Wu Si : « 80 % de nos sujets sont refusés par le bureau de la censure. »

Dans le cadre du reportage consacré à la fronde des journalistes en Chine, diffusé jeudi 7 février sur la radio mondiale, nous ouvrons cette semaine le blog aux confrères chinois. Un mois après la grève des rédacteurs du Nanfang Zhoumo, quel est l’état d’esprit d’une profession confrontée à la fois aux mutations de l’ère internet et à la propagande toujours omniprésente dans un pays en pleine transition. La censure du numéro spécial de fin d’année du grand hebdomadaire de Canton a été la goutte d’eau qui a fait déborder l’encrier. Un acte vécu par les rédactions comme une véritable humiliation dans la Chine du ½ milliard d’internautes. Bonjour Wu Si…

#Nanfang Big Bang 4 / Wu Si / Photo SL
  
 
► Vous dirigez la rédaction du mensuel Yanhuang Chunqiu qui emploie 7 rédacteurs à plein temps et de nombreux contributeurs extérieurs venus notamment du milieu de la recherche et l’enseignement. 170 000 exemplaires sont vendus en moyenne chaque mois. C’est un tirage modeste pour la Chine, mais la revue est influente. Yanhuang Chunqiu est considérée comme une revue réformiste qui reflète des idées du courant libéral au sein du parti communiste chinois. Quel regard portez-vous sur les évènements récents au sein des rédactions du Nanfang Zhoumo à Canton et du Xijingbao à Pékin ? Et d’abord êtes-vous également victime de la censure ?
 
« Notre revue est une revue d’Histoire et l’Histoire est un sujet très sensible en Chine (rires) Le bureau de la propagande est particulièrement attentive lorsqu’il s’agit de sujets abordant l’histoire du parti, l’histoire du pays, l’histoire de l’armée, et l’histoire des différentes générations de dirigeants. Sont considérés également comme des sujets importants et donc particulièrement surveillées, les articles qui concernent l’ex URSS, l’Europe de l’Est et l’histoire du mouvement communiste. Selon le règlement nous devons déposer une demande auprès des départements chargés de contrôler l’information avant la publication. »      
 
► A qui s’adresse votre revue ?
 
« La plupart de nos lecteurs sont des personnes de plus de 50 ans, des intellectuels et de nombreux officiels à la retraite. On évoque souvent des sujets qui ne sont pas traités ailleurs et notamment concernant les reformes politiques. »
 
► De quelle manière intervient le bureau de la censure ?
 
« En Chine, la censure avant la publication n’existe pas officiellement. On appelle cela le système de dépôt de la demande concernant les ‘grands sujets’. C’est une manière de ne pas employer le mot censure, mais en réalité, s’ils ne donnent pas l’autorisation on ne peut pas publier les sujets ! La procédure correspond donc de faite à une censure avant publication qui ne dit pas son nom ! Cela concerne encore une fois tous les sujets qui ont un lien avec l’histoire du parti, de la nation ou de l’armée. Selon le règlement, nous devons déposer une demande préalable systématiquement. »
 
► Avec vous eu des sujets qui ont été refusés récemment ?
 
« Chaque année, on dépose des dizaines et des dizaines de sujets. 80 % sont refusés par le bureau de la censure. Il faut en plus attendre deux ou trois mois avant d’obtenir une autorisation. Le bureau de la propagande ne dispose pas de personnels formés en nombre suffisant pour examiner les demandes sérieusement. Cette censure est donc inapplicable dans les faits, sinon il faudrait fermer tous les journaux. Chaque numéro de la revue contient une vingtaine d’articles. Si on applique le règlement, nous devrions faire 22 à 23 demandes auprès du bureau de la censure à chaque fois. On en dépose seulement 3 ou 4, soit environ 20 % des thèmes que nous traitons, c’est une manière de continuer à travailler sinon tout serait censuré. »
 
► Qui sont les contributeurs de la revue ?
 
« La plupart des articles sont rédigés par des historiens professionnels ou des gens qui ont été acteurs ou témoins de grands événements historiques. Les articles écrits par des personnes qui ont vécu les événements  constituent la part la plus importante. Les papiers que nous écrivons nous même représentent moins de 5 % du contenu que nous proposons aux lecteurs. »
 
► Est-ce que les idées développées dans la revue sont contestées ou reprises par les responsables politiques ?
 
« Il y en a eu beaucoup ces dernières années… En 2007, on a publié un article écrit par Xie Tao, un ancien directeur adjoint de l’Université du Peuple à Pékin. L’article était intitulé : ‘Le socialisme démocratique et l’avenir de la Chine’ ». Il s’agissait d’évoquer les expériences sociales démocrates en Suède et en Allemagne. Après la publication, on a reçu 4 ou 5 piles de courriers ! L’article est même devenu un cadeau du nouvel an lunaire cette année là. Et quelle a été la réaction des autorités ? Une douzaine de conférences critiques ont été immédiatement organisées partout en Chine. Le Quotidien du Peuple, le Quotidien de Guangming ont tiré à boulets rouges sur l’article. Partout la rhétorique était la même : Le gouvernement central a alors martelé qu’il était nécessaire de reste dans la voie du ‘socialisme aux caractéristiques chinoises’. Une autre manière de dire que la sociale démocratie n’était pas pour la Chine. »  
 
► Comme l’hebdomadaire Nafang Zhoumo, vous avez écrit un article récemment consacré au « gouvernement constitutionnel ». Est-ce que cela vous a créé des problèmes comme à vos confrères de Canton ? Le site de la revue a été fermé n’est-ce pas ?
 
« Le 16 novembre, au lendemain de la clôture de 18ème Congrès du Parti communiste chinois, nous avons invité des intellectuels et des personnalités afin de confronter les points de vue sur la réforme. Une cinquantaine de personnes sont venues. Nous avons recueilli leurs propos concernant la constitution et l’établissement d’un gouvernement constitutionnel en Chine. Nous avons publié cet article dans notre dernier numéro de l’année, donc en décembre 2012. C’était un long article de 7000 signes qui a retenu l’attention de nombreux lecteurs. Par coïncidence, le ministère des technologies de l’information et de l’informatique a fermé notre site d’internet au lendemain de la publication. Du coup, beaucoup de gens ont pensé que c’était lié à l’article en question. En réalité, c’est un plus compliqué que cela. Le ministère des technologies de l’information nous a reproché de ne pas avoir enregistré nos nouvelles références quand nous avons changé d’hébergeur pour notre site. C’était il y a cinq ans »
 
► Quel regard portez-vous sur la fronde des journalistes de Canton ?
 
« La censure des médias en Chine est une punition APRES publication. Dans tous les bureaux de la propagande, au centre comme en province, une équipe est chargée de lire les journaux qualifiés de « sensibles » et de faire des rapports sur les articles supposés violer les règlements. Suite à la grève des journalistes du Nanfang Zhoumo, le bureau de la propagande est obligé d’être plus claire concernant la censure AVANT publication. Tuo Zhen (Nddlr. Le chef de la propagande de la province du Guangdong où se trouve l’hebdomadaire frondeur) a confisqué les prérogatives du rédacteur en chef, vu que c’est qui vérifie tous les articles ! C’était insupportable ! Il va donc devoir faire des compromis de ce côté-là, mais je pense qu’il n’y aura pas relâchement en revanche concernant la censure APRES publication ».
 
 
  
Propos recueillis par Hong Anqi et Stéphane Lagarde
  
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Big Bang au Nanfang, les journalistes chinois se rebellent ! Reportage RFI 07.02.2013 by Stéphane Lagarde