on y a croisé aussi des retraitées joviales, des jeunes yuppies et des familles à enfant unique. On nous y a tendu une raquette de badminton, des cartes à jouer ou tout simplement suggéré de regarder la lune perchée sur ces œufs mystérieux posés au centre de Pékin. Oui on s’est presque fait des amis dans ce centre commercial désert. En espérant que cette atmosphère bon enfant perdurera après l’arrivée des boutiques.   
 
 
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Jérémie Descamps : « A Pékin, les centres commerciaux deviennent des lieux de sociabilisation »  

Jérémie Descamps est urbaniste et fondateur de Sinapolis, atelier d’études sur la ville chinoise et les environnements construits en Chine. 
 
→ Comment définir cet OVNI ?
 
JD / Galaxy Soho est un projet d’architecture contemporaine lancé par un promoteur réputé pour son volontarisme en la matière. C’est un projet qui a été confié à l’architecte Zaha Hadid et construit en 4 ans. 300 000 m2 de surfaces construites, 5 tours qui montent à près de 70 mètres et un canyon artificiel qui les relie. Le bâtiment est intéressant en lui-même ne serait ce que par l’idée de modernité qui s'en dégage, sachant aussi qu’il est implanté en bordure est du périphérique, en lieu et place d’un tissus d’habitations traditionnelles.
 
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→ Le complexe a été construit sur ce que les Chinois appellent les hutong, les ruelles du vieux Pékin. Le projet a t-il été contesté ?  
 
JD / Le Galaxy Soho est effectivement l’un des derniers projets implanté dans cette partie de la capitale. Des immeubles très denses ont déjà été implantés tout au long de la bordure du deuxième périphérique à l'est comme à l'ouest d'ailleurs. Une manière de contrecarrer probablement le manque de dynamisme du centre historique. Le projet de Zaha Hadid s’inscrit donc dans ce contexte. Il arrive après de nombreux autres projets beaucoup moins médiatisés et il donc a pu faire polémique au départ parce que l’architecte est connue. Mais ce n’est absolument pas nouveau dans la logique d’urbanisation de Pékin.  
 
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→ 4 ans, c’est court ?
 
JD / C’est extrêmement court et du coup cela se voit. Il y a des problèmes de finitions quand on regarde par exemple les rampes, les escalators et les vitres et tout un tas de petits détails construits à la va-vite. Cela pose également une question concernant l’exploitation du lieu qui n’a pas été réellement pensée puisque le chantier a été très rapide. Du coup, l’exploitation se fait seulement maintenant et l’on cherche aujourd’hui à qui on va louer les bureaux, les commerces et les lieux de divertissement.   
 
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→ Et pour l’instant, c’est vide !
 
JD / C’est vide et en même temps le lieu reste ouvert. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques du promoteur Soho qui construit des malls accessibles à tous. Ce n’est pas un bâtiment totalement gardé comme certains autres centres commerciaux. La population locale a pu ainsi s’approprier l’endroit.
 
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→ Un centre commercial désert mais très fréquenté, c’est un rêve ou un cauchemar pour un urbaniste ?  
 
JD / Pour moi cela pose d’abord la question des espaces publics à Pékin. Si les habitants se retrouvent dans les centres commerciaux c’est forcement lié au manque d'espace publics, au manque de parcs, de places, de zones piétones, bref de lieux où les gens peuvent se retrouver. Ce qui entraîne le constat suivant... A Pékin et plus généralement dans les grandes métropoles chinoises, certains centres commerciaux deviennent des lieux de sociabilisation avec non seulement des commerces et des bureaux, mais aussi des espaces de divertissements, des crèches, des activités dédiées à l'art et la culture, qui permettent aux visiteurs de bénéficier du bâtiment sans être obligé de faire du shopping à proprement parler.
 
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→ Cinq bulbes accrochés au deuxième périphérique, la modernité plantée au cœur de la vieille ville, le concept a déjà été copié…
 
JD / Non celui qui a été copié c’est le Wangjing Soho de Pékin, l’un des trois centres commerciaux que le promoteur a commandé à Zaha Hadid. Le Meiquan 22nd Century de Chongqing (sud-ouest) lui ressemble étrangement, ce qui n’a pas manqué de susciter le débat sur internet.
 
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→ On parle de 20 à 30 yuan par m2 et par jour (2 euros 60 à près de 4 euros), le loyer est il trop élevé ?
 
JD / Pour la rentabilité des lieux je pense qu’on peut faire confiance à Soho, par contre au niveau de l’emplacement on est en bordure de périph dans une zone où l’on trouve soit des bâtiments très administratifs ou alors des quartiers très populaires. Il y a donc le défi aujourd’hui de réussir à attirer les acheteurs et les gens qui iront y travailler. En même temps, ce n’est pas la première fois que le promoteur réalise ce genre d’expérience. On a eu a peu près les mêmes conditions d'implantations il y a quelques années avec le centre commercial Jianwai Soho où les habitants du quartier sont venus « squatter » les lieux à l’ouverture. Il y a eu alors un vrai brassage social avec notamment la diffusion de films en plein air où l’on voyait des ouvriers côtoyer une population de nouveaux riches. De toute façon ce genre de lieu suscite forcement de la curiosité.  
 
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→ Est-ce que cet esprit d’ouverture peut durer une fois que les commerces seront installés ? 
 
JD / Aujourd’hui à Jianwai Soho on a pu constater une mutation globale de la population, donc ce ne sont pas forcément les mêmes personnes qui fréquentent le lieu que lors de l’ouverture. Pour ce qui concerne le Galaxy Soho, j’espère que les habitants du quartier pourront continuer à se promener dans le centre commercial après l’ouverture des magasins, même si certains espaces seront probablement privatisés pour des questions de sécurité.    
 
 
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► Les 4 saisons du Galaxy Soho de Pékin. Les images sont ICI.

 

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Vidéo Galaxy Soho by Daniel Chung. Pour lire la vidéo cliquez ICI

SCMP 12 août 2013 Architecture award to Beijing futuristic Galaxy Soho slammed by heritage group