Corée du Nord, l'éviction du Vice-maréchal Ri

Vice-maréchal, bon débarras ! C'est le refrain chanté par bon nombre d'analystes depuis le limogeage de Ri Yong-ho le chef de l'armée nord-coréenne. Si certains y voient une reprise en main de Kim Jong-un sur l’appareil militaire, d’autres estiment qu’il pourrait s'agir d’un signe d’ouverture à la chinoise de la part du régime de Pyongyang.

 
C’était ce matin le troisième titre du journal de la radio centrale de Pyongyang. Un flash aussi court (45 s) que la dépêche de l’agence officielle nord-coréenne : La décision a été prise lors d’une réunion du Bureau politique du Parti des Travailleurs de Corée, Ri Yong-ho a été « relevé de toutes ses fonctions… pour cause de maladie » affirme KCNA.
 
 
Dépêche KCNA
 

La fin de la doctrine Songun ?

En Corée du Sud personne évidemment ne croit à la thèse officielle. Cette décision sort tellement de l’ordinaire qu’elle s’apparente d’avantage à une purge qui ne dit pas son nom nous expliquait ce matin le correspondant de RFI à Séoul, Frédéric Ojardias
 
 
 
 
A Pékin non plus d’ailleurs même si les choses ne sont pas dites de la même manière. Et si certains spécialistes craignent une déstabilisation du régime, beaucoup voient un nouveau signe d’ouverture du jeune dirigeant Kim Jong-un qui chercheraient ainsi à renforcer le contrôle du parti communiste sur l’armée et à se démarquer de la doctrine du Songun et du slogan « l’armée d’abord » lancé par son père.
 
 
C’est d’ailleurs ce que confiait à RFI Wang Sheng en septembre 2010, bien avant le décès de Kim Jong-il. « Si l’on reste dans le cadre de la doctrine du Songun chère à Kim Jong-il expliquait ce professeur au département des études internationales de l’Université de Jilin, les choses se sont un peu rééquilibrées. Avant la commission nationale de Défense avait un statut supérieur au parti des travailleurs. En devenant secrétaire général du parti, Kim Jong-il redonne du poids à l’appareil politique tout en ne pouvant pas se passer pour l’instant de la puissance politique d’une armée forte ». 
 

Des jupes qui raccourcissent et des pizzas

Si les officiels Sud-coréens restent sceptiques, les experts s’accrochent au moindre espoir et tentent de déceler le moindre frémisement vers le changement dans un ourlet de jupe et les talons des jeunes filles de Pyongyang explique le New York Times dans son édition d’aujourd’hui. Un papier éclairant dans lequel John Delury décrit le nouveau dirigeant nord coréen comme quelqu’un qui a su « transformer sa faiblesse potentielle –sa jeunesse et son inexpérience - en une force politique: le dynamisme et l'énergie ». Pour cet expert de la Corée du Nord à l'Université Yonsei à Séoul, M. Kim est  « beaucoup plus disposé à reconnaître les défis, les problèmes et même les échecs".
 
 
 
La propagande l’a ainsi montré proche du peuple alors que son père entretenait une certaine distance. On l’a vu visiter des pizzerias, des fast food proposant frites et hamburgers à leurs clients. Ces restaurants de type occidental existent depuis longtemps à Pyongyang, mais il n’avait jusqu’alors jamais reçu une telle approbation officielle.
 

La dame de Pyongyang

Kim Jong-un sera-t-il le dirigeant de l’ouverture économique du pays comme le fut Deng Xiaoping ? Cet espoir est partagé par de nombreux analystes et hommes d’affaires chinois que nous avons rencontré depuis notre arrivée à Pékin.
 
 
 
Les signes sont là. L’inauguration du nouveau quartier de Kurata à Pyongyang dont le journal Caixin proposait un portfolio le mois dernier. 
 
L’accord passé avec les Américains sur la question de l’aide alimentaire. La reconnaissance de l’échec du tir d’une fusée longue portée en mai dernier etc, etc.
 
Crime de lèse communisme, M. Kim a assisté à une chorégrahie de personnages de Mickey en compagnie d’une mystérieuse jeune femme, ce qui a déclenché immédiatement la loterie des questions sans réponses dans la presse des pays voisins et même au delà. La jeune femme serait encore revenue hier nous disait l’agence sud-coréenne Yonhap. Ri Sol Ju a depuis été officiellement désignée Première dame de Corée du Nord et le spectacle de Mickey reconnu comme l'une des attractions du mariage présidentielle.
 

 
La famille Kim à la rubrique people !? Certains y voient en tous cas, là aussi le signe, sinon d'une révolution au moins d'une évolution des mentalités au nord du 38eme parallèle. On se souvient en effet qu’en 2001, Kim Jong-il était devenu furieux en apprenant que son fils aîné Kim Jong-nam avait tenté d’entrer au Japon avec un faux visa pour visiter... Disneyland Tokyo !
 

