Carte postale chinoise 1 : Quand les vieux soldats de Mao s’invitent chez les vacanciers

La route des vacances est décidément pleine de surprises. A Yangshuo (sud de la Chine), des vieux soldats de l’Armée Populaire de Libération sont venus lundi rajouter un peu d’animation à ce haut lieu du tourisme déjà très fréquenté. Vestes et pantalons de treillis, pins de la guerre contre le Vietnam, ces vétérans réclament une augmentation de leur maigre retraite et la fin des persécutions dont ils disent faire l’objet.

 
 
 
Les vieux soldats ont débarqué un peu avant le déjeuner, achevant de réveiller les terrasses situées non loin du siège du gouvernement local. La ville de Yangshuo est célèbre pour ses pics karstiques et ses ballades en radeaux de bambous. Elle est aussi visiblement un très bon spot pour les manifestants. Chaque été toute la Chine afflue ici dans la province du Guangxi, sans compter les touristes étranger. Une bonne occasion pour laisser échapper sa colère et faire connaître ses revendications.
 

Petites retraites et brutalité policière  

Devant l’entrée du gouvernement de Yangshuo, les anciens combattants déploient leurs banderoles sur le sol. Les calicots aux couleurs du drapeau national sont aussitôt emportés par les vents. Aussitôt des ordres fusent  ! Les moins gradés courent calmer les flammes, et si les mains et les pieds ne suffisent pas, on s'asseoit carrément sur les bannières.
 
 
 
Les mots d'ordres cessent alors leurs convulsions. Les badauds s'approchent pour les lire. Les caractères jaunes sur fond rouge précisent que les soldats ont participé à la guerre du Vietnam en 1979*. Ces derniers appartiennent aux promotions 64, 65, 67, 69 etc. Ils accusent également le commissariat de Yangshuo d’avoir « brutalisé les vétérans et leurs familles ».
 
 
 
Car ces vieux soldats du Guangxi sont aujourd'hui très remontés contre les autorités locales. Au départ, ils ne demandaient pas grand chose pourtant. Les vieux soldats de Mao réclament une retraite égale à leurs frères d'armes plus au nord. Dans certaines provinces chinoises, les vétérans de l’Armée Populaire de Libération perçoivent en effet une indemnité de 150 à 300 yuans (moins de 40 euros) par mois. A Pékin et à Shanghai, cela va même jusqu’à 450 yuans, mais dans la province pauvre du Guangxi ces derniers affirment n’avoir droit à rien !
 
 
 
Pour les autorités évidemment, ces manifestations font tâche sur la carte postale. « Ils arrêtent les camarades et ils font pression sur leur famille pour nous empêcher de défendre nos droits » confie l’un des manifestants. « Selon la constitution chinoise, il est interdit de détenir illégalement un citoyen et de le priver de sa liberté » indiquent encore les banderoles.
 
 

Les oubliés de la croissance chinoise

Comme la plupart des sites néo-maoistes, le site « drapeau rouge » qui revendique ouvertement son caractère « prolétarien et révolutionnaire » est régulièrement censuré. Le site est malgé cela l’un des seuls a avoir rapporté la manifestation de lundi. Il évoque lui aussi des « brutalités » commises à l’encontre des anciens combattants. 
 
 
Cet appel au respect de la constitution chinoise et des droits de l’Homme peut sembler étonnant de la part de l'extrême gauche chinoise. Il est en réalité le signe d’un brutal déclassement vécu dans les campagnes par ceux qui ont été engagés, volontairement ou non, dans les mouvements révolutionnaires. Soldats, paysans, anciens fonctionnaires des brigades de productions maoïstes, ces derniers sont le lumpenprolétariat vieillissant de la Chine d’aujourd’hui.
 
 
Laissés pour compte de la politique d’ouverture, ces retraités des années Mao n’ont pas pu attraper le train du capitalisme. Tempête dans un cours d’eau, la manifestation de Yangshuo lundi symbolise à ce titre l’écart qui existe aujourd'hui entre les anciens et les modernes en Chine. Les retraités des campagnes se retrouvent à la marge des profondes mutations de la deuxième économie du monde et le font savoir. Mais pour combien de temps encore ? Ces vieux contestataires ont perdu l'un de leur porte-parole. Leur héros auto-proclamé, le prince rouge déchu, Bo Xilai, est aujourd’hui toujours en attente de son procès.
 
 
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* Guerre sino-vietnamienne : Le 17 février 1979, 170 000 hommes de l'armée populaire de libération tentent d'envahir le nord du Viêt Nam en représaille à l'invasion du Cambodge par les soldats de Hanoi. L'opération va se solder par un échec. Les combats qui se terminent un mois plus tard, le 16 mars 1979, ont fait 26 000 morts et 37 000 blessés côté chinois, 30 000 morts et 32 000 blessés du côté vietnamien.
 
 
 
C'est le Global Times qui le dit : Les disparités de revenus s'accroissent en Chine