Corée du Nord, Pékin entre la carotte et le bâton

Cela fait un moment que Pékin ne sait plus sur quel pied danser avec la Corée du Nord. Entre la carotte et le bâton, les dirigeants chinois ont longtemps préféré les négociations à la répression. Et si la Chine semble ne pas contester aujourd'hui les  sanctions sur lesquelles doit se prononcer le Conseil de Sécurité des Nations-Unies ce jeudi, pas question de changer totalement de stratégie vis-à-vis de son turbulent allié

 
 
La Chine est terrifiée par un effondrement du régime nord-coréen autant qu’elle peut l’être par une guerre entre les deux Corées. On l’a encore entendu dans la bouche du premier ministre chinois Wen Jiabao hier à l’ouverture de la session parlementaire : L’objectif des dirigeants chinois reste le développement du pays. Une fois que l’économie chinoise sera devenue numéro un, on pourra peut-être passer à autre chose.
 
Réarmement général
 
En attendant, la diplomatie chinoise est contrainte de jouer les équilibristes. C’est d’autant plus vrai que de l’autre côté de la frontière, le régime des Kim n’en fait qu’à sa tête. Pyongyang est incorrigible et le ministère chinois des Affaires Etrangères perd patience. On craint à Pékin que les fusées et les bombes nord-coréennes ne fournissent un prétexte au réarmement général de la région à commencer par celui du Japon et de la Corée du Sud.
 
Une crainte devenue réalité : Seoul a promis ce mercredi des représailles immédiates en cas d’attaque venue du Nord, sachant évidement que l’ami américain n’est pas loin. Depuis le naufrage du cheonan en mars 2010, l’USS George Washington ne cesse de faire des ronds dans l’eau avec les marines sud-coréennes et japonaises, just in case !
 
Téléphone rouge
 
Pékin doit donc aujourd’hui taper du point sur la table et semble accepter les sanctions américaines proposées au Conseil de Sécurité même si un vice-ministre chinois des affaires étrangères s'est empressé de corriger les fuites dans la presse : "Cette décision n'appartient ni à la Chine, ni aux Etats-Unis... C'est faux de dire que la Chine et les Etats-Unis sont parvenus à un accord sur des sanctions contre la Corée du Nord" a affirmé Cui Tiankai. Il faut dire que le message sur les sanctions a été reçu 5 sur 5 à Pyongyang où les dirigeants ont immédiatement menacé de couper le téléphone rouge avec le voisin sud-coréen en retour, se disant prêts même à revenir sur l’armistice signé en 1953.
  
C’est la guerre alors ? Pas encore… Mais si les choses vont trop loin, on n’est jamais à l’abri d’un dérapage. La Corée du Nord a déjà menacé la Corée du Sud d’une guerre totale dans le passé. Elle a aussi prouvé à plusieurs reprises qu’elle était prête à dégainer la première. On l’a vu notamment lors du bombardement des îles yeongpyeong en 2010. Pékin n’avait d'ailleurs pas levé le moindre petit doigt à l’époque.
 
Irréductibles de Pyongyang
 
Seulement voilà, c’est aujourd’hui l’opinion chinoise qui s’inquiète : Le « retenez-moi ou je fais malheur » de la diplomatie nord-coréenne ne passe plus du tout en Chine. Beaucoup craignent ici que les choses ne soient déjà allées beaucoup trop loin avec les irréductibles de Pyongyang. 1, 2 et 3 essais nucléaires ! 2006 et 2009 passaient encore, mais le test du 12 février dernier, tombé pendant les vacances du nouvel an lunaire, est resté en travers de la gorge des internautes Chinois. 
 