Signes contradictoires

Mais ne nous emballons pas ! Ces éléments sont insuffisants pour parler d'un véritable changement dans un pays habitué à de brusques revirements. Les réformes restent cosmétiques note le correspondant du CSM et la politique est cousu de fil rouge. Marcéchal, vous voilà ! Comme son père et son grand père, Kim Jong-un est ainsi devenu marchéal à son tour. Là encore, les nord-coréanologues ne sont pas d'accords.

Le beau frère Jang Song-taek est il aujourd'hui le véritable maître de Pyongyang comme le croient les journaux conservateurs en Corée du Sud ? Kim Jong-un ne peut faire autrement que d'avancer sur la voie des réformer estiment au contraire les tenants d'une évolution du régime. Au fond, seuls les progrès économiques permettront d’avancer sur la question. Les experts surveillent notamment l'évolution des échanges avec les zones économiques spéciales telles que Rajin-sunbong (cf entrentien ci-dessous), d'avantage qu'avec Hamhung -la capitale de la nouille froide et de la chimie rrestant étant le premier grand centre industriel de la Corée du Nord-. Mais sur ce plan, les résultats se font encore attendre nous expliquait l’année dernière le professeur Shi Yongming, de l’Institut de recherches sur les questions internationales à Pékin.

  ENTRETIEN SHI Yongming "J'ai vu des DVD américains et Sud-coréens vendus dans la rue à Pyongyang"

 

RFI / Quel sonts les secteurs dans lesquels investissent les Chi nois en Corée du Nord ? 

SY / « La Corée du nord a pris des mesures pour ouvrir son économie, mais en raison de l’embargo des occidentaux très peu de pays vont y investir. Cela dit les entreprises chinoises sont présentes. Il s’agit surtout de l’industrie légère tournée vers les biens de consommations courantes. On parle du textile, on donne aussi souvent l’exemple d’une entreprise de vélo qui marche très bien là-bas. La Corée du Nord reste une économie planifiée, ce qui à un avantage pour les vélos chinois. Comme les vélos sont distribués par l’Etat, c’est le gouvernement nord coréen qui est le client et on est sûr d’être payé »

RFI / La frontière entre la Chine et la Corée du Nord est-elle plus ouverte qu’auparavant ?

SY / « La frontière est une zone très surveillée de part et d’autres, elle reste donc très difficile à franchir. C’est plutôt à l’intérieur du pays que se développent les échanges. La zone de libre échange la plus importante se trouve à Rajin-sunbong. La Chine n’a pas de port sur la mer du Japon, la zone franche de Rajin est donc très importante pour la Chine et pour la Russie. Mais pour l’instant, elle n’a pas eu le succès escompté. Premièrement, parce que la Corée du sud et le Japon ne vont pas là-bas pour s’investir, deuxièmement, parce que même si la zone est ouverte les autorités nord coréennes contrôlent encore beaucoup trop la main d’œuvre. »

RFI / Est-ce que la Chine s’inspire de la zone économique sud-coréenne de Kaesong ?


SY / « Les modèles de développement chinois et sud-coréen sont effectivement basé sur les exportations. Mais pour la Corée du Nord c’est différent. La Corée du Sud investit économiquement et technologiquement en Corée du Nord et propose son propre marché comme débouché aux biens produits sur place. Les marchandises fabriquées dans la zone industrielle de Kaesong sont vendues essentiellement en Corée du Sud. Mais le marché chinois est déjà saturé de produits chinois, donc le modèle de Kaesong ne peut pas servir d’exemple. Voilà pourquoi beaucoup d’entreprises chinoises travaillent avec des nord-coréens en Chine notamment pour pouvoir ensuite exporter ces produits. Concernant la zone économique de Dandong dans le nord-est de la Chine (ndlr: selon le Asahi Shimbun le projet a été suspendu), c’est d’abord pour résoudre un problème chinois. La Chine manque de port dans le nord-est du pays. La Corée du Nord reçoit un loyer, mais en dehors de cela c’est surtout une zone chinoise. »


RFI / Les autorités chinoises demandent des réformes économiques à la Corée du Nord, est-ce que le message a réussit à passer la frontière ?


SY / « La Chine souhaite effectivement que la Corée du Nord ouvre son économie. Le message est répété inlassablement par Pékin et ne vise pas seulement les zones économiques spéciales. C'est aussi un discours qui vient des autorités nord-coréennes. Dès 2001, le régime a fait part de son désir de réformes. A ce moment- là, l’idée s’était de s’ouvrir aux pays occidentaux. La première fois ou le mot « ouverture » a été prononcé en Corée du Nord, je m'en souviens très bien c’était en 1994. Seulement le problème c’est que contrairement à la Chine il n’y a jamais eu vraiment de plan politique derrière. Et puis autre souci, la Corée du Nord continue d’exiger de nouvelles aides en échange de ces réformes. Or pour la Chine, le plus important c’est que les autorités nord-coréennes fixent un cap aux réformes économiques afin de laisser libre champs aux entreprises chinoises pour investir. Pour l’instant Pyongyang souhaite que ces investissements soient réalisés dans le cadre d’accords de coopérations d’Etat à Etat. Le gouvernement chinois aimerait de son côté que le développement de la Corée du Nord passe par le privé et incite ainsi les entreprises chinoises à investir dans la zone économique de Rajin. Mais pour l’instant encore une fois, les investisseurs chinois ne sont pas restés longtemps et on a rarement entendu parler de réussite économique. »


RFI / Croyez-vous que l’ouverture économique soit possible à court terme ?


