Eliminez-moi !

Ce n’est plus un bus, c’est un panier d’œufs rempli à ras bord : vingt, quarante, cinquante petites bouilles rondes, peut-être même d'avantage, lèvent le nez en l'air pour tenter de voir les étoiles.

 

 

 

L'accident d'un bus scolaire survenu mercredi 16 novembre sur une route de la province du Gansu a profondément choqué l'opinion chinoise. Le mini-van qui transportait les élèves a été percuté par un camion. Il était archi-bondé ! Conçu pour accueillir 9 passagers, 64 enfants des maternelles dont deux adultes étaient à bord au moment de la collision. 18 enfants sont morts sur le coup ainsi que le chauffeur et l'accompagnateur, 44 ont été hospitalisés.

 

18 + 2 + 44

 
La colère des internautes est à la mesure du drame qui a frappé les familles. 
 
Certains font la comparaison avec les transports scolaires à l'étranger.
 
Ici sur cette image, les Yellow national school bus aux Etats-Unis.

 

 

 

D'autres n'hésitent pas à faire le lien entre le manque de moyens des écoles et une certaine aisance affichée du coté des responsables politiques locaux ; d'un côté des véhicules "privés" tueurs de jeunesse, et de l'autre des berlines "publiques" aux vitres teintées et aux klaxons VIP.

Ce nouvel accident vient rajouter à la défiance vis à vis des institutions. Car pendant ce temps, les bâtiments de l'Etat poussent comme des champignons.

Les fontaines aussi à en croire cet internaute qui sur son weibos fait collection de buildings administratifs en érection.

Ils sont morts et alors ? Les autorités de Qinyang jurent qu'elles voudraient bien, mais qu'elles ne peuvent pas. Elles n'ont pas les moyens d'offrir mieux aux écoles. Et il ne s'agit pas d'un cas isolé. La réforme visant à standardiser les régles de sécurité dans les transports scolaires, lancée à l'été 2010, demandera encore du temps.

Le 27 décembre dernier, un véhicule à trois roues transportant 20 élèves de primaires a ainsi terminé dans une rivière. Le 14 mars, un bus a accroché une barrière de chantier après avoir roulé beaucoup trop vite, avec 76 enfants de maternelle assis à l’arrière.

Cela  n'a pas empêché les "experts" de se bousculer à la barre, pour expliquer combien il était difficile aux administrations de se plier à ces nouveaux barèmes de sécurité.

Vidéo publiée il y a 4 mois. Sous titre : 60 dans le bus de l'école !

 

Crise morale

La mort de la petite Yueyue, 2 ans, écrasée par un camion dans la quasi indifférence générale d'une rue de Foshan dans la province du Guangdong (Est) le mois dernier, a provoqué une véritable crise de conscience. La Chine a-t-elle perdue les pédales face à l'argent ? Scandales alimentaires, corruption... La société chinoise à la morale en "fromage de soja" et du même coup le moral dans les chaussettes !

Les Pékinois sont aussi raleurs que les Parisiens et ne cachent pas leur colère. Pas un jour ou presque, sans qu'un taxi de la capitale ne se lamente sur cette décripitude morale d'une société ou tout s'achète désormais, de l'entrée du fiston dans la bonne école, au rendez-vous chez le dentiste. Ce ne sont pas seulement les grands scandales d'Etat qui minent le moral, ce sont aussi les pots-de-vin du tous les jours. 

Un antiquaire nous racontait récemment le passage de fonctionnaires dans son échoppe. Tous cherchaient à lui vendre leur nom calligraphié sur un joli papier. "Achète ma signature disaient ces derniers. Je suis connu, elle vaut de l'or !" Une manière détournée de réclamer un chèque contre de la bienveillance. Sauf qu'aux prix pratiqués, les autographes n'ont pas trouvé preneurs et le marchand a dû changer de métier.   

Les internautes demandent des comptes et les artistes se libèrent.  Zhang Binjiang propose ces jours-ci une installation de 1 600 portraits de corrompus. Les dessins ont la couleur des billets de 100 yuan. 2 000 cadres ont été laissés vides pour les prochains qui se feront attraper par la justice.
 
Souriez, éliminez !
 
La dérision devient une arme. L'espression "se faire éliminer" est la dernière expression à la mode chez les internautes. Clin d'oeil à un récent article du Global Times ; le quotidien s'était félicité des déboires de l'artiste chinois le plus connu à l'étranger, accusé à la fois de fraude ficale et de pornographie par les autorités. "C'est sûr que les gens comme Ai Weiwei finiront par être éliminés par la société" disait le journal. 
 
Du coup, toute la toile se met la tête sur le billot et décline à n'en plus finir un slogan qui finira probablement imprimé sur les tee-shirt : "Je suis éliminé par mon pays," "c'est un honneur d'être éliminé par la société", "éliminez-moi svp" etc, etc.
 
L'humour noir débordant du web chinois permet, sinon de sourire, au moins d'être optimiste. C'est un peu comme le verre vide ou le verre à moitié rempli ; comme pour les scandales alimentaires et les polutions industrielles, l'opinion est décidée à ne plus s'en laisser compter.
 
La mort de Wang Yue à Foshan, comme l'accident de Qinyang, sont autant d'électrochocs qui, beaucoup l'espèrent ici, forceront les mentalité à évoluer au-delà de la simple prise de conscience. La classe moyenne voyage, s'informe sur internet et demande du changement.
 
Evoluer ou craquer... Même les patrons des plus grands groupes exigent cette révolution des esprits. Ren Zhiqiang a lui aussi pris son clavier après l'accident du mini-bus mercredi dernier : « L'espoir de plusieurs générations a été brisé écrit le pdg de Huawei, a cause d’un manque absolu de respect pour la vie. » 
 
 

ACTUALISATION :

21 novembre 2011 Depuis la publication de ce billet, l'un des enfants victime de l'accident de l'autobus scolaire dans la province du Gansu est décédé de ses blessures à l'hôpital. Le bilan est désormais de 21 morts dont 19 enfants. L'école maternelle de Qinyang a été fermée et le directeur de l'école maternelle a été arrêtée. Une nouvelle école doit être construite au même endroits avec des équipements répondant aux normes de sécurité.

22 novembre 2011 Le Beijing Times a par aileurs consacré un grand papier au projet de réforme visant à limiter les dépenses excessives dans certaines administration. 

 

Photo Stéphane Lagarde School Bus Jilin Province 09.2012

 

Septembre 2012 Des bus jaunes ont fait leur apparition pour la rentrée 2012. Ici à Jilin dans le Nord-Est de la Chine

Photo SL

 

 

2 Comments

Merci, c'est gentil Alabira.

Bjr Stephane

Je profite de ctte okaz pour t'énoncer que t'es mon journaliste preferé du fait que j'aime beucoup écouté tes reportages...Ainsi je te souhaite une longue vie!!!!!!!