Li Datong : « L’internet a ringardisé la censure chinoise. »

Dans le cadre d'un reportage consacré à la fronde des journalistes en Chine, diffusé jeudi 7 février sur la radio mondiale, nous ouvrons cette semaine le blog aux confrères chinois. Un mois après la grève des rédacteurs du Nanfang Zhoumo, quel est l’état d’esprit d’une profession confrontée à la fois aux mutations de l’ère internet et à la propagande toujours omniprésente dans un pays pourtant en pleine transition. La censure du numéro spécial de fin d’année du grand hebdomadaire de Canton a été la goutte d’eau qui a fait déborder l’encrier. Un acte vécu par les rédactions comme une véritable humiliation dans la Chine du ½ milliard d’internautes. Bonjour Li Datong

 

Nanfang Big Bang 2 / Li Datong / Photo SL

 
 
 
►Vous avez une grande carrière derrière vous mais on vous connait surtout pour l’affaire Bingdian ("Point de glaciation") . L'hebdomadaire que vous avez dirigez a été fermé en 2006 sur ordre des autorités et suite à la publication d’un article remettant en cause les manuels scolaires d’histoire. Vous êtes aujourd’hui à la retraite, quel est votre regard sur la fronde récente de journaux tels que le Nanfang Zhoumo (Hebdomadaire du Sud) ou du Xijingbao (Nouvelles de Pékin) ?
 
« Je crois qu’on a vraiment changé d’époque. D’un côté, on constate effectivement que le Parti communiste n’a pas relâché son contrôle sur les médias, et qu’ils deviennent parfois même encore plus tatillons. En même temps, on n’a jamais eu une telle richesse de reportages consacrés à la société chinoise, avec des sujets en profondeur et plus variés. La diffusion de l’information sur internet va tellement vite que les autorités ne peuvent plus rien contrôler.Si quelque chose survient et que les autorités ne veulent pas que cela s’ébruite, c’est déjà trop tard ! Parce que pour contrôler les infos, il faut savoir à l’avance ce qui va se passer. Mais l’information est par nature quelque chose d’imprévisible. Avec les réseaux sociaux accessibles sur les téléphones portables, les internautes ont les informations avant même que le bureau de la propagande ne se réveille. Le meilleur exemple, c’est la collision entre deux TGV en 2011. Dans les minutes qui ont suivit l’accident, l’information a circulé en boucle sur les réseau sociaux. Avec le développement des technologies de l’internet, le contrôle de l’information devient non seulement inutile mais totalement stupide. L’internet à ringardisé la censure chinoise ».
 
►On parle aujourd’hui de la protestation des journalistes du Nanfang Zhoumo et des Nouvelles de Pékin au début de l’année, mais il y a toujours eu des rebelles dans la presse chinoise vous en êtes la preuve…
 
«  Cela remonte à l’apparition des premiers médias privés à la fin des années 90. Les valeurs de ces journaux, de ces hebdos et des chaines câblés sont proches aujourd’hui de ce qu’on peut voir à l’étranger. Ce qui n’empêche pas les conflits au sein des rédactions entre ceux qui choisissent de suivre les consignes de la propagande et ceux qui veulent d’avantage d’autonomie. Il y a la question du que faire de ces valeurs aussi ? Mais globalement encore une fois, il y a une vraie prise de conscience des rédacteurs sur le côté ringard de la censure. Encore un exemple très parlant je trouve… Quand Mo Yan s’est vu décerner le prix Nobel de Littérature l’année dernière, le bureau de la propagande n’a donné aucune consignes aux journaux parce qu’il était incapable de savoir si c’était une bonne chose ou non (rires) Tous les quotidiens privés ont évidement mis l’évènement en Une. Ce n’est quand même pas tous les jours qu’un écrivain Chinois obtient une telle récompense ! Même le quotidien de la jeunesse a mis une grande photo en première page sans demander rien à personne. Et qu’à fait le Quotidien du Peuple à votre avis ? Comme il n’avait pas reçu de consigne, le journal officiel n’a consacré qu’un petit article de 200 signes à l’évènement, et en 15ème page encore !! Le plus drôle c’est que le bureau de la propagande à dû se réunir en catastrophe. C’est eux qui ont demandé au même Quotidien du Peuple de consacrer une plus grande place au Nobel de littérature ».
 
► Est-ce que vous pouvez nous raconter à nouveau les circonstances qui ont entouré la fermeture de l’hebdomadaire Bingdian ?
 
