Le retour discret des têtes de rat et de lapin en Chine

On connaissait la diplomatie économique, voici l’économie diplomatique ! La boutade d’un confrère à propos des têtes de bronzes dérobées en 1860 lors du sac du Palais d’été par le corps expéditionnaire anglo-français et aujourd’hui restituées à la Chine, est révélatrice du climat qui a entouré ce « geste d’amitié envers le peuple chinois ».  Un don privé de la famille Pinault appuyé discrètement par la France

Photo SL
 
 
Elle est restée mystérieuse jusqu’au dernier moment cette « cérémonie de bienvenue aux reliques de retour en Chine » comme l’écrit la presse chinoise ce samedi. 15 h 33 hier vendredi après midi, le téléphone sonne au bureau de RFI à Pékin : « Merci de vous présenter à 17h devant l’entrée ouest du Musée National de Chine, nous avons une invitation pour vous ». Une invitation ? Voilà trois jours que nous multiplions les appels à Pékin et à Paris en espérant assister à cet évènement. Et jusqu’alors, rien. Même pas un demi SMS en retour.
 

Don privé

L’ambassade de France à Pékin, qui visiblement n’avait pas la main sur les accréditations, a continué de nous réciter l’évangile jusqu'à la dernière minute : « Nous ne savons ni le lieu, ni l’heure (…) il s’agit d’un don privé ! »
 
Photo SL  
 
Un don privé certes, mais une cérémonie tout ce qu’il y a de plus officielle. Tout a commencé on s’en souvient, par un dîner d'Etat avec le président chinois le soir du 25 avril. François Henri Pinault fait alors partie de la délégation de François Hollande en visite Chine. Entre la poire et le tofu, l'homme d'affaire annonce qu’il s’apprête à faire don de deux têtes d’animaux en bronze (un rat et un lapin) provenant du pillage de l’ancien palais d’été de Pékin (Yuanmingyuan). C’est la surprise sur le gâteau de cette visite présidentielle, mais la cerise ne sera dévoilée que le lendemain, non pas par les canaux diplomatiques ou par une indiscrétion d'un membre de la délégation d'ailleurs, mais par... la presse chinoise !
 
Photo SL
 
« Ok, va pour 17 h ! » Malgré la méga pollution de ce vendredi 28 juin 2013 (l'indice de microparticules de l’ambassade des Etats-Unis affiche 520), nous filons en direction de la place Tiananmen. "Filer" c'est peut-être un peu vite dit d'ailleurs, car nous sommes immédiatement englués dans les bouchons. Les feux sur la grande avenue qui mène à l'entrée de la cité interdite ne font plus que de la figuration. Le chauffeur de taxi peste, furibard, contre sa vie de prisonnier des embouteillages.
 
Au final, nous avons 20 minutes de retard, mais l’invitation est bien là ! Il y a trois cartons au total : un pour l’AFP, un pour Radio France et un pour nous.
 
L'épais brouillard de pollution a désormais envahi l'immensité de la place. Un confrère qui ne bénéficie pas du précieux sésame est comme statufié devant la façade imposante et froide du musée. Pas question de le laisser dans la melasse ! Nous l’emmenons discrètement avec nous, et parvenons finalement à passer gardiens et détecteurs de métaux sans encombre. Il reste que la plupart des confrères de Pékin n’ont pas eu le droit à cette invitation. Vu le nombre de caméras chinoises, nous comprenons que les réjouissances sont d'abord destinées au public chinois.  
 
Photo SL
 
17 h 30, la cérémonie commence. En costumes sombres, fleur à la boutonnière, les dirigeants chinois et la famille Pinaut père et fils ; en robes blanches, fleuries elles aussi, Salma Hayek épouse de François Henri Pinault et Aurélie Filippetti, la ministre française de la culture et de la communication qui nous a confié la veille qu’elle assisterait à l’évènement.
 

153 ans après

"Cent cinquante trois ans après" aurait écrit Dumas. Le moment est solennel, François Henri Pinault vient remettre les têtes de rat et de lapin en bronze au Musée National de Chine. Ces deux bronzes faisaient partie de la fontaine d’horloge zodiacale conçue au XVIIIe siècle par deux Jésuites, le peintre Giuseppe Castiglione et Michel Benoist. Le Palais d’été étant la propriété la plus occidentale (une « chimère » disait Victor Hugo) de l’empereur Qianlong (1736-1795).
 
Vous pouvez écouter l’intégralité de la cérémonie sur le lien ci-dessous avec le discours de François Henri Pinault à 10 mn 30
 

Restitution des Têtes de Rat et de Lapin. Musée National de Chine 28.06.2013 by Stéphane Lagarde

 

François H. Pinault se considère comme "un passeur". Il profite de la solennité du moment pour remercier la ministre française de la Culture, ainsi que le Président François Hollande qui par « ses bons offices a permis le retour de ces œuvres ». « Le retour de ces deux pièces du Yuanmingyuan revêt une signification extraordinaire pour les peuples chinois et français » indique de son côté le vice-ministre chinois de la culture en charge du patrimoine qui pense déjà à la suite. « Je suis convaincu ajoute ce dernier que cette offre généreuse de la famille Pinault servira d’exemple et contribuera au retour des biens culturels à leur pays d’origine ». Ce qui ne devrait pas manquer de faire grincer les dents dans les collections privées et publiques.
 

