Images interdites

Le Festival du Film Indépendant de Pékin devait se terminer ce  dimanche. Il a été interrompu il y a trois jours sur ordre des autorités chinoises. En neuf ans d'existence, le festival de Songzhuan est devenu le premier rendez-vous des amateurs de documentaires, dans la quasi clandestinité

 

Un avertissement aux caractères fébriles placardé sur la porte de la cinémathèque Liu Xianting dans la banlieue est de la capitale chinoise. L’injonction est tombée la veille du week-end : « A la suite d’une notification du directeur, le 9ème Festival du Film Indépendant de Pékin a dû se terminer en avance ». Devant l’entrée, une poignée de passionnés affichent leur déception. Comme souvent dans ce genre de cas, les autorités ont préfèré le « texto » au « coup de fil ». L’indépendance n'est pas la chose la plus valorisée en Chine.
 

Village d’artistes

 
Les amateurs de documentaires se faisaient pourtant une joie de retourner à Songzhuang pour ce rendez-vous annuel avec le cinéma du réel dans la grande banlieue de Pékin. On dit banlieue, mais il y a encore quelques années on était ici presque à la campagne. Situé à une quinzaine de kilomètres du sixième périphérique de la capitale chinoise, Songzhuang est aujourd’hui hérissé de palissades de chantier. On y construit des résidences modernes par dizaines, pour satisfaire à la boulimie des pelleteuses et à l'appétit tentaculaire d'une mégalopole qui finira peut-être un jour par reculer jusqu’à la mer. En attendant, les murs parlent à Songzhuang et le mobilier urbain est utilisé pour annoncer, ici la création d’une galerie, là une nouvelle exposition ou plus loin un concert précédé d’une projection dans un ciel relativement plus dégagé que Pékin. Les allées boisées, les routes poussiéreuses et le teint hâlé des vendeurs de fruits sur les bas-côtés indiquent en effet que nous ne sommes pas si loin des champs.
 
Photo SL 24.08.2012
 
 
C’est à Songzhuang que des centaines d’artistes ont voulu se mettre au vert au début des années 2000. Les précurseurs étaient arrivés dix ans plus tôt, suite à leur expulsion du village d’art de l’ancien Palais d’été (Yuanmingyuan) et la démolition du quartier des universités. Depuis la communauté de Songzhuang a grossi. On parle de près de 2 000 artistes regroupés dans 40 bourgs du district de Tongzhou. Des peintres, des calligraphes, des céramistes, des plasticiens et des fondus d’images qui pensaient pourvoir raconter d’autres histoires que CCTV avec une caméra. 
 
 Photo SL 24.08.2012
 

Panne de courant 

 
Samedi 18 août, le festival ouvre ses portes. Deux lieux sont alors prévus pour accueillir une programmation riche d’une centaine de films dont une grosse partie venue de Taiwan : Le musée des beaux arts et le centre d’art contemporain de Songzhuang. Il y a foule pour la première raconte Kevin B. Lee. 500 personnes sont présentes à la cérémonie d’ouverture dont des policiers en uniforme. La projection du « Village qui n’a pas faim » de Zhou Xueping peut malgré tout commencer. Le film raconte la grande famine des années Mao... Quand soudain l’écran s’éteint ! Une panne de courant touche tout le district affirment les officiels. Pendant six heures, les organisateurs vont tenter de joindre les électriciens en charge du secteur. Mais les électriciens restent injoignables, la projection ne pourra pas redémarrer.   
 
Photo SL 24.08.2012
 
Quand le cinéma du réél fait peur au pouvoir chinois : « J’ai l’habitude de reconnaître les policiers en civil confie le dissident Hu Jia. Ce jour-là j’en au vu beaucoup, ils avaient garé leurs voitures dans les rues alentour. Ils ont fait sortir tout le monde et seules les personnes accréditées avec un badge ont pu entrer. La projection a commencé… Mais au bout de 40 minutes, l’électricité a été coupée ! Impossible ensuite de redémarrer la séance. De 14 h jusqu’à 20 h, il n’y a pas eu de courant. Les autorités avaient prévenu les organisateurs : ‘Votre festival pourrait être interrompu en raison de la présence de certains spectateurs’. » La menace aurait donc été mise a exécution affirme le coordinateur de l’association « les Avocats aux pieds nus » qui s’excuse d’avoir pu gêner le festival. Ai Weiwei, autre bête noire de l’appareil de sécurité publique dont le documentaire So Sorry était programmé dans la semaine, n’a lui pas fait le déplacement.   
   

 

 Photo SL 24.08.2012 
 

Festival sous le manteau

Contrairement au Festival du film indépendant de Nankin dont ce sera la 9ème édition également en octobre prochain ou au Festival du cinéma indépendant d’Asie à Xi’an au mois de mai, le Festival de Pékin n’est pas lié à une Université. Longtemps l'évènement a ainsi été organisé sous le manteau, sans le feu vert des autorités, mais avec une programmation totalement indépendante. Du coup, il a fallu ruser. En mandarin le Festival des Films Indépendants de Pékin n’est pas un festival de « films » mais un festival « d’images ».
 
Photo SL 24.08.2012
 
« Ils disent que nos films n’ont pas été approuvés par le bureau de la propagande et que par conséquent notre festival n’est pas autorisé explique Zhang Qi. Nous nous disons que chacun de nos films est un objet d’art et donc qu’il s’agit d’un festival artistique. Depuis la création du fond pour le cinéma, nous insistons sur la notion d’indépendance. Mais si on ne demande pas l’autorisation de l’Etat, cela ne veut pas dire que nous sommes des contestataires poursuit l’une des coorganisatrices de l’évènement. »  
 

Photo SL 24.08.2012
 

« Inattendu mais normal »

 
Outre la susceptibilité du pouvoir face à ce cinéma de plaies et de bosses qui raconte la société chinoise en mouvement, l’évènement a lieu aussi cette année à quelques semaines du 18ème Congrès où doit être renouvelée la direction du Parti Communiste Chinois. Cela évidemment n’arrange rien à l'affaire, les services de sécurité étant particulièrement sur les dents."C'est inattendu mais c'est normal" résume dans un éclat de rire gêné, le programmateur de l'évènement Wang Hongwei
 
 Wang Hongwei 24.08.2012 Photo SL
 
« Pendant les deux mois qui précèdent le Congrès, prévu normalement en octobre, les autorités essayent de limiter au maximum les rassemblements de personnes jugées sensibles poursuit Hu Jia. Et même si le festival ne rassemble qu’une centaines de cinéphiles et de professionnels, c’est déjà trop ! Il y a des œuvres qui parlent par exemple des démolitions expulsions et ça ne leur plait pas ! Le documentaire qui enregistre la société est considéré comme un ennemi par le pouvoir. »  
 
Photo SL 24.08.2012 
 
 

电影

Dans la cour de la cinémathèque, des caisses de bières attendent les réalisateurs invités. La plupart sont déjà repartis à Pékin et visiteront la cité interdite faute de pouvoir présenter leur film. Grondement résigné à l’entrée. L’un des festivaliers venu en train depuis la province du Shanxi, nous montre son tee-shirt. C’est de l’anglais. Un slogan en lettres noires sur fond jaune aussi charmant qu’évocateur...
 
 Photo SL 24.08.2012
 
 
En chinois cinéma se dit "images électriques". Le festival de Songzhuang a donc, cette année encore, été plongé dans le noir.
 
 
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A la radio : Reportage RFI 26.08.2012

►  Les cinéastes indépendants face au pouvoir chinois (NYT 10.09.2012)