« Moi j’ai toujours pensé que cette fermeture avait été décidé de longue date, qu’il s’agit d’un complot minutieusement préparé. Le 25 décembre 2005, le secrétariat du centre de la ligue de la jeunesse a convoqué les chefs de service du quotidien de la jeunesse de Chine.  Zhou Qiang, le premier secrétaire a alors déclaré : ‘ Nous n’avons plus les moyens de protéger Bingdian’. Or jusqu’à la publication de l’article de Yuan Weishi (Ndlr qui remettait en cause les manuels scolaires chinois) le 11 janvier 2006, rien ne s’est passé. Une fois l’article publié on est resté tranquille jusqu’à Chunjie (Ndlr. fêtes du nouvel an lunaire). Mais  quand tout le monde est rentré de vacances, des jeunes nationalistes se sont mis à mitrailler l’article sur internet, en nous accusant d’avoir « trahi la patrie ». Cela a servit de prétexte. Ils ont d’abord bloqué le site du journal. Ils ont aussi distribué des consignes à tous les confrères leur interdisant d’écrire sur Bingdian. Dès qu’une information apparaissait sur internet, elle était supprimée dans la minute. Le 26 janvier au matin, ils ont annoncé à tous les médias liés au gouvernement central, qu’il était interdit d’assister aux conférences de presse organisées par Bingdian. Nous à l’intérieur du journal, on ne se doutait encore de rien ».
 
► Il ne faut pas partir en congés quand on dirige un journal en Chine, souvent le bureau de la censure intervient pendant les vacances visiblement…
 
« Oui ils ont voulu nous étrangler en silence. A 18h ce 26 janvier 2006, on était toujours en train de préparer l’édition du lendemain. J’ai alors reçu un coup de fil d’un ami qui travaille pour un site d’information en ligne. Il m’a demandé : ‘ Qu’est-ce que vous comptez faire maintenant ? ‘ J’ai répondu : ‘ Faire quoi ? ‘ Il m’a dit : ‘ Ils ne vous ont pas encore renvoyé ? On le sait tous depuis ce matin  le journal va fermer ! ‘ On a apprit la nouvelle comme ça… J’ai attendu jusqu’à 19h30, les directeurs du bureau de la censure m’ont alors convoqué pour m’informer de leur décision. Le directeur des blogs m’a appelé aussi. Il m’a dit qu’il avait eu pour consigne de la police de supprimer tous les postes de mon blog. L’objectif était de couper tous nos moyens de communication vers l’extérieur ».
 
► Vous pensez qu’on peut faire la même chose aujourd’hui ? Fermer un journal du jour au lendemain ?
 
 
« Bien sûr qu’ils peuvent le faire ! Sauf que le Nanfang Zhoumo est un journal local et qu’ils n’ont pas l’intention de le fermer. Mais pour Bingdian, la décision avait été prise de longue date. Cela dit, ils n’avaient rien compris à internet. J’ai écrit une lettre de protestation dans la nuit. Je l’ai juste envoyé à une dizaine d’amis. Je savais que cela suffisait. Le lendemain mon téléphone a explosé d’appels et j’ai accepté une cinquantaine d’interviews. Une semaine plus tard, le gouvernement central a changé d’avis. J’ai entendu dire que Hu Jintao avait lui-même demandé la réouverture de la revue. Le ministère des affaires étrangères, et le bureau des médias du Conseil d’Etat ont dû annoncer aux médias occidentaux la réouverture de Bingdian. Bien sûr, j’ai été relevé de mes fonctions de rédacteur en chef mais on avait gagné la bataille médiatique ».
 
► Est-ce qu’il y a une différence entre la censure à Pékin et en province ?
 
«  A Pékin tu es sous les yeux du ministère de la propagande en permanence. Chaque vendredi, les rédacteurs en chefs sont convoqués au ministère de la propagande. On appelle cela la réunion d’information ‘ du ministère de la propagande ou plus simplement ‘la réunion du vendredi’. Presque tous les médias doivent s’y rendre pour écouter les consignes et les partager aux responsables de chaque service au sein des journaux. En province, il n’y a pas cette contrainte, mais il y en a d’autres ! Si le directeur de la propagande est un connard par exemple, il peut pourrir la vie d’une rédaction. Et notamment, appliquer la censure avant publication comme le fait Tuo Zhen, le chef de la propagande du Guangdong. Le bureau de la propagande centrale ne fait jamais ce genre de chose. C’est terrible ce qui se passe dans le Guangdong, un rédacteur en chef du journal Wenhui à Shanghai m’a dit avoir reçu 31 consignes de la propagande en une seule journée. Comment peut-on exercer le métier de journaliste dans ces conditions ? »
 
► Cette « réunion du vendredi » a toujours lieu aujourd’hui ?
 