 
Le dessin (ci-dessus) est sur ce point très parlant. On y voit bébé Kim Jong-eun entrain d'enfoncer un missile dans la bouche de papa Chine. Envoyé sur le réseau social weibo ce mercredi (et sous-titré « Qui a dit qu’on était tous des Li Tianyi ? »), il fait allusion aux déboirs récents du fils d’un chanteur chinois célèbre impliqué dans une affaire de viol. Ce dernier a trahi son père en commettant son crime, comme la Corée du Nord aurait trahi la Chine. Le petit-fils de Mao Zedong, Mao Xinyu, s'est déclaré ouvertepent opposé à la possession de l'arme nucléaire par le voisin nord-coréen et des habitants de Canton (sud est de la Chine) ont manifesté contre le dernier test de Pyongyang. Mais malgré cette pression de l'opinion, Pékin ne devrait pas changer radicalement sa stratégie dans la région.
 
Au-dessous du volcan 
 
Les sanctions seront probablement votées, mais déjà l’agence Chine Nouvelle appelle à un retour aux négociations à six sur la dénucléarisation de la péninsule. Le refrain tourne en boucle depuis maintenant plus de dix ans. Il  n'a pas empêché Pyongyang de se retirer du traité de non prolifération nucléaire et de devenir la neuvième puissance nucléaire mondiale. 
 
La diplomatie chinoise reste pourtant persuadée que les pourparlers sont la seule manière d'apaiser les tensions et d'éviter un afflux massif de réfugiés sur son sol. Sur se plan, la Chine sait de quoi elle parle pour avoir fait la guerre de Corée aux côtés des nord-coréens. 2 millions de Coréens vivent aujourd'hui sur le territoire chinois, dont une grande partie dans la préfecture autonome de Yanbian au nord-ouest des "montagnes à la tête toujours blanche" (Changbaishan) et au-dessous du volcan éteint du mont Paekdu.
 
L'histoire et la géographie créées des liens forcémment, et l'instabilité reste on le voit un cauchemar pour les dirigeants chinois.Cela fait un moment maintenant que les accordéons de Pyongyang font tourner la Chine, les voisins Sud-coréens et Japonais ainsi que la communauté internationale. Les Etats-Unis de Gorges Bush ont classé la Corée du Nord dans les pays de "l'axe du mal". Les plus conservateurs en Chine estiment probablement de leur côté que l’épine nord-coréenne dans le pied américain est un bon moyen d'empêcher Washington de se redéployer en Asie-Pacifique comme le voulait Barack Obama. 
 
Balkans de l’Asie
 
Balkans de l’Asie, la péninsule coréenne reste donc plus que jamais divisée en 2013. La politique du conservateur Lee Myung-bak à Séoul, a contribué à geler de nombreux programmes de coopération nord-sud. Le centre de villégiature des "Monts du diamant" en Corée du Nord, symbole du tourisme entre les deux Corées, a ainsi été vendu en lots à des promoteurs chinois, peu interessés d'ailleurs. La présidente sud-coréenne Park Geun-hye, élue en décembre dernier, a de son côté promis d'organiser un sommet avec le Nord. Sa victoire a été célébrée à Pyongyang par un essai souterrain de 6 à 7 kilotonnes ! Près de 60 ans après la fin du conflit fratricide qui a ensanglanté la péninsule, la carotte comme le bâton n’ont pour l’instant rien donné.
 
Le pire dans cette histoire étant que Kim Jong-eun et ses généraux n’ont envie de parler ni à Pékin, ni à Séoul mais comme toujours à Washington. Une autre manière de dire que le changement ne peut venir que d'une évolution stratégique aux Etats-Unis et non en Chine. Kim Jong-eun ne veut pas la guerre, « il veut qu’Obama fasse une chose, l’appeler » affirmait il y a quelques jours le géo-stratège américain du basket, Dennis Rodman de retour de Pyongyang. L’armistice du 27 juillet 1953 entre les deux Corées n'a t-elle pas été signée par un américain et un nord-coréen ? Stylo pour le lieutenant-général William K Harisson de l’Armée des Etats-Unis et tampon pour le général Nam-il de l’Armée Populaire de Corée.
 
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Actualisation du billet :
 
- The Wall Street Journal KoreaRealTime 11 mars 2013 : "Is China Cracking Down On North Korea Trade ?"