SY / « Je suis prudemment optimiste car les choses évoluent très vite. Je me souviens d’avoir été surpris quand je suis allé en Corée du nord en 2009. J’ai découvert qu’à Pyongyang, il y avait de nombreux marchés où l’on vendait beaucoup de choses en dehors du circuit de distribution étatique. Les restaurants étaient pleins, même s’ils n’accueillaient pas les étrangers. J’ai vu des publicités à la télévision, notamment pour la bière. Il y a donc eu une progression pour ce qui est du commerce depuis 2001. J’ai vu par exemple des vendeurs de DVD dans les rues qui proposaient des films américains et sud-coréens. A Pyongyang, plus de 80 % des familles ont des lecteurs de DVD donc la vie est différente que celle qu’on pourrait imaginer. J’ai vu un reportage récemment qui parlait de deux nord-coréens qui s’étaient enfui en Corée du Sud après avoir regarde des séries sud-coréennes. C’est donc bien que le gouvernement n’interdit pas ces films. Un autre système de distribution s’est mis en place en parallèle de l’économie planifiée. Dans la rue encore, j’ai vi des vendeurs de poulets rôtis. Le prix du poulet équivaut à trois mois de salaire moyen mais il y a des gens pour l’acheter. La aussi c’est la preuve que le niveau de vie s’est élevé donc je pense que petits à petits les choses changent même si on est loin de l’ouverture. »

 

 

Sur la route des réformes

► 29 juillet 2012 Cette histoire de "changement politique" c'est du n'importe quoi a fait savoir en substance le porte-parole du comité nord-coréen pour la paix et la réunification cité par le Quotidien de l'économie de Qingdao (Chine) : "La République Populaire et Démocratique va réussir à construire un pays fort en continuant sur la route du socialisme" et n'a nul besoin de changement politique et d'ouverture pour cela.

9 août 2012 Accord minier entre la Chine et la Corée du Nord (Quotidien du Peuple , Xinhua )

►10 août 2012 "La Corée du Nord s'inspire de la Chine" titre l'AFP"La Corée du Nord communiste a lancé une série de réformes destinées à faire repartir son économie laminée en s'inspirant notamment du modèle chinois, ont indiqué vendredi des experts du pays et le ministère sud-coréen de l'Unification."

►13 août 2012 Jang Song-taek en visite à Pékin. L'oncle de Kim Jong-un a rencontré les dirigeants chinois pour évoquer notamment les zones de libre échange sino nord-coréennes (Reuters; China Daily).

14 aout 2012 Un accord a été conclu autour des zones économiques spéciales annonce le ministre chinois du commerce (Yonhap) et la télévision chinoise. Cela dit un même accord avait été annoncé il y a un peu plus d'un an (RFI)

 ►15 août 2012. Selon la télévision de Shenzhen Jang Song-taek devrait rencontrer le futur numéro un chinois Xi Jinping à la fin de sa visite. 

 

Photo Xinhua

►17 août 2012 "Economie de marché" n'est plus un gros mot en Corée du Nord (Courrier International

►18 août 2012. A la veille des manoeuvres navales annuelles conjointes Etats-Unis/Corée du Sud, Kim Jong-un visite un poste d'artillerie face aux îles Yongpyong bombardées en 2010 (Xinhua).

►23 août 2012. Les robes courtes de la première dame de Corée sont à la mode à Pyongyang (Quotidien du Peuple 23.08.2012)

► 9 septembre 2012 Quel poids représente Jang Song-taek au sein du pouvoir Nord-coréen ? (Korea Herald 09.09.2012)

 

 

► 10 septembre 2012 Le groupe chinois Yanbian Huailai et un partenaire nord coréen obtiennent les droit d'exploitations de deux terminaux du port de Chonjin en Corée du Nord pour 30 ans. Un accord du même type avait été signé par une autre compagnie chinoise pour 50 ans en 2008, pour 5 terminaux du port de Rajin Sunbong. (Yonhap News 10.09.2012)

►10 septembre 2012, les filliales logistiques des sud-coréens POSCO et Hyundai s'implantent à Hunchun ville chinoise à la frontière de la Corée du Nord et de la Russie Yahoo finance 10.09.2012 

21 septembre Yanbian, les ouvriers de la frontière Grand Reportage RFI 21.09.2012

25 septembre 2012 A Pyongyang, la session parlementaire se termine sans annonces de réformes Yonhap 25.09.2012