Un cadeau à 32 millions d’euros

Sur les 12 têtes de robinets de la fontaine du palais d’été de l’empereur en effet, 5 manquent à l’appel et sont toujours détenues par des privés à l’étranger : Le serpent, le coq, le chien, le mouton sont introuvables, le dragon est à Taiwan. La quête par la Chine des têtes disparues a même fait l’objet d’un film de Jackie Chan en 2012
 
 
 

 

Christie's débarque en Chine continentale

Une démonstration d’amitié contre des intérêts bien compris. Le New York Times révélait récemment que la maison de vente aux enchères Christie’s rachetée en 1998 par le groupe Pinault-Kering avait obtenu sa licence pour travailler directement sur le marché de l’art chinois sans passer par HK. La famille Pinault dément l'idée d'un geste interessé et revient sur la sauvegarde du patrimoine et l'amité France-Chine.
 
Les deux bronzes doivent ainsi rejoindre les collections du Musée National de Chine et seront « prochainement » exposés au public fait savoir la partie chinoise. C’est aussi la fin d'un long feuilleton à rebondissements qui a miné les relations France - Chine depuis février 2009. Pékin n'avait pas réussit à cette date à empêcher les coups de marteaux du commissaire priseur de Christie's lors de la dispersion de la collection du couturier Pierre Bergé - Yves Saint Laurent dont faisaient partie les deux pièces. Un acheteur chinois dénommé Cai Mingchao avait alors remporté l’enchère, mais refusé de débourser les près de 16 millions d’euros exigés pour chacune des pièces.
 

Cinquantenaire des relations diplomatiques

A la veille du cinquantenaire de l’établissement des relations diplomatiques, Paris accueille donc « avec bienveillance » ce don privé. « C’est un geste amical et chaleureux de la famille Pinault envers la Chine que je regarde avec beaucoup de bienveillance a expliqué Aurélie Filippetti à l’issue de la cérémonie. Le gouvernement français et le Président de la République regarde le geste de la famille Pinault avec bienveillance car c’est un geste important pour les Chinois et c’est aussi un don très important de la famille Pinault au Musée National de Pékin a poursuivi la ministre de la Culture et de la Communication. Peut-être que cela incitera d’autres collectionneurs privés de part le monde à faire de même, mais pour ce qui est de l’Etat français, il n’y a qu’une législation et qu’une doctrine qui s’applique c’est la convention de l’UNESCO de 1970. La France participe de manière très active à la lutte contre le trafic illicite des biens et des œuvres culturelles et nous appliquons la convention de 1970 avec beaucoup de fermeté ».
 
Photo SL     
 
 
« J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée » écrivait en son temps Victor Hugo (cf. extrait de la lettre ci-dessous). A ce "il faut rendre à César ce qui est à César" est souvent opposée l’ironie de Pierre Bergé en 2009 : « Je suis abseolument disposé à rendre ces deux têtes à la Chine disait déjà l’homme d’affaire ami de Saint Laurent. Tout ce que je demande en contrepartie c’est que ce pays donne les droits de l’homme, la liberté au Tibet et accueille le Dalai Lama » La diplomatie économique ou plutôt l’économie diplomatique est depuis passée par là.

Photo SL

 

Follow Stéphane Lagarde on Twitter : www.twitter.com@StephaneLagarde
 
 
 

Actualisation du billet :

►Dimanche 30 juin CCTV13 a diffusé une longue interview de François Henri Pinault
 
 
 

Extrait de la lettre de Victor Hugo écrite en novembre 1861

 
« ll y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s'appelait le Palais d'été. L'art a deux principes, l'Idée qui produit l'art européen, et la Chimère qui produit l'art oriental. Le Palais d'été était à l'art chimérique ce que le Parthénon est à l'art idéal. Tout ce que peut enfanter l'imagination d'un peuple presque extra-humain était là. Ce n'était pas, comme le Parthénon, une œuvre rare et unique ; c'était une sorte d'énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle.
 
Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d'été. L'un a pillé, l'autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu'il paraît. Une dévastation en grand du Palais d'été s'est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d'Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu'on avait fait au Parthénon, on l'a fait au Palais d'été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n'égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l'orient. Il n'y avait pas seulement là des chefs-d'œuvre d'art, il y avait un entassement d'orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L'un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l'autre a empli ses coffres ; et l'on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l'histoire des deux bandits. Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie.
 
Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m'en donner l'occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais. L'empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd'hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d'été. J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée. »