« Oui c’est un système qui a été mis en place par Ding Guangen, l’ancien ministre de la propagande qui vient de mourir. Il a établit ce rendez vous en pensant aux conférences de rédaction dans les journaux. Il s’est dit très sérieusement (rires) : ‘le ministère de la propagande doit aussi organiser une grande conférence de rédaction le vendredi’ ».
 
Faire du journalisme en Chine exige des sacrifices ?
 
« L’ouverture des médias n’est pas un cadeau donné gratuitement c’est sûr, et c’est à la profession de l’obtenir. Il faut pousser les portes. Hier c’était nous, aujourd’hui c’est le Nanfang Zhoumo et le Xinjingbao. En fait, le système semble solide, mais il n’a jamais été aussi faible. Je dis souvent : « la censure tombera, si trois rédacteurs en chefs de grands médias décident ensemble de ne pas respecter les consignes. »
 
► C’est ce qui s’est passé en janvier quand les Nouvelles de Pékin ont soutenu leurs confrères de Canton…
 
«  Ca fait deux journaux, pas trois (rires)… Mais c’est intéressant effectivement qu’ils aient voulu contraindre les Nouvelles de Pékin à publier un article pro-censure. Du coup, le rédacteur en chef, Dai Zigeng, a menacé de démissionner. Ils n’ont pas osé fermer le journal, mais il a fallu faire un compromis. L’article a été publié en tout petit et dans les pages intérieures. Cela montre que protester n’est jamais inutile. Le bureau de la propagande a peur que l’on révèle ses méthodes sur internet. Désormais ils communiquent leurs consignes uniquement par téléphone. Mais chaque fois qu’un rédacteur en chef se fait engueuler, il rédige son autocritique.  Il faut savoir dire non parfois. Tous les systèmes autoritaires fonctionnent de la même manière. Ils ont l’air très fort et un jour ils tombent comme des châteaux de cartes.
 
► La fin de la censure est pour bientôt alors ?
 
« Personne ne peut le prévoir en réalité. Qui avait dit que l’URSS s’écroulerait ? Tout dépend si les nouveaux dirigeants chinois ont pris conscience des problèmes. Est-ce qu’ils savent que la plupart des officiels sont considérés comme des étrons de chiens aux yeux du peuple ? Dès qu’ils s’expriment, la première réaction s’est de se demander s’ils mentent. Des voitures de police brûlent à chaque manifestation dans ce pays. J’espère que les nouveaux dirigeants ont pris la mesure de la crise et qu’ils feront le nécessaire pour répondre à la volonté du peuple. »
 
► Pour revenir au métier, est ce qu’il y a de la frustration aujourd’hui dans les rédactions ?
 
« La frustration existe c’est sûr, surtout chez les jeunes confrères. Mais en même temps, le journalisme reste un métier passionnant en Chine. Si on le compare à celui des petits fonctionnaires des administrations qui s’ennuient tous les jours, les médias permettent de voir des choses nouvelles tout le temps. Il faut de la ténacité, même si certaines choses peuvent apparaître frustrantes. Parfois on avance de deux pas, et parfois on doit faire un pas en arrière. Il faut l’accepter. Je ne suis en tous cas pas de ceux qui pensent que la presse traditionnelle va disparaître. On s’abonne à un journal c’est pour avoir de l’information. Alors évidemment il y a plus d’informations aujourd’hui sur internet que dans des médias censurés. Mais des journaux comme le Nanfang Zhoumo sont aussi sur internet. Et il faudra toujours des professionnels de l’information formés à enquêter sur des faits, à les raconter et à les diffuser auprès d’une large audience. Je suis maintenant un vieux journaliste et quand je me regarde en arrière, je vois le chemin parcouru. Quand je suis entré dans le métier, on n’avait pas le droit de parler d’un crash d’avion. Les autorités sont moins sensibles sur quantités de sujets aujourd’hui. Il faut être patient. Dans 30 ans, la presse chinoise disposera des mêmes droits qu’en occident. »
 
 
 Propos recueillis par Hong Anqi et Stéphane Lagarde
 
 
 
 
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Big Bang au Nanfang, les journalistes chinois se rebellent ! Reportage RFI 07.02.2013 by Stéphane Lagarde